Le Père Jean BORBES, 1866-1931

Né à Rébénacq, diocèse de Bayonne, le ler novembre 18,66, Jean Borbes entra en 6~- au collège Sainte-Marie, à Oloron, en 1879 ; il y fit toutes ses classes, passa au grand séminaire de Bayonne en 1886, d'où, après deux ans de philosophie et deux ans de théologie, il se présenta, en décembre 1889, à l'Abbaye bénédictine de Belloc, à Urt. Son noviciat achevé, il prononça ses vœux, à l'expiration desquels des raisons de famille l'obligèrent à entrer dans le clergé séculier et à exercer les fonctions de professeur au collège de Saint-André de Cubzac, près de Bordeaux (mai 1894). Il hésitait pourtant à s'inscrire dans le diocèse de Bordeaux, où on l'eût volontiers reçu, quand la lecture des Annales de la Propagation de la Foi, - un récit du Zanguebar - le détermina àsolliciter son admission au noviciat de la Congrégation du Saint-Esprit, à Orly. Il n'avait plus de nécessité à se dévouer aux intérêts des siens, il était libre de tout souci matériel, il fit donc profession le 14 février 1897. Le même jour il fut ordonné sousdiacre et destiné à partir sans retard pour Haïti.

C'était le temps où la fièvre jaune venait de faire en un mois, à Haïti, quatre victimes parmi les Pères du séminaire-collège SaintMartial ; il fallait du renfort. Ce départ précipite, le changement de climat et de société, les hésitations et, on peut le dire, le caractère même du P. Borbes, tantôt expansif et débordant de confiance, tantôt porté à la tristesse-et comme fermé, tout cela, loin du noviciat, de la chaude intimité qui y règne, bouleversa le professeur qui, après avoir rêvé d'apostolat, se trouvait à Saint-Martial dans une classe sans horizons lointains, comme il en jouissait à Saint-André. Il rêva de son monastère de Belloc, craignit d'avoir fait fausse route et fut sur le point de se décourager. Mais enfin ordonné prêtre le 20 février 1898, il se vit confier quelque ministère, devint aumônier du Pensionnat des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny, et à la fondation de la maison des missionnaires de SainteMadeleine fut associé au P. Lebelley pour inaugurer I'œuvre des Missions en Haïti ; il prêcha avec grand succès et avec fruit, surtout quand commencèrent les exercices du jubilé de fin de siècle (1901). Avait-il enfin trouvé sa voie ? Il ne le semble pas. Son naturel, trop porté à se donner, le desservit ; il eut quelques légers ennuis qui lui firent désirer de changer de milieu. Il revint en France en 1902.

Cette première expérience en pays créole n'empêcha pas pourtant ses supérieurs de l'envoyer à Maurice, où'il devait trouver des circonstances analogues. Maurice lui convint ; il y resta vingt-cinq ans. La Congrégation venait d'accepter la desserte de la paroisse de Notre-Dame de la Salette à Grand-Baie, avec résidence du curé à la cure voisine des Pamplemousses. Le P. Borbes en fut chargé et la garda de novembre 1902 à septembre 1903. Son zèle ne recula pas devant les courses continuelles qu'exigeait le soin de son troupeau, mais ces courses le fatiguèrent et altérèrent sa santé Force lui fut d'abandonner Grand-Baie. il fut nommé vicaire à l'Immaculée de Port-Louis, paroisse dont l'administration venait d'être remise aux spiritains. Vicaire, on le chargea spécialement de la paroisse annexe des Cassis avec 4.000 âmes et d'un lazaret. Il y resta jusqu'au mois de mars 1908, quand il devint curé de Mahébourg. Cette paroisse avait 16.000 habitants, dont 6.000 catholiques ; avec son vicaire, le P. Borbes entreprit le ministère qui lui revenait : il avait charge du centre paroissial et de la chapelle du GrandSable, où il se rendait chaque mois en pirogue. Tel était le service ordinaire. Parmi les cérémonies extraordinaires, il note la mission, qui, donnée tous les sept ans dans chaque paroisse de Maurice, coïncida pour Maurice, coïncida pour Mahébourg avec son administration. A la fin des exercices, il fit planter une croix à l'entrée de la baie, sur l'île de la Passe, au point où s'était livré, un siècle avant, le 30 août 18 10, le combat mémorable du Grand-Port, afin que la croix étendit ses bras sur les îlots où avaient été ensevelis les marins anglais et français péris dans la bataille.

