Le Bienheureux Daniel Brottier
1876-1936
(Voir par ailleurs des biographies plus détaillées)


Parmi les spiritains originaires du diocèse de Blois, Daniel Brottier s'est acquis une place d'honneur, mais nous ne pouvons ici que rappeler brièvement les principales étapes de sa vie et signaler ce qui nous semble de vrais appels de Dieu.

De nombreuses publications ont déjà paru ; on peut facilement obtenir des renseignements à l'Œuvre des Orphelins d'Auteuil, 40 rue La Fontaine 75016 Paris, où l'on trouve un service d'archives bien documenté et une librairie abondamment pourvue.

Né à La Ferté-Saint-Cyr, près de Beaugency, le 7 septembre l876, veille de la Nativité de Marie, Daniel Brottier passa les 26 premières années de sa vie dans le diocèse de Blois. Avec son frère Gaston, son aîné de trois ans, il vécut une jeunesse heureuse, entouré de l'affection de ses parents.

Ayant manifesté son désir d'être prêtre dès l'âge de dix ans, il entra au petit séminaire en 1887 pour commencer sa formation. C'est en ces termes que sa belle sœur le décrivait alors : " Il donnait l'impression d'un garçon batailleur; mais je sais aussi qu'il arriva peu à peu à dominer son caractère." Son frère Gaston parle dans le même sens : "Je n'ai pas beaucoup de détails sur ce qu'a été sa vie au petit et au grand séminaire. Je sais seulement qu'il était turbulent, espiègle, mais très aimé de ses confrères."

A 16 ans, il entra au grand séminaire et prit la soutane le 8 décembre 1892. En 1896, il eut à faire son année de service militaire, qu'il effectua à Blois même. Il fut ensuite affecté au collège libre de Pontlevoy comme surveillant et professeur, tout en se préparant aux ordinations. Le 22 octobre 1899, il reçut la prêtrise des mains de son évêque Monseigneur Laborde.

Maintenu au collège de Pontlevoy après son ordination, son évêque lui proposa deux fois la charge de curé. Son désir de vie religieuse et missionnaire l'emporta. Il savait qu'il allait décevoir ses parents, mais ceux-ci se résignèrent. A ce sujet, son père écrivait à son fils aîné : "Il y a bien longtemps que je m'étais aperçu de la décision qu'il prend aujourd'hui, mais je ne pouvais pas croire qu'il mettrait jamais son projet à exécution... Il serait parti depuis longtemps, mais auparavant il voulait nous voir chez nous, comme nous sommes, et nous savoir tranquilles... Daniel est bon, il a bon cœur. Malgré sa décision nous n'avions qu'un mot à dire et, en fils soumis, il serait resté... Le Bon Dieu le veut. Ecrivez-lui et dites-lui comme nous : Que la volonté de Dieu soit faite, et que, s'il nous quitte, il soit en paix."

Avec la permission de son évêque, il quitta donc le diocèse et se rendit àOrly, où il commença son noviciat le 29 septembre 1902. Une autre étape de sa vie commençait.

Son noviciat fut une année de réflexion, de recueillement, qu'il passa dans une joie expansive. Après avoir terminé ses 365 jours canoniques, il fut admis à la première profession. Dans sa lettre au supérieur général il disait : "En entrant dans la congrégation du Saint-Esprit, j'ai eu en vue les missions et la vie religieuse, au même titre je dirais... J'ai étudié et je crois avoir compris l'étendue des obligations de la vie religieuse dans la congrégation... Quant à la vie de mission, je l'ai toujours envisagée, dès' l'âge de douze ans, comme la vie d'un homme qui veut se sacrifier et s'immoler pour le salut des âmes, rapidement, ou goutte à goutte, qu'importe ! ... Je ne voudrais pas être présomptueux, mais si vous avez un poste plus périlleux, ou s'il fallait risquer quelqu'un, je vous dis bien simplement : me voici ! " Il prononça donc ses vœux et fut affecté au vicariat apostolique du Sénégal.

