Le Père Maurice BRIAULT
décédé à la Maison-Mère le 5 mars 1953,
à l'âge de 78 ans et après 55 années de profession.


Il était, né le 3 Novembre 1874, d'une famille de cultivateurs au village de la Vérablière, dépendant du gros bourg de Percy dans la Manche.

C’était donc un Bas-Normand et il garda toujours, au physique comme au moral, l'empreinte de son terroir, ayant solidement les pieds sur terre et ne s'en laissant point conter. Mais il avait en même temps une âme d’artiste, sensible et vive, et ce mélange de réalisme et d'idéalisme lui composait une personnalité vigoureuse, hors de la commune mesure, qui lui valut beaucoup de satisfactions et pas mal d'ennuis.

Il commença ses humanités au collège oratorien de Saint-Lô et les termina au Petit-Séminaire de l'Abbaye-Blanche à Mortain. Un passage de Mgr LE ROY dans cet établissement décida de sa vocation missionnaire.

Son père s'y opposa d'abord, puis se laissa fléchir. En 1892, le jeune Maurice entrait au postulat de Langonnet, pour y commencer ses études cléricales, car, à cette époque, le noviciat couronnait le scolasticat, au lieu de le précéder comme de nos jours. Après son service militaire, qu’il fit à Saint-Lô, en 1894-1895, il vint à Chevilly, où il trouva comme directeur le Père Henri VAN HAECKE. C'était un homme austère et qui ne se souciait nullement de cultiver sa popularité; il avait su néanmoIns gagner rapidement l'attachement de ses scolastiques par son seul ascendant moral, celui de sa science et de sa vertu, l'une et l'autre bien au dessus de la moyenne. Le jeune Monsieur BRIAULT y fut sensible comme ses confrères; on en trouvera un témoignage explicite dans l'importante notice qu'il a consacrée à la mémoire de son ancien maître au lendemain de la mort de celui-ci, en 1910. « On se sentait dans la main d'un saint, y lisons-nous, et encore qu'on redoutât d'être par elle vigoureusement pétri, on se laissait faire. » Cette phrase résume assez ce que fut la formation du jeune scolastique. Ses notes nous le dépeignent comme fruste et sans façons, léger comme un collégien, inégal, impressionnable, sujet à des emballements et à des crises; mais on note aussi, outre ses capacités bien plus qu'ordinaires et ses qualités relles de droiture et de franchise, son attachement à sa vocation et sa bonne volonté certaine.

Nommé assistant général, le P. VAN HAECKE quitta la direction au scolasticat en 1896. A la fin de cette même année, Monsieur BRIAULT entra au noviciat de Grignon, sous la conduite du P. J. B. PASCAL. Mais au terme de cette année de probation, il hésita à faire profession, et à son retour à Chevilly, on hésita à l'admettre au sous-diaconat. Le P. PASCAL, qui s'y connaissait en hommes, et qui l'avait suivi de Grignon à Chevilly, l'appréciait ainsi : « Sujet étrange, ayant de très bonnes qualités, gâtées par l'habitude de vivre d'impressions; l'imagination et la sensibilité ne sont pas assez dominées en lui; il a fait des progrès, mais il reste encore beaucoup à faire. Grande hésitation; il ne semble pas qu'il y ait lieu de le congédier; un ajournement sera plutôt nuisible qu'utile, étant donnée sa grande impressionnabilité; l'admission l'encouragera dans ses efforts.. »

De fait, le 5 décembre 1897, lui-même pouvait écrire à Mgr LE ROY: « Grâce à Dieu, la direction du P. PASCAL, jointe à diverses autres influences heureuses m'ont depuis quelques mois remis en meilleure voie : j'ai entrepris de remonter le courant auquel je m'étais laissé aller et je ne demande qu'à devenir, entre les mains de mes Supérieurs, un missionnaire de bonne volonté pour la conversion des pauvres Noirs d'Afrique. Telles sont les dispositions dans lesquelles je viens, Monseigneur, vous faire ma demande de Profession, sur 1'ordre qui m'en a été donné, m'en remettant entièrement à votre décision, ne demandant pas de faveur, ne me plaignant pas si un nouveau retard m'est imposé.. »

Ayant été admis au sous-diaconat le 18 décembre, il le fut aussi à la profession, qu'il fit le 2 janvier 1890. Ce pas définitif accompli, la marche se fit plus aisée vers le sacerdoce, qu'il reçut, le 5 mars suivant, des mains de Mgr DE COURMONT, ancien vicaire apostolique du Zanguebar.Ajoutons que le P. BRIAULT s'en tint longtemps à la formule des vœux de cinq ans, ce qui nous vaut les appréciations « quinquennales » de ses supérieurs successifs à son sujet. Ils sont unanimes à reconnaître ses qualités et ses talents, sa bonne volonté, son attachement à la Congrégation, la bonne impression qu'à fait au-dehors, mais ils font aussi des réserves. Ainsi, Mgr Jean-Martin ADAM note, en 1910: «Défectuosités: se fait de la bile pour des riens. Avis à lui donner: patience à supporter les autres comme on le supporte lui-même. . » Et du même, en 1911 « Attachement à la Congrégation: certes, après tous les ennuis ! Défectuosités : ne sait pas mettre de tempérament dans ses critiques; c'est une des grandes causes de ses infortunes.. » De Mgr LE ROY, en 1916 : «Nature riche en qualités . . et en imperfections !.. » Enfin, le 2 août 1921, le P. BRIAULT pouvait écrire à Mgr LE HUNSEC: « Vous avez bien voulu, dernièrement, m'accorder un entretien assez long, dans lequel je vous ai parlé avec toute ma sincérité. Je vous ai dit d'où venait le découragement auquel j'ai sans doute trop obéi depuis la guerre. Je vous ai même dit que, devant certaines difficultés, j'avais par moments l'idée que je ferais, mieux de me retirer, tandis qu'à d’autres heures (qui ont semblé gagner depuis plusieurs mois) je faisais «effort pour rentrer dans ma vocation et dans la règle. La question qui se posait était de savoir dans ces conditions, s’il était indiqué d'émettre des vœux perpétuels.
"Votre réponse a été que je devais en faire la demande. Je vous obéis. Je sollicite donc la faveur de prononcer ces engagements à vie. » De fait il les prononçait le lendemain.