Après quatre ans à Mahébourg, le P. Borbes demanda un poste moins pénible. On l'envoya en France prendre quelque repos (avril 1912) et àson retour à Maurice, en octobre suivant, il fut nommé vicaire de Souillac. Il devint, le 26 novembre 1914, curé de cette paroisse. Souillac est un port de mer charmant, mais les fièvres en ont chassé petit à petit les riches familles d'autrefois, qui n'y reparaissent que pendant la bonne saison. Du mois de novembre au mois de juin, Souillac est presque désert. Si le clergé n'avait à desservir les trois chapelles : Rivière-desAnguilles, Camp-Diable et Grand-Bois, le ministère y serait la plus douce des saintes distractions ; pendant neuf mois de l'année, c'est un poste peu fatigant pour le curé, vieillard d'ordinaire. Il en est tout autrement pour le vicaire : toutes les semaines il est par monts et par vaux ; son ministère àpeine fini dans l'une de ses trois chapelles, il part pour une autre à 10 et 15 miles du centre. Le P. Borbes sut entreprendre les labeurs du vicaire et, curé, resté seul sans vicaire, il continua les courses lointaines. Prédicateur très goûté, il attira beaucoup de paroissiens à l'église ; de même son goût pour les belles cérémonies et les beaux chants captivèrent ses créoles. La mission donnée par les Jésuites a Camp-Diable et àRivière-des-Anguilles remua les âmes ; les écoles paroissiales furent poussées avec ardeur et obtinrent de francs succès ; de nouvelles œuvres se fondèrent, en particulier celle des Dames adoratrices, pour multiplier les prières dans la disette d'ouvriers apostoliques. Le district de Souillac comprenait, en 1914, 20 à 25.000 âmes, dont 5.000 catholiques ; les autres étaient indiens ou protestants. Des catéchistes indiens étaient chargés d'instruire leurs congénères et de les préparer au baptême ; il y en avait déjà 800 de convertis, quand, en 1916, les exigences de la guerre forcèrent d'abandonner cette œuvre. Une autre contrariété survint plusieurs industries sucrières qui faisaient la richesse de la paroisse modifièrent leur exploitation ; par suite, bon nombre de créoles qui y étaient employés se retirèrent en d'autres quartiers, la paroisse y perdit de ses fidèles.

Néanmoins le curé réussit à construire une grande et belle église à la Rivière-des-Anguilles et mit cette section. en état d'être érigée en paroisse indépendante avec deux annexes : Grand-Bois, déjà existant, et Riche-Bois nouvellement créé. " L'édifice, écrivait le P. Borbes en 1924, nous a coûté 42.000 roupies et quelques cheveux blancs. Pour nous procurer cette somme, nous avons frappe à toutes les propriétés sucrières ; administrateurs et propriétaires, tous ont répondu généreusement à notre appel ; souscriptions, fêtes de charité et visites intéressées plus qu'intéressantes, rien n'a été négligé ; et le résultat est une demeure plus vaste et plus convenable pour l'hôte divin de nos tabernacles. " Le Père pourtant se sentait vieillir ; il avait acquis une automobile pour se soulager dans ses courses ; il continuait d'aller, comme il le disait, à travers ses champs de canne, faisant le plus de bien possible, jusqu'à ce que Dieu lui dise : Halte! repos!

Le repos imposé par Dieu était proche. En mars 1926, le Père Borbes fut nommé desservant de la chapelle du Rosaire, à SaintJean ; en avril 1927, il devint curé de l'Immaculée à Port-Louis peu après il passa comme administrateur à la cathédrale.

Le ler mars 1928, il rentra en France. Il y vécut trois ans. Il prit d'abord les soins qu'exigeait son état, visita son ancien monastère de Belloc, songea même à s'y retirer, puis géra pendant plus d'une année le domaine d'Emballoge près de Mirande dans le Gers, et enfin mourut tout doucement à Pau, chez son frère, d'une crise d'urémie, entouré des soins les plus affectueux de sa famille et des attentions les plus délicates du clergé de Saint-Martin. Deux de nos confrères de Bordeaux, les PP. Zimmermann et Gallot, assistèrent à ses obsèques qui eurent lieu à Rébénacq. le cure, neveu du prêtre qui avait donné au missionnaire défunt les premières leçons de latin, rappela en termes émus, avant l'absoute, l'enfance et la carrière apostolique de notre regretté confrère. Près de l'église de son baptême, il repose désormais auprès de son père et de sa mère.

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