Le Père Alfred BRAUN
décédé subitement à Saverne, le 1er février 1954, à l’âge de 64 ans


P. Alfred Braun naquit à Rossfeld, près de Benfeld, dans le Bas­Rhin, le 29 mars 1890, dans une famille nombreuse et profondément chré­tienne. Un de ses frères, le T. R. Fr. Félix, qui vient de trouver la mort dans un accident d'auto, était Supérieur général des Frères de Matzen­ieim; un autre de ses frères, le cher Fr. Wendelin fait partie de la Com­munauté de Wolxheim. Deux sœurs sont religieuses : Sr Bonosa, chez les Sœurs de la Toussaint, à l'hôpital de Colmar, et Sr Angèle, plus jeune qu'Alfred, Supérieure des Sœurs du Saint-Esprit à Yaoundé. Un neveu a suivi son oncle, le T. R. Fr. Félix, chez les Frères de Matzenheim.

Alfred entra à l'école apostolique de Saverne en 1902. De 1905 à 1910 il poursuivit ses études classiques à Knechtsteden. Entré au Novi­ciat de Neufgrahge, il y fit profession le 29 septembre 1911. De 1911 à 1916, on le retrouve à Knechtsteden, où il fut ordonné prêtre, le 29 Juin 1915, et fit sa consécration à l'apostolat , le 9 Juillet 1916.

Le jeune Père Braun ne désirait rien tant que partir en missions; mais les hostilités l'obligèrent à patienter encore à Knechtsteden,,où il fit du ministère, de 1916 â 1918.

La fin heureuse de la première guerre mondiale donna à la Congrégation la Mission si florissante du Cameroun et le P. Braun y fut un des premiers affectés; il. partit le 28 février 1919 et fut d'abord placé à Yaoundé.

Déjà, cette ville était le centre le plus important d'un beau pays en plein essor. Le travail y était écrasant sur tous les plans d'évangélisa­tion, à la mission et en brousse, dans les églises, les cases-chapelles, et surtout dans les écoles pleines à craquer où grouillait tout un monde avide de civilisation. Les pauvres Pères étaient littéralement mangés par un ministère tellement surchargé qu'il aurait fallu quadrupler d'un coup tout le personnel pour pouvoir respirer un peu en allant seulement au plus pressé.

Le pays était ouvert et bien organisé, et même dans la méthode d'é­vangélisation, on n'avait rien de neuf à inaugurer, mais simplement à continuer et à développer ce que nos prédécesseurs, les PP. Pallotins, avaient laissé. Le P. Braun, connaissant l'allemand et aimant beaucoup les aventures, se trouva bien vite dans son élément. Unique en son genre, il se lançait corps et âme. Homme de force, un vrai dompteur, il ne mesurait rien, ne se laissait rebuter par rien. Il s'était vite taillé un champ d'action à lui, ce qui était facile dans cette immense mission. Il choisit la partie sud, vers la vallée du Nlong, avec une population très dense et bien avancée, Le centre en était Akono, situé sur la grand'route de Kribi qui relie Yaoundé à la mer, un vrai carrefour de pistes où pas­saient la plupart des porteurs venant de l'Est et se rendant à Eseka, terminus du chemin de fer.

Déjà les Allemands avaient été frappés par l'importance de ce poste et y avaient fondé une école centrale garnie de plusieurs écoles de brousse. Pour Noël 1921, le P. Braun s'y installa définitivement, bien que le poste ne fût érigé en Mission qu'en novembre 1923, Secondé par d'excellents catéchistes, il inspectait régulièrement les différents postes de brousse, présidant les examens de baptême, préparant les jeunes cou­ples au mariage. Le Père trouvait encore du temps pour se livrer au ma­tériel où il excellait, et travaillait comme un héros. La chrétienté était alors dans sa première ardeur, dynamique, généreuse. Il n'y avait pas de crise pécuniaire et la mission se suffisait largement à elle-même. Ainsi, dès le début, le Père se faisait entièrement indépendant et pouvait se lancer à fond. Ce fut son malheur : n'arrivant pas à se limiter ni à pren­dre quelque repos, il bâtissait, plantait, bêchait, creusait, et toujours, çà n'allait pas assez vite à son gré. Il confessait dès 5 h. du matin, avant sa messe, pour pouvoir se lancer immédiatement au travail de la brique­terie, du jardin, des plantations, de la menuiserie, des scieurs dans la forêt, etc... Pour activer le tout, il s'y mettait. lui-même, et combien de fois n'a-t-il pas entendu ses Noirs lui dire : « Le Blanc ne peut faire cela sans mourir »; ils prêchaient à un sourd, et l'inévitable devait arriver : le Père fut terrassé par un terrible fièvre bilieuse, à la Pentecôte 1921, cinq mois à peine après son arrivée dans la Mission. Il s'en tira, mais dut rentrer d'urgence en France, et garda, hélas ! toute sa vie, les malheu­reuses empreintes de ce cataclysme néfaste pour le physique et moral. De caractère naturel très personnel, le Père avait toujours eu beaucoup de difficultés à s'adapter aux gens et aux lieux; désormais, il en aura encore davantage. Aussi n'est-on pas étonné de le voir dans la suite chan­ger souvent de communauté, de région et de pays, passant successive­ment à Matzenheim, à Saverne, à Neufgrange, à Gentinnes et au Canada.