Nous avons peut-être insisté avec quelque indiscrétion sur ces débuts du P. BRIAULT dans la Congrégation, mais ils aideront à faire mieux comprendre la suite, car on ne change pas tellement en vieillissant ! Dès cette époque, il était à prévoirque ce tempérament sensible et imaginatif aurait toujours de la peine à se couler dans le moule uniformee de la vie religieuse; ce caractère d'artiste, brillant mais inégal, supporterait mal les concessions obligatoires et les contraintes parfois crucifiantes qu'impose l'existence en communauté. Certes, il n'y avait rien de « commun » en lui, et il devrait nécessairement marcher en dehors de l’alignement, pour le meilleur et pour le pire....

Lors de sa consécration à l'apostolat, il reçut son obédience pour le Gabon et le 29 septembre 1898, il débarquait à Libreville pour y commencer sa vie de missionnaire. Après un stage à la Mission Sainte-Marie, il fut chargé de la surveillance des apprentis, il fut placé successivement à la mission de Donghila, sous la houlette ferme mais paternelle du P. STALTER, puis à celle du Rio Mouni, à la frontière de la Guinée Espagnole, dont le soin spirituel nous était alors confié. Il se spécialisa dans l’apostolat auprès des Pahouins, grande tribu dont les rameaux envahissaient alors progressivement tout le Nord-Ouest du Gabon. Il apprit leur langue et, sans devenir un spécialiste en cette matière, il la posséda assez bien pour pouvoir communiquer avec eux et pénétrer leur mentalité. Ces nomades de la forêt équatoriale occupaient alors un rang très bas dans l'échelle des civilisations et l'anthropophagie était leur moindre défaut. A leur contact, le P. BRIAULT se fit une notion du « sauvage d'Afrique » qu'il ne nuança pas toujours suffisamment par la suite.

En 1904, il rentra en France et profita de son congé pour suivre, pendant un an, les cours de l'Université de Fribourg, en Suisse. Il y devint l'élève, disons mieux, le disciple, de Jean BRUNHES, savant de premier ordre, le « père » de la géographie humaine. A son école, il s’initia aux études géographiques et aux sciences humaines, notamment aux levés topographiques et aux enquêtes ethnologiques, et il apprit à apprécier la méthode et la probité scientifiques, ennemies du bluff et de l’à-peu-près. Il en avait, d'ailleurs, un peu besoin, car ses dons littéraires et artistiques s'accommodaient mal de la rigueur des chiffres, qu’il s’agisse de finances ou de statistiques, et, comme on dit, le matériel n'était pas son fort ! Plus tard, il aimera à rappeler le souvenir de celui qu'il appelait « mon maître Jean Brunhes », à se référer à son autorité et à montrer qu'il n'avait point oublié ses leçons.

En 1905, il est de retour en Afrique. Il travaille d'abord à Libreville, puis on l'envoie à St Martin-des-Apindjis. Mais là, il ne peut s'habituer. Il se plaint d'être tenu à l'écart, inutilisé: « Ici, je suis et je resterai longtemps l'étranger, le réfugié; mon esprit s'isole et mon cœur jeûne, » Il se console en dressant la carte de la mission et en peignant la chapelle, tout en sentant bien que ses travaux ne sont point appréciés. Cela ne pouvait durer. Se jugeant incompris, sinon indésirable, il demanda et obtint sans beaucoup de difficulté son départ pour la France.

Il débarquait à Bordeaux en février 1908. Mgr LE ROY l'accueillit avec bonté et l'employa à son secrétariat. Puis, on fit appel à son talent pour décorer de peintures murales un des réfectoires de Chevilly. Là, il fut rejoint par celui qui fut sans doute son meilleur ami et le resta toujours, le P. J. B. BARREAU, missionnaire du Gabon comme lui; il lui a consacré l'un des meilleurs chapitres de son ouvrage « Sur les Pistes de l'A. E. F. »

C'était alors les beaux jours du « Sillon ». Ce généreux mouvement trouvait au Scolasticat des échos favorables, bien que sa condamnation par Pie X ne fut guère éloignée. Par tempérament, le P. BRIAULT n'était guère porté à se solidariser avec cette jeunesse enthousiaste, mais exposée à trop d'illusions. Ses sympathies l'inclinaient plutôt aux positions opposées. Il lisait volontiers l'« Action Française », appréciant surtout la verve truculente de Léon Daudet et ne ménageant pas ses sarcasmes aux « abbés démocrates ». En politique, comme en bien d'autres choses, il fut résolument conservateur et finit même par être farouchement réactionnaire.