A vrai dire, il était quelque peu déçu de cette affectation. Il avait rêvé se rendre dans la brousse lointaine, et le Sénégal ne représentait pas un champ d'apostolat de pionnier. Ce territoire avait d'abord porté le nom de préfecture apostolique et son siège était à Saint-Louis sur le fleuve du Sénégal. Les fils de Libermann l'avaient d'abord considéré comme une base de départ pour les missions qu'ils allaient fonder sur cette côte d'Afrique. Ils avaient obtenu la charge de l'intérieur du pays, qui était devenu le vicariat de Sénégambie ; ce n'est qu'en 1889 que les deux juridictions avaient été réunies.

Le jeune Père Brottier arriva donc à Saint-Louis en 1903, reçu par le supérieur qui était alors le Père Jalabert, un ancien aumônier du bagne et des léproseries de Cayenne. Homme dynamique, qui apprécia à sa juste valeur ce jeune qui lui était confié. Il devait par la suite devenir son évêque et trouver en lui un précieux collaborateur.

Saint-Louis était le type de la ville coloniale. Un de ses confrères, le Père Lecoq, nous décrit la situation : "A ce moment-là, le Sénégal était la colonie la plus évoluée. On a dû considérer que le père Brottier serait apte à entrer en contact, non seulement avec les indigènes, mais aussi avec les européens, qui étaient relativement nombreux. Il y avait à Saint-Louis des écoles primaires, des écoles supérieures, un lycée etc. Saint-Louis était alors beaucoup plus développé que Dakar. La vie paroissiale y était intense. Le Père Brottier était chargé de toutes les œuvres de jeunesse. C'était le moment où les écoles venaient d'être laïcisées. Il fonda un cercle militaire, un patronage, une fanfare, une chorale. Il se rappela à ce moment-là qu'il avait des dons de musicien et qu'il pouvait utilement les faire fructifier."

Au départ des Frères en 1904, il organisa les patronages de filles et de garçons. Les sœurs de Saint Joseph de Cluny l'aidèrent en s'occupant des filles. Il s'occupa aussi activement des Enfants de Marie. On voit ainsi combien a pu lui servir sa préparation dans son diocèse d'origine.

Les maux de tête dont il avait souffert à Pontlevoy le reprirent. Une de ses dirigées, Amélie Vaubourg, relate : '"Il est parti de Saint-Louis le 28 janvier 1906 pour raison de santé. Il voulait aussi faire un essai à la Trappe, pour y chercher une vie plus recueillie." Mais après un congé en famille, il regagna le Sénégal et reprit ses fonctions à Saint-Louis.

En juin 1911, sa santé l'obligea de nouveau à rentrer en France et àrenoncer au Sénégal. Son essai à la Trappe de Lérins l'ayant convaincu que là n'était pas sa voie, il fut heureux que son évêque Mgr Jalabert le chargeât de lancer I'Œuvre du Souvenir Africain. Dakar devenait la ville importante du Sénégal et n'avait pour église qu'un pauvre bâtiment lézardé. Il lui fallait une cathédrale, et l'idée était venue d'en faire un mémorial pour tous les morts qui avaient laissé leur vie en Afrique Noire. En acceptant de lancer ce mouvement, le Père Brottier allait continuer à servir son Vicariat. Sa présence à Paris lui permettait de contacter les autorités et de chercher à intéresser le plus possible de bienfaiteurs. R commença avec plaisir.

L'époque de 1914 lui fit entreprendre une nouvelle étape dans sa vie. Le 2 août, la guerre était déclarée. Son supérieur général, Mgr Le Roy, ayant créé avec Albert de Mun le Corps des Aumôniers volontaires, Daniel Brottier, bien que réformé en 1907, se porta volontaire : il se sentait appelé àse rendre auprès de ses frères soldats les plus exposés.

Le général de Larminat écrivit de lui : "Le Père Brottier se consacra totalement au service des soldats combattants, les encourageant, les réconfortant spirituellement, les consolant dans leurs épreuves, allant auprès des blessés sur le champ de bataille pour les secourir, leur donnant l'absolution. Il fit tout cela avec un courage exemplaire et son comportement était d'une très haute spiritualité. Je dois dire qu'il m'impressionnait par le reflet de cette spiritualité, la clarté rayonnante de son ministère."

