LE FRÈRE ANDRÉ BERNARD
(1870-1911)
(Notices Biog. V p. 275-278)


Donnons tout de suite la parole au cher F. André. Voici ce qu'il dit de ses premières années, dans la lettre où il demande à prendre l'habit de novice-­frère : « Mon T. R. Père, je viens très humblement vous demander la faveur d'être reçu au nombre des novices-frères de la Congrégation du Saint-Esprit et du Saint-Cœur-de-Marie ......

« Je suis né à Kerlégant, paroisse de Plouharnel (Morbihan), le 8 février 1870. Mon père s'appelait Bernard Turiau, ma mère Marie Kermorvan. Je suis le seul fils, mais j'ai six sœurs, dont une religieuse. Élevé par une mère chrétienne, j'ai appris de bonne heure à connaître et à servir Dieu. De bonne heure aussi j'ai été envoyé à l'école tenue par un Frère. Après y avoir été quatre ou cinq ans, j'ai eu le bonheur de connaître la Congrégation. Dès lors je m'y suis cru appelé. Aussitôt conçu le dessein d'y entrer, Dieu m'a donné la grâce de le réaliser; car le R. P. Supérieur de N.-D. de Langonnet m'a ouvert les portes du Noviciat des Frères, le 28 avril 1882. » (Lettre du 5 octobre 1884).

Sa demande fut agréée. Sur quarante-six Frères appelés à émettre leur avis sur son admission, un seul - lequel sans doute devait être de haute stature - le trouva trop petit de taille et vota contre. Mais depuis quand, pour devenir frère d'un Institut, fallait-il, comme au conseil de révision, passer à la toise? Cette observation étrange était consignée dans sa feuille d'Information, où sa régularité, sa piété, son esprit religieux lui méritaient une note assurément capable de compenser un défaut de taille, si de ce chef il pouvait en ressortir, et si d'ailleurs il avait été trop petit. Il put donc faire son oblation le jour de la Toussaint 1884.

Le Frère écrivit sa lettre de remerciement sous une vive impression de contentement pieux. « Le jour de ma prise d'habit, disait-il, a été pour moi jour de joie et de bonheur. J'en conserverai toute ma vie un souvenir ineffaçable. Je m'efforcerai par tous les moyens en mon pouvoir de conserver les saintes dispositions qui m'animent. Oui, mon T. R. Père, disposez de moi comme il vous plaira. Je n'ai d'autre volonté que la vôtre. Je suis prêt à tout faire et à tout entreprendre. » (Lettre du 4 novembre 1884).

Il avait été reçu novice-frère sous le nom de Frère Désiré. Ce n'était pas celui qu'il avait demandé, aucun de ceux qu'il avait proposé n'ayant d'ailleurs été accordé. Ce nom de Désiré fut changé en celui d'André qu'il porta, à dater du 9 avril 1885, en vertu d'une décision du T. R. Père.

Il fit sa profession à N.-D. de Langonnet, le 19 mars 1886. Quelques jours auparavant, il avait demandé l'autorisation d'émettre, à sa profession, le vœu de stabilité. Ce qu'il lit, son désir étant approuvé de ses directeurs et agréé par le T. R. Père Emonet.

Moins de deux mois après sa profession, il reçoit son obédience pour la Sénégambie. Il s'embarque le 3 mai à Bordeaux, et une Sois arrivé, est placé à Joal, à titre complexe de sacristain, d'instituteur et de Frère chargé du matériel. Mais donner l'instruction première aux enfants, paraissait lui répugner, moins cependant en raison de ses goûts, qu'à cause d'un défaut d'aptitude. Encore que très intelligent il ne se sentait pas d'attrait pour les occupations purement intellectuelles; quelque chose tenant d'un métier, d'un art, d'une industrie, convenait davantage à sa nature douée d'initiative, de savoir-faire, et comme oit dit familièrement débrouillarde. Il était éminemment le « bon à Lou L faire », ce Frère si précieux dans les Missions. Ainsi, sentant qu'il pourrait rendre des services comme maçon, il se mit, de lui-même et seul à la maçonnerie, et réussit très bien. C'était traduire en acte le fabricando fit faber ; autrement dit : en maçonnant on devient maçon.