Comme bon nombre de missionnaires qui quittent l'Afrique sous le coup d'une déception, il croyait bien alors ne plus y revenir. Mais, une fois en France, l'optique se modifie : on oublie vite les épreuves de la vie de mission et on ne s'en rappelle plus que les charmes. Bref, au début de 1910, le P. BRIAULT est de nouveau au Gabon. Cette fois, il est placé à Ndjolé, où il a comme confrères deux hommes remarquables et faits pour le comprendre: les Pères MARTROU et TARDY, qui devaient plus tard devenir, l’un après l'autre, vicaires apostoliques du Gabon. Et, de fait, les premiers temps, tout marche à merveille. Ndjolé est l'une des missions les plus actives du vicariat et le P. BRIAULT ne rechigne pas à prendre sa part du bon travail qui s'y fait. Puis, les choses commencent à se gâter et ses crises de neurasthénie reparaissent comme à son précédent séjour. Cela s’aggrave quand il doit prendre la succession du Père MARTROU, qui va renflouer la mission de l'Okano. Il n'était point fait être supérieur et il se sent débordé. Les difficultés matérielles sont grandes : l'exercice 1910/1911 s'ouvre avec 28 fr. 50 en caisse ! Incompatibilité totale avec son évêque, le vieux Mgr ADAM. De plus, ses bonnes relations avec son confrère, le P. TARDY, se sont progressivement altérées, sans qu'il y ait entièrement de sa faute, et il en souffre profondément. Enfin, les déceptions du ministère lui font prendre ses paroissiens en grippe. Tout cela le plonge dans une détresse d'âme qui frise le désespoir. « A cette vie d'activité forcée, incessante, à ces fatigues qui liment l’organisme, à ces stériles auditions de palabres, il faudrait un autre soutien que le banal ordre du jour d'une vocation machinalement obéie.

Je fais en somme presque par force (la force de la situation) à peu près tout ce que Dieu veut que je fasse, mais j'ai l'air sombre et le cœur éloigné d'un ouvrier qui, l'ouvrage achevé, ne connaît plus son patron. Encore suis-je bien sûr de ne me livrer à mon ouvrage que pour ne pas périr d'ennui et de chagrin ? Comme toutes ces déceptions devraient me rejeter dans les bras de Dieu ! En est-il temps encore, ou bien suis-je désormais voué à l'implacable verdict de "malédiction"? Oh ! ce ne sont là de vaines paroles, et ces craintes sont la terreur de mes nuits de lit de camp. . » Quand on en est arrivé à se poser ces questions, il vaut mieux plier bagage! La Providence s'en mêla et, en 1912, une sévère attaque de dysenterie vint mettre fin à ses tourments en l'obligeant à rentrer en France. Cette fois, il ne devait plus revoir le Gabon qu'en passant, au cours de la grande tournée d'information qu'il fit à travers l’A. E. F., en 1932-1933.

On le voit, le séjour effectif du P. BRIAULT en pays de mission n’pas été des plus longs, mais toute son activité ultérieure devait être marquée de cette expérience gabonaise, de cette douzaine d'années passées dans les régions de l'Ogooué et de la Ngounié. D'ailleurs, il en tira le parti maximum, car il savait observer et, bien qu'il fût doué d'une excellente mémoire, il ne manquait pas de noter, par la plume ou par le pinceau, le fruit de ses observations. Il a presque constamment tenu son journal - ce qui, en Afrique, est aussi rare que méritoire - et rempli de nombreux carnets de pochades et de croquis pris sur le vif. Il se constituait là une réserve précieuse pour les années à venir et, de fait, c’est dans cette mine qu'il a puisé le meilleur de son oeuvre littéraire artistique.

Il ne faudrait pas croire que, du fait qu'il portât un intérêt particulier à la littérature et à la peinture,et que cet intérêt, comme il arrive souvent, n'ait pas fondu au soleil africain, le P. BRIAULT n'eut été qu’un missionnaire-amateur. La lecture de son journal et de sa correspondance prouve qu'il a bien pris sa part du travail commun, et il y aurait de l'injustice à lui reprocher, comme on l'a fait parfois, d'avoir négligé son ministère pour le vain plaisir de « dessiner des bonshommes »

Mais il faut reconnaître que ces passe-temps furent souvent pour lui un refuge. Sa culture même lui faisait trouver pénible le contact avec le milieu vraiment sauvage où avaient à vivre les missionnaires de ce temps-là, et il se faisait de l'évangélisation une idée si exigeante - et même quelque peu janséniste - que les déficiences de ses néophytes le déconcertaient d'abord et l'exaspéraient ensuite. De là, favorisée par un certain fond de pessimisme qui se trouvait en lui et par le caractère «cyclique» de son tempérament, une tendance à se retirer dans sa «tour d'ivoire » et une détresse d'âme dont ses carnets intimes nous ont trahi le secret. De même, son esprit clairvoyant lui faisait apercevoir avec acuité les carences de l'autorité, les petits côtés de l'existence en communauté et les aspects les moins beaux de la vie missionnaire; sa sensibi1ité enregistrait tout cela avec vivacité, y insistait en l'exagérant et le traduisait au-dehors par des réflexions désabusées ou des mots dont l’humour avait peine à masquer l'âpreté. Il se faisait ainsi des ennemis, mais il en souffrait tout le. premier....

Rentré définitivement en France, - il le croyait, du moins, - le P. BRIAULT fut un temps, rue Lhomond, secrétaire particulier du Supérieur Général de la Congrégation, Celui-ci était alors Mgr LE ROY, pour lequel il professait une véritable vénération, que renforçaient non seulement la communauté d'origine (ils provenaient tous deux du diocèse de Coutances), mais aussi la similitude sur beaucoup de points, des idées et des goûts, bien que leurs tempéraments fussent fort différents. On trouve, dans les papiers laissés, par le P. BRIAULT, des notations savoureuses sur cette étape de sa vie. Ceci par exemple : « Qui croirait aujourd'hui que, pendant ces sombres années d'entre 1910 et la première de nos « grandes guerres ». la Rue Lhomond connaissait autour de Mgr LE ROY une période classique de vie religieuse, où l'austérité se tempérait d'une gaîté aimable que le Supérieur Général jugeait nécessaire ? C'était visible surtout les soirs d'hiver, à la récréation qui se tenait dans le grand parloir proche de la chapelle.