C'est du collège Saint-Alexandre, où il fut un an, économe, que nous le voyons revenir au Cameroun, en septembre 1929, où il passe à Nlong, à Akono, comme directeur, à Omvan, à Etudi.

Il retrouva bien changée sa mission d'autrefois, et les Noirs aussi. Une vraie ruée avait commencé vers les écoles, la jeunesse avait faim et soif d'enseignement, meilleure garantie pour pouvoir se tailler une belle place pour l'avenir. Le fait d'avoir le petit séminaire intervicarial favorisait ce mouvemen t.

Le P. Braun n'avait plus ses facilités d'autrefois - il ne fut jamais un spécialiste dans la langue du pays - mais, par contre, il était devenu plus autoritaire. Il aimait les foules, la pompe, les grandes fêtes, mais il criait d'une voix de tonnerre, et ses yeux lançaient des éclairs. A cette époque, on pouvait encore se permettre de telles sautes d'humeur : la crise d'autorité actuelle n'existait pas. Toutefois, l'impression sur les fidèles n'était pas des plus heureuses et le Père s'en ressentit dans la suite. Il avait plus de succès dans le matériel, grâce au Fr. Alphonse, spécialiste et maÎtre en presque tous les métiers. Une seule année a vu surgir, comme bâtiments définitifs couverts en tuiles, la maison des Sœurs, une grande et belle menuiserie presque luxueuse et un corps de bâtiment pour les écoles. Dans ce domaine surtout, le Père a eu de la chance. Le P. Bouchaud, professeur au séminaire, se sacrifia pour diriger l'école, et harmonisa tout le programme officiel; on arriva à de beaux résultats.. Au retour de congé en France du P. Stoll, le P. Braun fut nommé supé­rieur de la Mission d'Omvan, poste important vers l'est de Yaoundé, trois fois plus grand qu'Akono. Quant au spirituel, le Père avait tout un état ­major : les, PP. Hürstel, Perraud, Guillemin, Muller, Fischer; mais au matériel, il ne retrouva pas, de loin, les installations et l'outillage laissés avec tant de regret à Akono. Il fallait de nouveau recommencer à cons­truire, à courir après les scieurs, à surveiller les menuisiers, les maçons, en même temps que les plantations et le jardin. On avait hâte de voir achevée la maison qui devait recevoir les premières Sœurs de la Sainte­ Croix de Strasbourg. Les Pères aussi voulaient une maison définitive. Pour des raisons de commodité, on quitta la belle colline dominant la ré­gion, et on commença à construire plus bas. Les hauteurs devaient ser­vir aux futurs médecins de l'hôpital projeté par l'Association « Ad Lu­cem » ! Mais alors, que de constructions en perspective ! Déjà l'avant ­aurore de « Ad Lucem» faisait dire au Père: « Per lucem ad crucem ! » Pourquoi ne pas recommencer les voyages, lui qu'on aimait à appeler le «globe-trotter» de la Congrégation» ? Nous le voyons peu après, en 1936, directeur de la Mission d'Etoudi, sur la route du nord, dernière Mission. Il aura pris ainsi. en Afrique comme en Europe, toutes les directions.

Etoudi avait déjà une belle école, une case-chapelle spacieuse cou­verte en tuiles, une menuiserie définitive et des dépendances convenables servant d'habitation aux Pères. Et pourtant, il fallait, ici encore, cons­truire une maison pour les Sœurs de Niederbronn et une maison défini­tive pour les Pères. Le P. Braun ne devait pas l'habiter. Epuisé et malade, il se décida à quitter son cher Cameroun, laissant tout près. à Mvolye, sa chère sœur Angèle, supérieure de la communauté, et son frère, le Fr. Wendelin...

Il arriva en Alsace en septembre 1938 et fit fonction d'aumônier à l'hôpita1 de Saverne jusqu'à la déclaration de guerre. Rentré en commu­nauté, il s'adonne au ministère. Puis, de juillet 1947 à février 1948, il est de nouveau l'aumônier de l'hôpital de Saverne. En mai 1950, Mgr l'Evê­que de Strasbourg lui confie l'aumônerie de l'hôpital psychiâtrique, à une quinzaine de kilomètres au nord de Strasbourg. En janvier 1954, le P. Braun demandait au R. P. Provincial de le libé­rer de ses fonctions pour lesquelles il ne se sentait plus suffisamment d'aptitude et de forces. Le Seigneur allait se charger lui-même de l'en relever d'une façon tout inopinée. Le 1er février, le Père était venu à la communauté de Saverne pour fêter l'anniversaire du Vénérable Père. Après le repas, voulant faire une visite à l'hôpital, il tomba subitement, frappé d'apoplexie, à cent mètres de Saint-Florent. Quelques minutes après, il mourait. On put tout juste lui donner une dernière absolution et une onction sainte.

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