Le Frère MARIE-GILLES Briand
décédé à Limbour (Canada)) à l’âge de 67 ans et après 47 ans de profession.


Tout le monde, à Saint-Alexandre, connaissait le bon et saint Frère Marie-Gilles, grande figure empreinte d'une certaine originalité demeurée légendaire. Tous ceux qui l'ont côtoyé, des années durant, alors qu'il remplissait l'humble charge de réfectorier, ont gardé de lui le meilleur souvenir.

Il a été plus de trente ans au service de la communauté de Saint­Alexandre. et durant les dernières années de sa vie, alors qu'il avait-dû résigner ses fonctions devenues trop épuisantes pour son âge et sa santé chancelante, il avait encore trouvé moyen de se dévouer au service des petits séminaristes en s'occupant de la propreté de leur réfectoire. Nous devons à cet admirable Frère, dont la vie a été un véritable tissu de dévouement caché et ininterrompu. l'expression de notre gratitude la plus profonde. Il fut pour ses confrères un exemple vivant de foi profonde­ et de dévouement héroïque, le modèle d'un homme qui ne s'est jamais lassé de faire son devoir, et cela jusqu'à la dernière limite de ses forces. Toujours il ne fut que simple Frère convers, mais combien édifiant!

Aristide-Alfred Briand naquit dans un hameau de Plumaugat, au diocèse de Saint-Brieuc, le 25 août 1883. Ayant fait ses humanités, le jeune Briand entrait au noviciat des Frères, à Chevilly, en 1898. Profès le 14 mai 1905, il était affecté comrne tailleur à la communauté même de Chevilly. Il passa ensuite deux années à Gentinnes (1911-1913) avant d'ar­river a Langonnet. C'est de là qu'il partit aux armées en 1915.. A sa dé­mobilisation, en 1919, il passa encore quelques mois à Langonnet, et fut portier, au noviciat d'Orly durant l'année 20-21.

En septembre 1921, les voyageurs du paquebot « Corsican », qui allait de Cherbourg à Montréal, ne furent pas peu intrigués de voir sur la liste des passagers de 2e classe le nom d'Aristide Briand. Ils cou­rurent immédiatement interviewer l'illustre homme d'Etat, à la chevelure abondante et à la moustache à la gauloise; mais leur déception fut grande en ne trouvant qu'un petit homme au crâne dénudé et puissant, l’oeil vif et plein de pensée... « ui, ui, » . , c'était le Frère Marie-Gilles. de la Congrégation du Saint-Esprit

Avec le P. Piacentini et le Frère Isidore, il venait prêter main forte au personnel de Saint-Alexandre. Alors que le P. Supérieur n'avait fait qu'un bref séjour - ui..ui.., il n'y a rien d'ëtonnant à cela » - le le F. Marie-Gilles allait être un pilier de la maison pendant trente ans

S'acquittanl avec persévérance et méthode de sa fonction de réfectorier, il a épargné aux autorités de la maison le souci de chercher chaque année, un remplaçant. « Voyez-vous, ce que je fais, il en faudra trois pour, me remplacer. . . »

Vie très simple, faite de ponctualité et de régularité; elle se résume en un long et empressé pèlerinage d'un réfectoire à l'autre avec une pile d'assiettes ou un paquet d'ustensiles, ou une brassée de pains ; le Frère a manié son millionième pain bien compté - mais vie émaillée de pittoresque. Le Fr. Marie-Gilles était un contemplateur, un philosophe et un amateur de science.

Il a vu, de son point fixe, plusieurs générations d'élèves, plusieurs générations de confrères se succéder : « Les autres passent, voyez-vous; moi, je reste... » Comme le sage oriental, il était assis, immobile, au centre de la roue universelle. Ceux qui arrivaient, Pères, Frères, élèves, étrangers, ne faisaient pas attention à ce petit bonhomme dressé ou dé­ambulant, tête baissée, devant la clôture. de la maison. Mais je vous dis, qu'il avait un oeil, « ui. . ui. . », un oeil qui n'était pas long à juger son homme. Cela pouvait prendre deux ou trois jours, mais cela finissait par sortir, soit directement devant l'intéressé, soit au cours d'une con­versation: une appréciation lapidaire qui vous cloue son homme. « Voyez­vous, moi, je n'ai pas besoin de discours... je vois mon homme tout de suite ». Il fallait accepter, que vous soyez évêque, diplomate, ancien digni­taire, supérieur, membre du personnel, élève, peu importe ! « La vérité! la sincérité, voyez-vous, ça prime tout! » Que vous soyez « un vrai saint, un saint forcé ou un qui essaie de le faire croire. . » - « un homme luna­tique ou un homme pas intelligent pour la fonction que vous avez. . » « que vous soyez né un vendredi, le jour de Vénus » - « que voulez-vous, c'est la vérité, j'y puis rien »