Sans doute le P. GRIZARD n'y venait pas et le P. BARILLEC venait de mourir, mais le P. J. B. PASCAL était là, avec son gros nez et sa barbe, alors noire, et ses propos de saint homme demeuré caustique. Monseigneur, au milieu du groupe, lisait à haute voix la Croix du jour, mais il y mettait force interpolations qui visaient tantôt le P. D'HYEVRE et tantôt le P. Michel, HEINTZ. Le P. DHYEVRE, octogénaire encore vigoureux, avait la manie de se défendre. Le Père HEINTZ, grand gros et diabétique, tenait chapelle dans un vaste fauteuil où il racontait des diableries, car il était lc socius du P. DE HAZA, S. J. qui faisait les exorcismes officiels; il prêchait aussi à l'occasion et estimait ses sermons à cent sous pièce quand il envoyait sa note aux curés. Mgr DE COURMONT passait en ces réunions, appuyé sur sa canne, et avait sa part de plaisanteries toujours déférentes.. Le Père Amet LIMBOUR y venait aussi, souvent muni de distiques en latin, sinon en grec, restes d'une belle culture qu'il employait à donner des avis d'une utilité générale. Et le P. FAUGERE, toujours grave, lisait pour son compte un journal financier qu'il paraissait seul à comprendre. Dans le jeune état-major, la meilleure tête était un ancien professeur de philosophie plein d'esprit et de bon sens, dénué de toute ambition et terriblement myope : le P. Jules GROELL... Le visiteur d'un jour qui, sachant l'état général de l'opinion en France, aurait traversé cette salle pendant la demi-heure consacrée à la récréation du soir, aurait pu se demander : Mais qu'ont donc ces gens à paraître si gais ? Et on aurait pu lui répondre : C'est que Mgr LE ROY y est, qu'il y fait son acte de présence et qu'il anime tout de son esprit endiablé »

Le rôle de secrétaire particulier demande beaucoup de dévouement, mais aussi beaucoup de discrétion et même d'effacement devant la personnalité du « patron ». Or cela n'était, guère dans le tempérament du P. BRIAULT; il ne se croyait point fait pour être un simple copiste et ne se gênait nullement pour dire son avis, même quand on ne lui demandait pas. Dans l'entourage de Mgr LE ROY, où les façons de voir n'étaient pas toujours unanimes, certains jugèrent que le secrétaire particulier prenait trop d'influence sur le Supérieur général et ils le firent observer à celui-ci, qui se rendit à leurs raisons. Sans être écarté complètement, le P. BRIAULT eut l'impression d'être moins en faveur; il le ressentit vivement et, si son admiration pour Mgr LE ROY n'en fut point altérée, il en garda l'impression que «le cher seigneur lâchait bien facilement ses amis pour faire plaisir à ses ennemis! »

A ses moments libres, à cette époque de sa vie, il aimait à s'occuper du Patronage Sainte-Mélanie, rue Tournefort, dont il était l'aumônier. Il y rencontrait des gamins du quartier, dont la turbulence et la franchise lui plaisaient et, parmi les jeunes gens qui s'y dévouaient et étaient principalement des élèves des grandes écoles, il forma des relations utiles et des amitiés très chères, dont certaines durèrent toute sa vie. Dans la carrière sacerdotale du P. BRIAULT, l'apostolat du Patronage fut comme une oasis dont il ne garda que d'agréables souvenirs.

Survint la guerre de 1914, qui le mobilisa. Il traîna quelque temps, en qualité d'infirmier, dans des hôpitaux militaires de Bretagne, occupé à des besognes, sans gloire, Aussi, en août 1916, quand il fut question d'envoyer des missionnaires au Cameroun, pour y remplacer les Pallotins allemands, il s'empressa de poser sa candidature. Non sans appréhensions, d'ailleurs. « D'abord, c'était un déménagement : il fallait envisager non plus la perspective de faire une malle, mais une série de malles comprenant l'universalité de ce qui sert de cadre à ma vie. Rien que cela a toujours été pour moi un cauchemar. Ensuite, il y avait à se dire que c'était la reprise de la vie d'Afrique. Chose en soi normale, mais survenant après quatre années d'alourdissement en Europe. De là découlait l'obligation de s'éloigner du Patronage; plus de permissions fréquentes, plus même de correspondance sinon le courrier colonial mensuel, à peine mensuel ! Par-dessus tout, il y avait que ce Cameroun me rapprochait comme à dessein du Gabon, d'où pas un signe de rappel, pas une invite nette n'était encore partis pour me dire d'y revenir. N'aurais-je pas l'air du monsieur qui, n'osant pas solliciter directement son rappel, s'approche pour qu'on le voie et s'arrange pour qu'on pense à lui ? Mais ces différentes objections ne firent que traverser mon esprit et rencontrèrent aussitôt deux réponses - d'abord, ma vocation de missionnaire, contre laquelle les luttes et les discussions de l'ancien Gabon ne peuvent rien; ensuite, le désir d'échapper, par toute voie honorable, à la déshonorante vie d'homme de corvée qui est le lot des vieux prêtres soldats de l'arrière.. »

