S. Exc. Mgr Pierre BONNEAU
Évêque de Douala
(1903-1957)


Pierre Bonneau est né le 11 juillet 1903, au bourg des Epesses, en plein cœur de la Vendée Militaire, tout près de Saint-Laurent-sur-Sèvre, la cité de saint Louis Grignon de Montfort. Sa famille, modeste mais profondément chrétienne, devait donner à Dieu trois de ses quatre enfants, puisque deux de ses sœurs sont aussi entrées en religion. Il n'est pas surprenant que, dans un tel milieu familial, corroboré par un milieu paroissial fervent auquel présidait un vénérable curé à la main ferme, le jeune Pierre Bonneau ait entendu l'appel divin.

Il entra au petit séminaire de Chavagnes-en-Paillers en octobre 1916 et y fit de bonnes études, couronnées par le baccalauréat. De là, il passa, en 1923, au grand séminaire de Luçon où, sans se singulariser en rien -sinon peut-être par sa haute taille ! - il se fit apprécier de tous par sa piété, son travail, son amabilité, son esprit solide plutôt que brillant. C'était un "bon confrère", et tout faisait croire qu'il ferait plus tard un excellent curé dans quelque bonne paroisse du Bocage vendéen. Aussi fût-ce avec une certaine surprise que l'on apprit, en 1927, qu'il s'orientait vers les Missions et entrait, pour cela, dans la Congrégation du Saint-Esprit.

Il n'eut aucune peine à s'adapter à la vie religieuse et prononça ses vœux, à Orly, le 8 septembre 1928. Il lui restait encore à faire deux ans de théologie, qu'il passa à Chevilly, y suscitant la même estime et la même sympathie qu'au séminaire de Luçon. Ordonné prêtre le 21 décembre 1929, il craignit un moment d'être retenu en France, et c'est avec enthousiasme qu'il reçut, en juillet 1930, son obédience pour le Cameroun.

De fait, il n'aurait pas pu être mieux servi. Le Cameroun de ce temps-là, c'était le pays où, comme on l'a dit tant de fois, " l'Esprit-Saint soufflait en tornade " et où les missionnaires n'arrivaient pas à endiguer le flot des conversions. C'était le cas, surtout en pays ewondo, et notamment autour de la Mission de Mvolyé, près de Yaoundé, qui ressemblait à une ruche bourdonnante de chrétiens qui se pressaient aux offices, de catéchumènes en quête d'instruction, de fiancés venus parler leurs palabres, d'enfants qui affluaient aux écoles, tout cela au bruit des véhicules qui allaient et venaient et des moteurs qui tournaient à plein régime dans les ateliers ! Sur le sommet de "la colline sainte", s'élevait le grand séminaire, qui n'était alors qu'une modeste bâtisse à côté de la petite église construite par les Pallottins allemands. C'est là que le jeune P. Bonneau fut d'abord affecté. Il ne s'attendait guère à être ainsi bombardé professeur de théologie, et il se rendait bien compte que ce n'était pas tout à fait dans ses cordes. Mais les trois Pères qui composaient tout le "staff" du grand séminaire, sitôt leurs cours finis, enfourchaient leur moto et vaquaient à l'évangélisation des villages environnants. Là, le Père Bonneau était à son affaire ! C'était si évident que, deux ans plus tard, il put dire adieu à sa chaire de professeur et se consacrer. entièrement au ministère, qu'il appelait de tous ses vœux. Mais, comme il n'est pas de bonheur sans mélange, il fut aussi nommé procureur du vicariat, ce qui n'était pas une sinécure et impliquait quantité d'écritures et de besognes matérielles qu'il eût volontiers laissées à d'autres.

A Mvolyé, surtout quand il fut devenu le supérieur de la station, le succès du P. Bonneau fut éclatant. Il était vraiment "the right man in the right place." Son abord facile, sa connaissance de la langue, son dévouement toujours disponible, sa bonté aisée à émouvoir, son optimisme qui lui faisait voir le bon côté des hommes et des choses, son aptitude à jouer le rôle de pacificateur, lui gagnèrent tous les cœurs. Il ne se contentait pas de faire face au ministère ordinaire, si écrasant fût-il, il savait s'ouvrir aux problèmes que commençait à poser la rapide croissance de la chrétienté. C'est ainsi que, de concert avec le Dr Aujoulat, il mit sur pied, dès cette époque, un début d'Action Catholique spécialisée.

La confiance que lui témoignaient ses évêques, Mgr Vogt et Mgr Graffin, l'estime que lui accordaient tous ses confrères firent sans doute, en même temps que le témoignage de sa conduite personnelle, que la Maison-Mère de la Congrégation le désigna comme supérieur religieux du district en 1940.

