Le Père Jean BONHOMME,
1890-1959.


L'enfant qui devait devenir le P. Bonhomme naquit, le 24 janvier 1890, au hameau de Brangou, dans la paroisse et la commune de Cras. L'abbé Francoual qui l'avait baptisé sous le nom de Jean, trois jours après sa naissance, lui fit faire sa première communion le 9 juin 1901. C'est le même curé de Cras qui reconnut, dans son petit choriste les qualités de cœur et d'esprit qui l'amenèrent à le diriger, en septembre 1902, vers l'école apostolique de Bordeaux tenue par les PP.. Jésuites.

Jusqu'à cette époque de i902, les apostoliques suivaient les cours du collège de Tivoli. A la suite des lois de Combes, les Jésuites, s'étant retirés de ce bel établissement, organisèrent l'enseignement dans leur école de la rue Moulis. Jean Bonhomme était en quatrième quand il entendit parler de la congrégation du Saint-Esprit dans la conférence que donnèrent les PP.. Trilles et Ganot. Ils furent assez heureux pour attirer trois bonnes recrues : les jeunes Moulis, Arostéguy et Bonhomme. A la fin de la seconde, le directeur de Bordeaux jugea bon de demander leur admission au petit scolasticat de Gentinnes (Belgique) en décembre 1906. Le 8 juillet 1908, Jean Bonhomme obtenait le baccalauréat à Paris. Ainsi diplômé il ne lui restait plus qu'à se présenter au noviciat de Chevilly. Il y émit ses vœux de religion le 3 octobre 1909.

De cette date, au 15 février 1913, où il recevra, avec dispense d'âge, le sacerdoce des mains de Mgr Le Roy, il mènera sa vie de scolastique "bonnement", pieusement, laborieusement, avançant dans la vie avec sa démarche lourde et un peu balancée, sans plus d'histoires que d'apparences extérieures, perdu parmi ses confrères, mais apprécié de tous. Le supérieur provincial notait à son sujet : " Bon enfant. Très pieux, dévoué et souple. Encore jeune, mais en marche vers la maturité. Noté comme très intelligent par ses professeurs. Bon caractère."

En juillet 1913, le P. Bonhomme se consacrait à l'apostolat. Il avait, toujours et sincèrement désiré les missions d'Afrique ; il fut retenu en France pour les œuvres de formation ! L'Afrique il ne la verra jamais, mais que de bons missionnaires il a aidé à lui préparer ! C'est pour cela qu'en octobre 1913 il était nommé professeur à Cellule (Puy-de-Dôme). Il eut tout d'abord às'occuper des vocations tardives et à enseigner le français et le latin dans les classes de quatrième et de troisième. Réformé n' 2, il put, malgré la guerre commencée en 1914, continuer son travail jusqu'en 1917. Mais il aurait fallu qu'il fut bien ainaigri pour passer entre les mailles du filet de la loi Dalbiez qui retenait tout "le matériel humain" tant soit peu utilisable. Il fut donc mobilisé au 105e régiment d'infanterie, à Riom. Il était souvent de garde à la prison de Riom et les cent pas qu'il faisait, par tous les temps, sur le glacis, n'étaient pas pour améliorer l'état de ses bronches qu'il avait délicates. Marches forcées, gardes de nuit, nourriture défectueuse, eurent raison de sa santé. Une pneumonie s'étant déclarée en mars le fit diriger sur le centre d'Angers, qui le réforma en juin 1918. De retour à Cellule, il se reposa et retrouva la santé.

Dès le mois d'octobre, il se trouvait à Paris, inscrit à la Faculté .catholique. Il y séjourna deux ans, le temps d'obtenir une licence en philosophie scolastique, doublée d'une licence ès lettres, avec un certificat de latin et un de grec.

De retour avec ses élèves de Cellule en 1920., il fut dès lors préfet des études, tout en étant titulaire durant trois ans de la seconde A, puis de la première A, jusqu'en 1943.