Le Fr. Marie-Gilles était un philosophe, homme de principes et de réflexion. Les principes et la réflexion, ce n'est pas à la portée de tout le monde: «Bon, alors bon, attendez... bon'... je vous l'explique». Des principes, il en avait pour lui d'abord: la crème des préceptes de la sagesse antique et du christianisme; il les a rassemblés sur un carton jauni par la lecture et qu'il montrait à ses intimes; ça s'intitulait: «Le levier pour les jours de grande courbature». Confucius avait le grand et le petit véhicule, la haute et la petite sagesse; mais le Fr. Marie­-Gilles, lui, sauf sa taille, n'avait rien de petit. C'était de l'héroïsme. « La vie est facile, ce sont les hommes qui la rendent difficile ». Quand on lui suggérait timidement quelque modification ou addition au carton, le bon Fr. Marie-Gilles répliquait: « Rien du tout, pas un iota ! Tout y est, est complet! »

Des principes pour les autres?... IÏ en avait aussi, mais ceux-là seulement dont l'application trouvait le prototype chez lui. Il avait fait la campagne de Verdun et, comme à Saint-Alexandre, il avait vu beau­coup d'hommes de tout caractère, de toutes capacités, il en avait tiré de fructueuses réflexions au point d'en devenir un peu misanthrope: « Pour trouver du bien chez les hommes il faut l'inventer ». Mais cette misan­thropie était tempérée de beaucoup d'humanité et de dévouement. La sinérité était à ses yeux une pierre aussi précieuse que rare. Il avait même son épithaphe: « Ci-gît un quidam qui chercha la sincérité et ne la trouva nulle part ». L'homme parfait est l'homme « sine cera... ui... ui …sine, cera... vous entendez bien! »

Le Fr. Marie-Gilles était amateur de science. Il avait fait ses humanités et en a toujours gardé le goùt de l'étymologie et de la science ­du calendrier. Vivant dans un milieu de professeurs, il n’avait pas de plus grand triomphe que de les prendre en défaut sui l'origine d'un mot. « Ah! mais vous ne savez rien?. . Ui. ui. ., ce n'est pas la peine d’être docteur si ne vous ne savez pas cela ». Si, par contre, c'était lui qui était pris en défaut, il battait en retraite en vous amenant sur son terrain, la science du calendrier, des lettres dominicales, de l'épacte et du nombre d'or; et là, vous étiez enfoncé. Si vous lui demandiez son âge, il vous répondait qu'il avait « tant de lustres, de cycles lunaires ou de cycles solaires ». Ce n'est certes pas une façon commune de s'exprimer; mais le Fr. Marie-Gilles n'avait rien de commun. Sa science des chiffres était vaste et dépassait le calendrier. Combien de mouches faudrait-il mettre bout à bout pour encercler la terre?. . . combien de cheveux l’homme-type doit-il avoir?... combien de secondes le bon Frère avait-il déjà vécu lui-même?. . T'out cela était l'objet de calculs patients. En somme, le Fr. Marie-Gilles était un « homme dépareillé »,. Mais il ne faut pas s'y tromper: le Fr. Marie-Gilles n'était pas qu'un cerveau: il avait du cœur, beaucoup de cœur. Il nourrissait pour les col­légiens, ses enfants, un grand amour. Ceux-ci lui jouaient parfois des tours, mais n'avaient jamais raison de sa bonté. Un renvoi d'élèves était un événement qui l'atteignait profondément. Semblable à une vieille bonne de famille qui défend les enfants et les soustrait à la fessée pater­nelle, lui, il dérobait les siens à la vigilance préfectorale.

En mai 1951, le Frère, affligé d'une hernie étranglée, dut être hospitalisé au Sacré-Coeur de Hüll. L'opération avait bien réussi, mais il était très difficile de persuader le malade de rester tranquille dans son lit; avant qu'on se soit résolu à l'attacher, il bougeait constamment et était même sorti de son lit. On pouvait s'attendre à une congestion pul­monaire. Elle se déclara de fait le dimanche 27 mai; malgré tous les soins et un traitement à la pénicilline, rien ne put entraver le progrès du mal.. Le Frère fut administré le dimanche même. Très faible, mais conservant toute sa lucidité, le malade baissait visiblement. Avec de très légers signes de tête, il s'associait aux suggestions de piété qui lui étaient faites, et il égrenait faiblement son chapelet.

Après avoir reçu une dernière absolution et l'Indulgence plénière, il s'éteignit doucement le soir du lundi 28 après avoir perdu connais­sance. Il fut inhumé le jeudi suivant dans le cimetière de la communauté.

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