Mis en ce que nous appellerions aujourd'hui « affectation spéciale », il s'embarquait sur l'Europe, le 19 septembre 1916, avec six autres Spiritains, pour rejoindre au Cameroun les missionnaires qui, ayant fait partie des troupes expéditionnaires, s'y trouvaient déjà. Les premières impressions furent mauvaises. «Notre groupe est un des plus complets «désassortissements» que l’on puisse rêver. Médiocrité pieuse, préventions en sens inverse, pas une idée générale, ou bien c'est gâté par une ambition et une susceptibilité immédiates. Nos repas sont déjà pénibles et nos conversations de hargneuses controverses. J'ai bien juré de m'en abstenir, mais c'est si dur d'entendre des âneries sans les relever! »

Comme bien l'on pense, cela ne s'améliora pas durant la traversée, accomplie dans l'inconfort d'un transport militaire, et le P. BRIAULT arriva au Cameroun dans un état qui ne le disposait guère à juger favorablement de ce pays. Même l'enthoüsiasme avec lequel les chrétiens du lieu accueillirent les nouveaux missionnaires, lui parut simplement une marque de leur « primitivisme ». Et il ajoute : « Quand la civilisation matérielle aura passé sur lui, l'indigène aura des passions politiques pires que les nôtres et sera, au point de vue religieux, un orgueilleux mufle, C'est malheureusement vers ce stade que nous nous acheminons. Oh! les tristes Martiniques que seront un jour ces rives ouest-africaines »

A Douala, la mission principale étant encore occupée par les militaires, les Pères furent logés dans J'ancienne résidence des Soeurs, à Akwa (Bonakwamuang). Le Supérieur était le P. DOUVRY, aumônier dans les Forces britanniques venues de Nigéria, et à qui le Saint-Siège avait donné les pouvoirs de Pro-Vicaire. Il garda avec lui, à Douala même, P. RETTER et le P.BRIAULT, celui-ci devant exercer les fonctions de vicaire, maître d'école et secrétaire occasionnel.

Impressionné au début par le nombre et la pratique religieuse des chrétiens camerounais, le P. BRIAULT l'est bientôt davantage par leurs lacunes et leurs défauts, et il finit par ne plus voir que cela. Le climat de Douala commence à affecter sa santé, d'autant plus que la maison où il loge et la classe où il enseigne ne sont guère confortables. Il se confine à son métier de maître d'école et y rencontre quelques succès, mais les confrères voudraient lui voir faire aussi du ministère, et justement près de ceux qui lui sont le moins sympathiques, les Yaoundés, ces frères Pahouins du Gabon. Il s'y refuse, et s'en explique ainsi « A la lettre, n'ai jamais aimé le ministère en Afrique. C'est une affaire de délicatesse il est difficile de raisonner.. Donner la communion à des Noirs m'a toujours terriblement coûté, car hélas, le Noir n'a pas de respect que pour ce on ne lui prodigue pas. Or, si je me trouvais chargé de ministère, surtout près de ces Yaoundés avides, convertis à tour de bras, quelque chose infailliblement transparaîtrait de mon dédaigneux rigorisme, Et ce serait des discussions. Merci! Plutôt moins de zèle, moins d'action, et la paix!.. Mais je n'ai pas besoin qu'on me fasse remarquer combien cette manière de conclure est triste. La tâche des missionnaires qui persistent, malgré tout, à vouloir l'acheminement de ces races vers la vérité et la morale chrétiennes n’en est que plus belle, lorsqu'ils ne se font pas d'illusions, qu'ils ne brulent pas les étapes et qu'ils ont le rare courage de rester toute une vie voués à ce travail, si lent qu'ils mourront, sans en voir l'accélération ni le progrès. . »

Et voici que des heurts surviennent entre lui et ses confrères, qu'il juge « prêtres de métier, hommes de petit catéchisme, ouvriers en travaux cultuels, manutentionnaires de sacrements ; intègres, consciencieux, travailleurs, ils se disent que cela suffit, et ils baptisent du nom de modestie leur éloignement de tout progrès intellectuel.. » Il ne peut guère s’en consoler au dehors, car, en ces années de guerre, la société européenne de Douala, à quelques exceptions près, n'est guère fréquentable. Toutefois, il put entretenir une rare amitié avec un jeune officier de marine à l'âme délicate et profondément religieuse, mais cela ne dura que quelques mois. Alors, sous l'influence combinée de ces ennuis personnels, de la psychose de guerre, du manque de nouvelles, du climat débilitant, de l'incertitude du sort temporel et spirituel du pays, sa vieille neurasthénie reprend le dessus et les crises se rapprochent en s'aggravant. Une «explication» avec son supérieur, sur un point futile, est la goutte d'eau qui fait déborder le vase, et il sollicite de l'autorité militaire son rappel en France. Il quitta Douala le 6 août 1918, emportant contre le Cameroun des préventions dont il ne se débarrassa jamais complètement

A l'escale de Dakar,, Mgr JALABERT et le P. LE HUNSEC le sollicitèrent de s'y arrêter pour les assister dans le ministère près de la population européenne de la ville, qui avait beaucoup augmenté du fait de la guerre. S'il était heureux de quitter le Cameroun, il n'envisageait pas sans quelque appréhension le retour en France, qui pouvait lui valoir d'être expédié sur le front, où « ça bardait » à cétte époque! Aussi accepta-t-il volontiers de rester à Dakar. La grippe espagnole lui fournit peu après une belle occasion de se dévouer et il n'y manqua pas. Après son calvaire de Douala, son séjour au Sénégal lui fit l’effet d'une halte apaisante. Mais sa santé ne lui permit pas d'y rester longtemps et, en avril 1919, il rentrait en France, et, cette fois pour de bon.