Aussi dès 1888, il est retiré de Joal et mis à Saint-Joseph de Ngazobil. Il doit trouver là un champ d'action qui lui conviendra davantage. Et en effet il va y rester dix ans, employé à tous les travaux manuels dont il reçoit la direction on simplement la fonction. Il est successivement cuisinier, maçon, jardinier, chef de culture. Vers la fin de décembre 1891, il va à, la caserne et fait à Dakar son service militaire. Ses deux ans achevés, il quitte le fusil et reprend bêche, pioche et truelle, toujours dans sa chère communauté de Ngazobil. Mais ses forces ont baissé. Il rentre en France anémié; revoit sa chère Bretagne dont l'air vivifiant le remet, puis retourne à ses fonctions habituelles en Sénégambie.

Il avait émis et renouvelé ses vœux. Dans la lettre de demande de renouvellement qu'il adresse à Mgr Le Roy en 1904, il va au ­devant d'une pensée de doute s'élevant dans l'esprit de ses directeurs: n'y a-t-il pas un fléchissement dans sa ferveur? On le reconnaît toujours régulier, dévoué, plein d'ardeur au travail; mais on le trouve un peu trop vif par moment; « et l'on forme le vœu de le voir revenir à sa docilité, sa simplicité, sa douceur premières. » Action irritante du climat d'Afrique dira-t-­on... Lui, il ne croit pas devoir s'attacher à cette explication. Il préfère l'aveu d'une certaine lâcheté. Les vœux perpétuels seraient le correctif nécessaire. Il n'ose pas les demander tout de suite, préférant attendre l'occasion d'un retour en France pour s'y mieux préparer. (Lettre du 21 mars 1904).

Le reste de sa lettre n'est pas sans intérêt. « Grâce au bon Saint Joseph, continue-t-il, la santé est toujours assez bonne et tout va aussi assez bien, tant avec mes supérieurs qu'avec mes confrères. » Ne faut-il pas remarquer et regretter cet « assez bien » qui tombe de sa plume en diminutif de ce que ses dispositions étaient autrefois ? Tant il est vrai que les natures les plus généreuses ont besoin. d'application et de correspondance à la grâce pour se maintenir !

Il s'accuse aussi de négligence à écrire au T. R. Père; mais l'excuse vient aussitôt. Il n'est pas «écrivain » mais cuisinier, semble­-t-il dire; et quand il a un moment il préfère prendre « son fusil plutôt que soit porte-plume » comme si pour sa cuisine il était d'office pourvoyeur de gibier.

Enfin ce moment d'un retour désirable à la Maison-Mère arriva. C'est l'affaiblissement de sa santé qui le rend même nécessaire. Il es t anémié; il part, et une fois en Europe, ce sont des rhumatismes, un engorgement des poumons et du coeur qui se produisent. Sa résidence est à N.-D. de Langonnet. Mais le climat ne lui vaut rien dans l'état maladif où il se trouve. Qu'a-t-il de mieux à faire ? Emettre ses voeux perpétuels et partir. Dans sa lettre de demande il dit combien il serait heureux de prononcer ses voeux à perpétuité, avant de reprendre le chemin du Sénégal. « En retour de cette grâce, écrit-il au T. R. Père, je vous promets de mieux observer encore la règle de l'Institut et de me sacrifier avec plus de génerosité dans les différentes fonctions que la sainte obéissance m'imposera. » (Lettre du 18 février 1908).

Une information arrive du Sénégal; cette fois nulle atténuation dans les notes affirmant son « attachement à la Congrégation, sa piété, son travail, l'observation des règles. » Il n'y a qu'un seul avis à lui donner, c'est « de se ménager ». Il est donc admis aux voeux perpétuels qu'il prononce le 19 mars dans la chapelle du Saint-Coeur-de-Marie à Chevilly.

Le 12 novembre suivant, il repart avec le P. Tranquilli et s'embarque à Marseille. Mais sa destination n'est plus Saint-Joseph de Ngazobil. Mgr Kunemann veut assurer de son mieux le succès de l'oeuvre nouvelle d'Abouko, et il compte sur lui, espérant le voir arriver le plus vite possible plein de force et de santé. (Lettre du 26 décembre 1907).

Les trois dernières années se passent dans la communauté de Bathurst à laquelle il appartient désormais. Il a le titre et la fonction de jardinier de la ferme-école d'Abouko. Là, comme à Ngazobîl, il ne marchande pas sa peine. Il donne, plein de courage, son complet concours de travail et de direction aux cultures entreprises. Mais ce mal dont il a en à Langonnet une première révélation, l'a suivi ; il a fait des progrès ; le voilà devenu phtisique. Quand il meurt, le 21 mars 1911, c'est à ce mal - la phtisie- qu'il succombe. Il n'était âgé que de 41 ans. Les années passées dans la Congrégation étaient de 27, dont 23 de profession.

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