Après la guerre, quand il fallut donner un successeur à Mgr Le Mailloux, pour le vicariat de Douala, le nom du P. Bonneau fut tout de suite prononcé. Les deux vicariats, qui n'en faisaient qu y un jusqu'à 1931, se ressemblaient beaucoup et tout le monde estimait que les grandes qualités que le P. Bonneau avait manifestées dans le rayon limité de la Mission de Yaoundé trouveraient encore mieux à s'épanouir dans le domaine plus vaste d'un Vicariat Apostolique. Ce dut être aussi l'avis du Saint-Siège, car, le 12 décembre 1946, il était nommé évêque titulaire de Themissonium et vicaire apostolique de Douala. Son sacre, qui fut un triomphe, eut lieu à Douala, en plein air, à cause de l'ampleur de la foule que la cathédrale n'aurait pu contenir, le 16 février 1947. Le prélat consécrateur n'était autre que S. Em. le cardinal Liénart, évêque de Lille et président de l'Association Ad Lucem pour laquelle le nouvel évêque avait toujours marqué une vive sympathie.

Il est difficile, en quelques lignes, de rendre compte de dix années d'un épiscopat aussi actif que celui de Mgr Bonneau. Disons seulement qu'il fut le chef, celui qui sait voir, et qui sait prévoir, qui ose tout entreprendre et que rien ne décourage. Peutêtre, à certains, son optimisme inconfusible a-t-il parfois paru naïf, et ses directives parfois essoufflantes à suivre. Mais outre son zèle pour l'avancement du royaume de Dieu, sa foi simple et hardie qu'aucune " montagne " ne déconcertait, son dévouement que rien ne lassait, il avait un vif sentiment de l'évolution extrêmement rapide du Cameroun d'après guerre, et il était anxieux que la chrétienté ne se trouvât dépassée par les événements.

De là l'importance qu'il donna à l'Action Catholique spécialisée, au laïcat missionnaire, à la Légion de Marie, à la Presse, aux œuvres d'éducation. C'est avec son appui que la J.O.C., par exemple, a pris le développement qui a permis la rencontre panafricaine de Douala, en septembre 1956, qui fut une de ses dernières joies. C'est sous sa responsabilité que le vaillant Effort Camerounais a pris la succession du Cameroun Catholique d'autrefois. C'est à lui que l'on doit le Collège Libermann et le Centre d'apprentissage de Douala, ainsi que l'École normale de Makak.

En même temps, le ministère traditionnel n'était point négligé : la preuve en est que, sous son épiscopat, le nombre des stations a presque exactement doublé, passant de 21 en 1946 à 41 en 1956, les prêtres camerounais du diocèse de 10 à 34 et que le chiffre des catholiques s'est élevé de 125.000 à 178.000.

Pour faire face à ce développement de la chrétienté, ni les missionnaires spiritains, ni le clergé local ne pouvaient suffire. Mgr Bonneau n'hésita pas à faire appel à des prêtres séculiers de France, à des Dominicains, à des Eudistes ; il ouvrit son diocèse à plusieurs instituts de religieux et de religieuses : Frères du Sacré-Cœur, Frères des Ecoles-Chrétiennes, Sœurs de Chavagnes, Filles de Notre-Dame-du-Sacré-Cœur, Sœurs de Notre-Dame-du-Mont-Carmel, sans oublier les Petits Frères et Petites Sœurs de Jésus, du P. de Foucauld, auxquels il portait beaucoup d'intérêt.

Avec l'établissement de la hiérarchie en Afrique française, il fut nommé évêque résidentiel de Douala et, quelques mois plus tard, en novembre 1955, il recevait un auxiliaire en la personne d'un de ses prêtres camerounais, Mgr Thomas Mongo. Inutile de dire sa joie et sa fierté de se voir associer dans l'épiscopat un membre de ce clergé indigène auquel il avait consacré les prémices de son apostolat africain.

Cependant, au cours de 1956, la tournure que prenait l'évolution politique du Cameroun lui inspirait de graves appréhensions, aussi bien à Douala, où des troubles avaient lieu, que dans tout un secteur de son diocèse : le pays bassa. Malgré l'estime universelle de tous les gens de bien, il s'était trouvé en butte aux attaques et aux calomnies de l'U.P.C. (Union des Populations Camerounaises), ce parti dont les excès ont montré les attaches avec le communisme moscovite, et contre la propagande duquel il avait dû mettre en garde ses diocésains.

Et voilà qu'il commençait à ressentir une fatigue et des douleurs inhabituelles. Comme celles-ci semblaient se localiser dans la colonne vertébrale, il pensa aux séquelles d'une mauvaise chute qu'il avait faite quelque temps auparavant. Il dut être hospitalisé et ne put célébrer Noël dans sa cathédrale. Dans le courant de janvier, son état s'aggrava. Les soucis que lui causaient les troubles de la période électorale, durant laquelle la vie de plusieurs de ses prêtres et l'existence de quelques-unes de ses Missions furent en danger, n'étaient pas pour améliorer sa condition. Ne parvenant pas à déceler la cause exacte du mal, les autorités médicales de Douala décidèrent le rapatriement d'urgence.