C'est surtout dans les classes de français que le maître avait l'occasion de déployer les richesse de sa culture et de sa formation, en allant toujours à l'essentiel : les idées et les âmes. Il n'improvisait pas, il ne dictait pas de cours non plus, mais il se servait supérieurement du Manuel de Littérature et des auteurs du programme pour initier les jeunes intelligences à l'histoire de la pensée et aux nuances de l'expression, leur laissant reconnaître dans les grands écrivains ce qui date et ce qui dure, ce qui les sépare et ce qui les rapproche de nous, aidant ainsi à pénétrer, à travers les habits et les coutumes des époques diverses, dans ce qui fait le fond de l'humaine condition.

Il visait d'abord à la clarté en expliquant les mots difficiles ou peu connus ; il dégageait ou faisait dégager par les élèves le plan d'un paragraphe, insistait sur les transitions qui donnent du liant, montrait en quoi la pensée de l'auteur était originale ou, si elle l'était peu, par quels procédés il avait su quand même la rendre intéressante et personnelle. On devine déjà qu'il avait des préférences et quelles elles étaient. Sa prédilection allait aux penseurs et aux moralistes ; parmi les poètes, il préférait ceux qui expriment l'angoisse de l'homme devant les grandes questions, à ceux qui s'amusent aux jeux dangereux de l'amour vague et passionné. Rien d'étroit d'ailleurs dans tout cela, mais beaucoup de tact et de respect pour les âmes qu'il avait à initier à la vie réelle.

Devenu préfet des études pour la province de France, il le sera jusqu'à sa mort ; il aura à stimuler, à guider, à contrôler aussi, aucun détail ne lui restera étranger et, sans être lui-même versé dans la partie mathématique ou scientifique, il veillera à procurer des maîtres qualifiés et, autant que possible, des ressources pour les laboratoires, convaincu que c'était là une vraie nécessité pour la formation de l'esprit...

Au milieu de toutes les fonctions qu'il exerça, le P. Bonhomme resta prêtre, aussi bien à l'intérieur de la maison qu'à l'extérieur. Pendant des années il se chargea des cours d'instruction religieuse pour les classes de première et de seconde réunies. Là aussi, sa parole était plus claire qu'emballante, mais il ne forçait pas son talent et il croyait à la force intrinsèque de la vérité. L'expérience montra d'ailleurs que sa manière inspirait confiance aux jeunes, car peu à peu il dût consacrer plusieurs heures de son temps - déjà bien pris par ailleurs - à entendre les confessions de la semaine, et il ne donnait jamais l'impression d'être bousculé durant ce ministère. Au contraire, il entrait dans tous les intérêts des âmes de ses pénitents, grands ou petits ; il leur demandait des efforts et des progrès dans tous les domaines, usant plus d'encouragements que de reproches, et sa clientèle ne fit qu'augmenter avec les années.

Il convient d'ajouter un mot sur la communauté de Cellule. C'était une bonne équipe, selon le mot du P. Nique, le provincial ; une équipe, un équipage embarqué sur le même bateau qui n'avait rien d'une galère et qui voguait dans la joie et le calme. Le Père Lehéricey tenait le gouvernail ; il ne rencontra jamais d'écueil et n'eut pas à commander de souquer plus fort : l'allure était bonne. Chacun ne mettait en commun que le meilleur de soi-même, et l'on n'avait pas à demander deux fois un service, d'avance il était obtenu. Les récréations étaient joyeuses ; les plaisanteries, malicieuses quelquefois, jamais méchantes, étaient admises, comprises et généreusement rendues. Heureux ceux qui vécurent dans le Cellule de cette époque.