Après son retour à Paris, sa principale occupation fut la direction des « Annales des Pères du St. Esprit », qu'il avait reçue dès 1913 et qu'il devait garder pendant une trentaine d'années. Il prit cette tâche, fort à coeur et voulut que ses « chères Annales » fûssent quelque chose de différent des autres publications analogues. Il tint à ce qu’elles fûssent, suivant ses propres expressions, « précises, objectives, soucieuses d'exactitude et d'information rigoureuse », et pour cela il ne ménagea pas sa peine. Il en porta à peu près tout le poids, se chargeant en majeure partie et du texte et des illustrationns; il était, d'ailleurs, fort exigeant sur la collaboration qu'il attendait de ses confrères, aussi ne lui venait-elle pas en grande abondance, et peut-être au fond n’en était-il pas tellement fâché ! Quoi qu'il en soit, quand on feuillette la collection de la revue, telle qu'il l'a façonnée pendant trente ans, on ne peut s'empêcher d'admirer sa belle tenue littéraire et sa valeur documentaire pour notre histoire missionnaire.

Aussi n'est-il pas étonnant que les « Annales du P. BRIAULT » aient été fort appréciées de ceux qui les connaissaient. Du moins, en dehors de la Congrégation, car c'est chez nous qu'elles trouvèrent le plus de détracteurs. On n'est jamais prophète parmi les siens ! Les uns leur reprochaient de porter trop ostensiblement la marque personnelle de leur directeur; les autres, d'être trop aristocratiques, et, par le fait même, de n'atteindre qu'une élite. Ces critiques trouvaient le P. BRIAULT fort sensible et l'impatientaient vivement. Elles sont pour une bonne part dans l'animosilté tenace qu'il manifesta, parfois, avec indiscrétion, au P. NIQUE et au P .BROTTIER, qu'il accusait d'avoir lancé « Missions » pour faire pièce à ses Annales. C’'est qu'il avait, horreur de la propagande trop directe et tapageuse, et qu'il entendait bien ne faire aucune concession au goût du public : c'était à celui-ci de suivre ! Quoi qu'il en soit, il n'est pas douteux que, sous sa direction, les Annales n'aient recueilli le suffrages des connaisseurs et n'aient acquis à la Congrégation et à ses missions de fidèles efficaces sympathies, sans parler des aumônes qu'elles recueillirent, des vocations qu'elles ont pu susciter et qui furent plus nombreuses qu’on ne croit.

Aux Annales il avait adjoint, à Paris et dans quelques grandes villes de province, des ouvroirs où des dames dévouées confectionnaient sous sa direction, des vêtements liturgiques destinés aux Missions spiritaines. Grâce à cette oeuvre, bon nombre de nos stations d'Afrique ont pu monter un peu mieux leur sacristie. Ces ouvroirs organisaient, à Paris, une vente de Charité, où ils exposaient. leurs travaux et qui était, pour le directeur, la grande affaire de l'année.

Ce sont les « Annales» qui révélèrent les dons d'écrivain du P. BRIAULT, en même temps que leur rédaction lui fut, chaque mois, un exercice littéraire fort profitable. Il ne faudrait pas croire, en effet, qu'il eût la plume facile; ce n'est que tardivement qu'il parvint à rédiger de premier jet. Pendant longtemps - il en a fait souvent l'aveu - il dut s'atteler laborieusement à la tâche, polir et repolir ses pages, ayant à portée de la main les grands ciseaux qui faisaient sauter les phrases mal venues, le pot de colle qui servait à leur substituer les corrections. C'est ce qui explique que ses écrits n'ont pas l'aisance enjouée ni le naturel charmant de ceux de Mgr Le Roy, qui restent des modèles rarement égalés de la littérature missionnaire. Son style, à lui, sent parfois l'effort et la recherche; il n'en est pas moins de belle qualité; les expressions heureuse et les formules bien frappées y abondent; il n'est jamais banal et se lit toujours sans ennui. Il se cultivait d'ailleurs sans cesse à l'aide de nombreuses lectures. Ses maîtres dans ce domaine furent les grands Normands: Flaubert, Maupassant et Barbey d'Aurévilly, à qui il faut ajouter Huysmanss dont il avait les oeuvres complètes dans sa bibliothèque. Chose cureuse, lui qui, dans sa conversation, affectionnait les boutades, les paradoxes et même les outrances, il se révélait fort circonspect dans tout ce qu'il écrivait et, à le lire, il n'était guère possible de le prendre en défaut.

L'oeuvre littéraire du P. BRIAULT ne s'est pas bornée à la rédaction des Annales. Sans parler des nombreux articles qu'il'publia dans d’autres périodiques, comme le « Correspondant » ou les « Etudes », ni des conférences qu'il fut souvent appelé à donner dans les milieux les plus divers, (et qu'il rédigeait soigneusement, n'étant point né orateur aimant à peser ses paroles), il est l'auteur de plusieurs ouvrages.

Parmi ceux-ci, il en est quatre qui forment peut-être le meilleur de son oeuvre: Sous le Zéro Equatorial (1928), Dans la Forêt du Gabon (1930), Récits de la Vérandah (1939), et Sur les Pistes de l'A. E. F. (1945). Dans études et scènes africaines qui composent ces quatre volumes, on trouve sans doute la meilleure description de ce que fut la vie missionnaire en Afrique Equatoriale à une certaine époque, celle qui va de 1900 à 1930. La richesse de l'information, la justesse de l'observation, le pittoresque du récit et le charme du style en rendent la lecture particulièrement attrayante, et cette tétralogie gabonaise obtint un succès mérité.