Le voyage, si rapide qu'il fut, le fatigua beaucoup et il débarqua àl'aérodrome d'Orly, le vendredi 25 janvier, dans un état alarmant. On le transporta à la clinique des Augustines de la rue de la Santé, en vue d'une intervention chirurgicale éventuelle, mais celle-ci n'ayant pas été jugée possible, il fut transféré à l'Hôpital Pasteur, où l'on diagnostiqua la leucémie foudroyante qui devait l'emporter. Les autorités de la Maison-Mère, Mgr Bernard archevêque de Brazzaville qui avait jadis travaillé sous ses ordres, le R. P. Coudray, son vicaire général, quelques confrères et amis, ses trois sœurs et M. le curé des Epesses accourus de Vendée, quelques religieuses et même un scolastique bassa étudiant à Chevilly, se trouvaient à ses côtés. Il rendit le dernier soupir à 16 heures, le dimanche 27 janvier, troisième après l'Épiphanie, celui-là même où l'on lit, à la fin de l'épître de la messe, les mots de saint Paul qu'il avait choisis comme devise épiscopale : Vincere in Bono, vaincre le mal en faisant le bien, triompher par la bonté. Plus qu'une devise, c'était un programme, et on peut dire qu'il l'a pleinement réalisé.

Ses obsèques eurent lieu à Chevilly le mercredi 30 janvier. La Messe pontificale de Requiem fut chantée par S. Exc. Mgr Bernard qui donna ensuite l'absoute. Dans la nombreuse assistance on remarquait LL. Exc. NN. SS. Cazaux, évêque de Luçon ; Chappoulie, évêque d'Angers ; Yougbaré, évêque de Koupéla ; Pineau, des Missions Étrangères de Paris ; MM. les chanoines de Provenchères, représentant S. Exc. Mgr l'Archevêque d'Aix, et Riobet, vicaire général dAngers ; Mgr Bertin, président des Œuvres pontificales missionnaires ; MM. les abbés Desponts, représentant Mgr Bressolles, de Foucault, directeur de l'OEuvre apostolique, Bretaudeau, aumônier d'Ad Lucem ; M. le chanoine Gilbert, supérieur de l'Institution Merveilleux-du-Vignaud, aux Sablesd'Olonne ; M. l'abbé Deriez, doyen de Pouzauges, ancien curé des Épesses et le vicaire de cette paroisse ; les RR. PP. Provinciaux des Pères Blancs, des Pères Dominicains, des Pères Jésuites et le R.P. Rétif, S.J. Étaient venues aussi de nombreuses religieuses appartenant aux Congrégations présentes dans le diocèse de Douala, ainsi qu'un groupe important de Camerounais ayant à sa tête un représentant de la délégation de ce territoire à Paris, et Mesdames Aujoulat et Mbida.

Le même jour, à Douala, un service solennel fut chanté par Mgr Mongo, sous la présidence de Mgr Lefebvre, délégué apostolique, en présence de Mgr Graffin, d'un représentant du Haut-Commissaire, du Maire, des autorités civiles et militaires, de tout le clergé séculier et régulier, des religieuses, des représentants des diocèses de Nkongsamba et du Cameroun britannique, et d'une foule considérable de fidèles. Le 31, un service solennel eut lieu à Yaoundé, en présence du Haut-Commissaire, et dans la huitaine, un autre aux Épesses. - Le lundi 4 février, la dépouille mortelle de Mgr Bonneau fut emmenée en auto de Chevilly à Rouen, où elle fut embarquée dans l'après-midi à bord du s/s Daloa, des Chargeurs Réunis, à destination de Douala où elle devait arriver dans les premiers jours de mars.

Dès son arrivée, un immense cortège se formait : 20.000 fidèles, priant, chantant des cantiques dans leurs diverses langues. La grand-messe fut célébrée par Mgr Thomas Mongo, assisté de l'abbé Nicolas de Yabassi et du Père Viennot. Elle était présidée par Mgr Graffin, archevêque de Yaoundé, assisté de NN.SS. Paul Bouque, Plumey, Etoga et du Vicaire général de Doumé. De nombreuses personnalités civiles et militaires, parmi lesquelles M. le Délégué Bergerol, Mme Messmer, le colonel Margerel, M. Soppo Priso et M. Tokoto maire de Douala.

A l'issue de la cérémonie, Mgr Graffin prononça l'oraison funèbre du défunt, retraçant surtout la physionomie morale de celui qui avait été pendant 17 ans son collaborateur à Yaoundé avant de devenir son collègue dans l'épiscopat, pendant 10 ans, comme évêque de Douala.
Joseph Bouchaud

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