Supérieur de la maison mère. En 1945, le P. Bonhomme fut appelé à la maison mère comme supérieur de la communauté. Certes, il n'avait jamais pensé que pareille fonction pût un jour lui échoir, mais puisque le premier devoir du supérieur est de donner l'exemple de la régularité, il n'avait qu'à continuer de mener à Paris la conduite qu'il avait menée à Cellule. La fidélité de sa présence à la maison surtout. A lui de recevoir les confrères de passage et il le faisait avec cordialité et bonne humeur. Il était surtout heureux de revoir ses anciens élèves rentrant de mission, heureux euxmêmes de retrouver leur maître qu'ils reconnaissaient malgré ses cheveux blancs. A lui d'accueillir les étrangers qui demandaient l'hospitalité ; il lefaisait avec une déférence dosée selon la qualité du visiteur ; cela demandait du tact et du savoir-faire. Le P. Bonhomme n'en manquait pas. Il lui fallait aussi du flair pour distinguer une véritable misère qui demande attention, d'une histoire larmoyante inventée de toutes pièces. Il s'y trompait parfois, comme tout le monde.

Les rares jours de réception à la maison mère étaient un cauchemar pour lui : il aurait voulu, disait-il, se cacher dans un trou de souris ; son rôle de supérieur l'obligeait pourtant à accueillir les invités de marque soit à la porterie, soit à leur voiture. Il le fallait bien, mais à cinquante cinq ans il n'était pas encore parvenu à vaincre sa timidité naturelle.

Supérieur de la maison mère, il était aussi préfet de santé et bibliothécaire. Professeur à Cellule, il ne s'asseyait jamais en classe. A Paris, plutôt que d'errer par les rues ou dans le jardin du Luxembourg, il se rendait dans les hôpitaux où il suivait les confrères en traitement. Ces visites de charité étaient aussi nécessaires a sa santé qu'elles faisaient plaisir aux malades.

C'est dans cet amour de Dieu et du prochain que la mort vint le prendre rapidement le vendredi 30 octobre 1959. Un an auparavant, il avait été retenu à la chambre par une phlébite dont il s'était remis très vite ; et trop vite il s'était remis à marcher, sans penser que ce mal pouvait préparer de loin la crise cardiaque qui l'emporta. .

Ses obsèques eurent lieu le 2 novembre dans la chapelle de la maison mère, en présence de sa famille et de Mgr Fauret un de ses anciens élèves de Cellule ; le supérieur général célébra la grandmesse et le Père Navarre fit la conduite au cimetière de notre communauté à Chevilly.

La lettre de condoléances d'un confrère irlandais, représentant la congrégation près du Saint-Siège, complètera le portrait que nous venons de faire. B écrivait le 3 novembre 1959 au P. Navarre à Paris :

" La nouvelle de la mort si inattendue du Père Bonhomme a été un véritable "choc". Nous l'avons reçue par téléphone au séminaire français, tard dans la soirée. Tous les Pères ont eu pour lui un memento spécial dans leurs messes du lendemain. Pour plusieurs d'entre nous cette mort sera un sujet de méditation plus d'une fois par la suite.

" Je l'ai connu depuis mes années de scolasticat a Fribourg en Suisse, où il avait l'habitude de venir passer les vacances d'été. Quel bon cœur ! et quelle gentillesse de charité ! Et avec tout cela, que le bon esprit ! Il pouvait taquiner tout le monde, sans blesser personne. Une âme d'enfant dans un esprit d'homme formé. Toute ma vie j'ai retenu un souvenir délicieux de ces vacances et de ce charmant confrère si charitable qu'était Jean Bonhomme. Je lui dois tout ce que je sais de la littérature, de l'histoire et de la politique française. On pouvait discuter avec lui, même sur des problèmes français, sans courir le risque de le voir "éclater". Et même quand on défendait le point de vue de l'adversaire dans la guerre de 1914-1918, il répondait calmement sans jamais se fâcher. Que de fois j'ai admiré sa patience et sa bonne humeur.

" Plus tard quand j'étais en Irlande, je l'ai plusieurs fois invité à visiter notre province, lui promettant que je l'accompagnerais partout moi-même. Mais rien au monde ne l'aurait fait traverser la Manche. Il ne se sentait pas àl'aise hors de son "habitat" ordinaire ... Il trouvera certainement quelque difficulté au commencement, pour s'adapter au Paradis ! Mais qu'il obtienne, pour nous tous, son esprit de patience et de charité. "

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