Deux volumes d'allure plus sévère sont aussi sortis de sa plume : Polythéisme et Fétichisme (1929) et Sauvages d'Afrique (1943). Le premier n'était qu'un ouvrage de vulgarisation et est aujourd'hui bien dépassé; le P. BRIAULT n'avait pas l'esprit scientifique; les longues recherches et leur mise en oeuvre minutieuse l'assommaient; il préférait l'anecdote, qu'il savait remarquablement conter, aux considérations érudites qu'il déclarait pédantes.. Quant au second, il condensait toute l'expérience et la science missionnaires du P. BRIAULT et il l'avait rédigé avec sa maîtrise habituelle. Néanmoins, l'accueil fut moins unanime. Outre que le titre effarouchait certaines susceptibilité que l'on doit ménager aujourd'hui, le contenu lui-même commençait à dater: il y avait déjà trente ans que l'auteur avait quitté l'Afrique et l'évolution l'avait gagné de vitesse. Il n'en reste pas moins que cet ouvrage est remarquable, qu'il contient bien des choses qui n'ont pas vieilli, et qu'il a une valeur de témoignage qu'il serait impertinent de récuser à priori.

Le P. BRIAULT est aussi l'auteur de plusieurs biographies: une Vie de la Soeur St Charles (1912), qui fut son premier livre, La prodigieuse vie de René Caillé (1930), qui lui fut demandée pour une collection, Un grand évêque missionnaire : Mgr Le Roy (1939) simple ébauche du grand ouvrage qu'il eût aimé consacrer à son ancien Maître et pour lequel il a laissé de précieuses notes, mais que l'âge ne lui permit pas d'écrire, et surtout le Vénérable F. M. P. Libermann, où s'aidant d'une documentation fournie par le R. P. CABON, il a su donner une excellente étude sur la vie et oeuvres du Serviteur de Dieu.'

Enfin, en 1938, s'inspirant d'un cours d'art sacré qu'on lui avait demandé de professer au Scolasticat de Chevilly, il fit paraître, L'Architecture religieuse dans les pays de Mission, mince volume par le nombre des pages, mais gros d'enseignements et de conseils pratiques à l'usage de ces grands bâtisseurs d'églises que sont souvent les missionnaires; et il est à regretter que ceux-ci ne s'en soient pas plus souvent inspirés...

C'est que le P. BRIAULT ne fut pas seulement un homme-de-lettres, il fut aussi un artiste de grand talent. Tout jeune, il montrait de remarquables dispositions pour le dessin. Plus tard, il évolua vers la peinture et se montra plus sensible à la couleur qu'à la ligne: c'est ce qui explique qu’il ait surtout excellé dans le paysage à l'état pur, tandis que les perspectives de ses fabriques sont souvent fautives et les anatomies de ses personnages défectueuses. Il développa ses dons naturels en prenant des leçons, à Paris, près du maître PINTA, mais bien plus encore par son travail personnel constant. Il figura à deux reprises au Salon des Artistes français et fut choisi pour la décoration de la section africaine de l'Exposition vaticane de 1929, ainsi que de celle du Musée Pontifical du Latran. Il aima beaucoup aussi à recouvrir de peintures religieuses ou exotiques les murs des communautés spiritaines et, même en dehors de la Congrégation, on a souvent fait appel à ses pinceaux de décorateur; dans ce domaine, tout n'est pas de même valeur, on y trouve de véritables réussites.

Mais le meilleur de son ceuvre pictoriale n'est pas là. Il est dans aquarelles qui tapissaient les cloisons de son appartement, au 28 de la rue Lhomond, et peut-être plus encore dans les nombreux carnets et albums, dont il avait toujours un exemplaire en poche et dont il se servait, au cours de ses déplacements, pour noter telle scène ou tel paysage. En effet, tandis que son style littéraire était le fruit de beaucoup d’éffort et d'un long polissage, c'était sous le coup de l'inspiration devant l'objet que ses dons de peintre trouvaient leur meilleure espression. Nul, peut-être, n'a saisi et rendu comme lui la grave beauté de la nature équatoriale, la lumière de ses ciels orageux, les eaux noires des grands fleuves, les verts profonds de la forêt vierge, les herbes roussies des savanes, la terre rouge où s'alignent les villages, les lointains bleus qu’a lavés la dernière tornade. Devant ces tableaux, le plus souvent de dimensions modestes, mais qui témoignent d'une sincérité profonde et d’une puissance d'évocation étonnante, aucun «africain» ne s'aurait demeurer insensible. On le vit bien lors d'une exposition d'un choix de ces aquarèlles, qu'organisa en 1949 l'Agence de la France d'Outre-Mer: le succès fut très vif et la vente s'en ressentit

Les travaux artistiques et littéraires du P. BRIAULT furent couronnés de plusieurs prix et lui valurent l'Etoile Noire du Bénin et la croix de la Légion d'Honneur. Par contre, quand, en 1939, sur les instances du P. JALABERT, S. J., il posa sa candidature à l'Académie des Sciences Coloniales, au fauteuil laissé vide par la mort de Mgr LE ROY, on préféra le P. AUPIAIS, des Missions Africaines de Lyon, à une faible majorité il est vrai. La raison qu'on mit en avant fut qu'on ne voulait pas instituer une sorte de succession en faveur d'une même Congrégation, mais le fait est qu'il y eut des intrigues et que les mérites respectifs deux candidats ne furent pas seuls à entrer en ligne de compte. Le Père BRIAULT fut fort sensible à cet échec, d'autant plus que son désaccord,sur plus d'un point, avec son rival heureux était bien connu. Dans l'opinion missionnaire, le P. AUPIAIS et lui représentaient deux tendances opposées, un optimisme et un pessimisme également excessifs.