Après l'Armistice, il avouera : "A celui qui vit l'existence d'un fantassin en première ligne, il faut vraiment une abnégation surhumaine. Recommencer ce que j'ai fait à Verdun, dans la Somme, je ne le pourrais plus. Transporter des blessés, les réconforter spirituellement, rester des nuits et des jours dans un trou d'obus sous un bombardement terrible,' sourire et plaisanter quand on se sent abruti de froid, d'épuisement et de peur, c'est, oui vraiment, quelque chose d'insensé."

C'est pendant quatre ans qu'il vécut cette vie, ses vêtements souvent percés de balles, mais préservé de toute blessure ! Allait-il, la guerre terminée, oublier tout cela ? Ce n'était pas son genre. Il se décida à lancer l'idée d'un mouvement d'union entre les anciens du champ de bataille.

Monsieur Mouillier, un ancien de la 26e Division et son bras droit à Auteuil, a écrit à ce sujet : "J'ai vu naître l'Union Nationale des Combattants. Elle était née dans le cerveau du P. Brottier dès l'année 1916, et ses archives ont tenu longtemps dans sa cantine. Le Père était persuadé que du bouleversement amené par la guerre, il pourrait résulter une sorte de régénération du pays, si les cœurs restaient unis ensuite, comme ils l'étaient, malgré quelques petites misères quotidiennes, sur le front. C'est pour arriver à unir ainsi les cœurs qu'il a voulu continuer cette Œuvre. Il sut grouper aussi bien les plus grands chefs que les hommes de troupe. Le jour est venu plus tard où I'Œuvre semblant bien constituée, un comité ayant été créé, il estima que son rôle était terminé. C'est pourquoi il se retira discrètement, en laissant, à ceux qui en avaient recueilli la responsabilité, le soin de la diriger."

Une rencontre allait marquer la suite de sa vie. Le P. Pichon, son collaborateur et hagiographe, raconte : "Le R Brottier, pendant toute la guerre, avait été fréquemment très exposé. Il avait vu tomber autour de lui, je ne sais combien d'officiers et de soldats : il n'avait jamais été blessé... Il ne s'expliquait pas cette protection miraculeuse. Un jour, il fit part à Mgr Jalabert de cet étonnement. C'était en juin 1919. Il insistait en disant qu'il ne comprenait pas comment la chose avait pu se faire. Mgr Jalabert lui dit: Voici celle qui vous a protégé."

Il tira alors de son bréviaire une image double qui représentait la bienheureuse Thérèse de l'Enfant Jésus. Entre les deux feuillets, il avait inséré une photo du P. Brottier, et de sa main il avait écrit : "Petite sœur Thérèse, gardez-moi mon P. Brottier, j'en ai besoin." Le P. Brottier eut ainsi l'explication du mystère, et lui, qui jusqu'alors se sentait assez peu porté vers la jeune carmélite de Lisieux, se dit qu'il lui devait une gratitude particulière, et qu'il devait s'empresser de la lui témoigner dès que ce serait possible."

L'après-guerre ne le laissa pas inactif. Avec de si nombreux souvenirs de cette guerre meurtrière, et les décorations qui rappelaient ses actes de vaillance, il reprit son Œuvre des anciens combattants et celle du Souvenir Africain. C'est alors qu'un grand sacrifice va lui être imposé par la mort tragique de son évêque et ami Mgr Jalabert, dont le bateau, qui devait le reconduire à Dakar, s'écrasa sur le récif des Rochebonnes en janvier 1920. Un pêcheur des Sables d'Olonne relevant son filet y trouva le bréviaire de l'évêque avec, entre deux feuillets, le visage de Thérèse de Lisieux et le plan de la cathédrale de Dakar. Brottier y vit un signe de plus pour faire avancer ce projet. Un autre deuil le marqua aussi profondément, ce fut celui de sa mère. Par ces deux sacrifices, Dieu le préparait à la nouvelle étape qu'il lui demandait.