Grâce à ses écrits, à ses peintures, aux déplacements qu'il s'octroyait facilement, le P. BRIAULT avait beaucoup élargi le cercle de ses relations et obtenu une véritable notoriété surtout dans les milieux coloniaux et missionnaires. Quand on l'avait une fois rencontré, on ne l'oubliait pas facilement. On était surtout sensible au charme de sa conversation, où sa vaste culture générale apparaissait et où les expressions heureuses coulaient de source, parfois paradoxales ou malicieuses, jamais banales. Il ne dissimulait d'ailleurs pas sa qualité de spiritain. «Chez nous, au Saint-Esprit » proclamait-il et on savait tout de suite à quoi s'en tenir. Autant que dans sa parole, son originale personnalité transparaissait dans son écriture, qu'il traçait à l'aide de stylos gros comme des rondins. La moindre ligne de lui, avec ses larges lettres carrées qui avaient l'aspect de caractères hébraïques, le signalait plus clairement que sa carte de visite !

La guerre bouleversa la vie du P. BRIAULT, comme celle de tant d'autres ! Il se replia sur Langonnet et les Annales cessèrent de paraître, provisoirement d'abord en octobre 1939, puis définitivement en mai 1940.

Il en fut tout désorienté. Puis, l'âge commençait à se faire sentir et lui apportait quelques misères, à quoi s'ajoutaient celles qu'entraînaient la guerre et l'occupation allemande. Rentré à Paris, il n'avait pu reprendre son appartement du 28, qu'il était impossible de chauffer, et se trouvait confiné dans une étroite cellule, avec un grand escalier à monter.

Puis, l'après-guerre fit surgir un monde nouveau et il sentit qu'il n'était plus dans la course, bien qu'il se refusât à en convenir. Il souffrit de ne plus pouvoir rendre vie à sa chère revue. Il souffrit encore quand il fallut laisser ce soin à des mains plus jeunes, malgré tous les ménagements qui furent pris pour lui adoucir la chose. Rien n'était plus pénible à ce grand travailleur que de se voir réduit, par la force des circonstances, à une quasi inactivité dont il se refusait à prendre son parti. Cependant, en 1948, grâce à la bienveillante amitié de Mgr GAY, il lui fut possible de faire un voyage aux Antilles. Il y prit grand intérêt, mais il en revint fatigué. Après cela, sa résistance diminua visiblement. Il ne sortait plus guère de sa chambre, relisant ses chers livres sans pouvoir y fixer son attention, fumant des pipes toujours éteintes, entreprenant des écrits ou des peintures qu'il ne parvenait pas à achever, espérant des visites qui lui feraient paraître plus courte la monotonie de ses journées. Sa conversation, jadis si intéressante, émaillée d'expressions pittoresques et de mots d'esprit facilement caustiques, devenait languissante et embarrassée, et ne s'animait plus que pour gémir sur le malheur des temps et la sottise des hommes..

A partir des derniers mois de 1952, ses facultés baissèrent sensiblemeent et sa résistance physique aussi. Il fallut l'installer à l'infirmerie. Mi-février 1953, une légère amélioration se produisit, le classique sursaut de la chandelle qui s'éteint, mais elle ne dura pas. Au matin du 5 Mars, quand le Frère infirmier se présenta dans sa chambre, le Père ne respirait plus.. Du moins avait-il eu le temps de se bien préparer à la mort, entourré de la sollicitude de ses confrères de la Maison-Mère.

En mourant, le P. BRIAULT, a laissé de nombreux manuscrits. En les feuilletant, on est surpris, de voir combien ils contiennent de pages religieuses, et combien ces pages expriment une spiritualité sérieuse et profonde. Dans ce domaine comme, dans tous les autres, il avait horreur du « chiqué » et détestait particulièrement les épanchements pieux dont aime souvent à se recouvrir la médiocrité ou le pharisaïsme; il le montrait par des boutadess et des paradoxes qui, aux non avertis, semblaient dénoter un certain scepticisme. Ceux qui le connaissaient mieux savaient que ses convictions et ses sentiments religieux étaient sincères et de bon aloi, et qu’il recherchait à sa manière l'avancement du règne de Dieu. Plus que quiconque peuvent en témoigner les personnes qui ont bénéficié de sa direction perspicace et sage ou de son exigeante amitié.

Le P. BRIAULT s'est souvent plaint, parfois avec amertume de la Congrégation à laquelle il appartenait, et au sein de laquelle il estimait avoir été peu compris et insuffisamment aidé. Il semble pourtant bien qu'elle lui a consenti pas mal de facilités, qu’elle n'a point l'habitude d'accorder au « commun des martyrs », et qu’elle ait eu, elle aussi, quelques sujets de plainte à formuler à son endtroit. Il n'en reste pas moins qu'il lui était profondément attaché, fort soucieux de son honneur et de ses intérêts, et que, de fait, peu de ses fils en ont fait autant que lui pour son prestige et son bon renom au dehors.

Nous avons confiance que le Divin Maître aura su récompenser ce serviteur, qui fit si bien fructifier les nombreux talents qu'il avait en partage.

Joseph Bouchaud Cssp
(Bulletin de la province de France n° 66 Janvier 1954, p. 193…)

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