A Paris, un certain abbé Roussel avait commencé, en 1866, une œuvre pour des enfants abandonnés : "1'Œuvre de la première communion et celle des orphelins d'Auteuil". A sa mort, ses successeurs avaient poursuivi son œuvre, mais, en 1923, le cardinal de Paris dut faire appel à la congrégation du Saint-Esprit pour relancer l'Œuvre. Mgr Le Roy, alors supérieur général, fit appel au P. Brottier. Celui-ci sentit qu'il devait accepter, convaincu qu'il serait aidé par la petite Thérèse.

Le 23 novembre 1920, il arriva à Auteuil. Le P. Pichon, son collaborateur, raconte : "Le jour où de la rue Lhomond nous sommes venus ici, il me dit dans le taxi qui nous amenait : J'ai dit ma messe ce matin pour les orphelins d'Auteuil ; je me suis offert à Dieu pour les servir jusqu'à ma mort ; je ne désire aucun poste que celui-là ; et si vous voulez faire comme moi, Dieu bénira notre travail."

Le jour même de son arrivée, il écrivit à la prieure du Carmel de Lisieux, disant entre autre : "Je tiens à ce que mon premier acte, ma première lettre, soit pour le carmel de Lisieux, pour la Bienheureuse Thérèse de l'Enfant Jésus... J'ai gardé à la Bienheureuse une dévotion très particulière. Mon intention en venant à Auteuil était de mettre mes chers petits sous sa protection, et voici qu'ils y sont déjà." Il lui dit qu'il y avait déjà une statue d'elle dans la maison, et qu'il pensait lui élever une chapelle. Ce serait son premier sanctuaire dans Paris ; aussi demandait-il à la communauté de s'unir à la neuvaine qu'il commençait pour que le signe de la volonté de Dieu soit l'acceptation de ce projet par le cardinal de Paris et le supérieur général de sa congrégation.

On sait la suite : la construction de cette chapelle et le développement étonnant de 1'Œuvre, grâce à l'afflux miraculeux de l'argent nécessaire. De 1930 à 1936, année de sa mort, il ouvrit quatorze annexes hors de Paris. Monsieur Buquet, directeur de l'imprimerie, puis sacristain de la chapelle de Sainte Thérèse, précise : "Lorsque le P. Brottier est arrivé, il a trouvé àl'œuvre entre 160 et 170 enfants. Lorsqu'il est mort, il y en avait 1400"...

Le Père y épuisa ses forces, qui étaient toutes données à I'Œuvre, sanspour cela oublier la cathédrale du Souvenir Africain. La construction de ce dernier sanctuaire aboutit ; mais quand il fut consacré par le cardinal Verdier, en 1936, le Père, trop malade, ne put se rendre au Sénégal. Il en fit le sacrifice et Dieu l'appela à lui le 28 février 1936. Il partait avec confiance, son œuvre n'était-elle pas aussi celle de Thérèse ?

Dès le mois de mai 1946, le cardinal Verdier, archevêque de Paris, proposa officiellement à Rome la cause de Béatification de ce grand missionnaire. Moins de cinquante ans après sa mort cette cause put aboutir. Coïncidence significative, il fut béatifié en même temps qu'une carmélite, sœur Élisabeth de la Trinité. Thérèse de Lisieux avait voulut qu'une de ses sœurs la représente et soit associée à la glorification de celui avec lequel elle avait toujours œuvré. Brottier s'était un jour demandé s'il ne devait pas se retirer dans la solitude, comme l'avait fait Thérèse, mais Dieu lui avait fait comprendre qu'il fallait des missionnaires pour traduire en action l'élan des contemplatifs.

Grande fut la fête dans la Basilique Saint-Pierre de Rome, le 25 novembre 1984. La congrégation du Saint-Esprit, avec 1'Œuvre d'Auteuil et le diocèse de Blois, avait mobilisé beaucoup de monde. Se pressaient autour du Saint-Père les autorités civiles : l'ambassadeur de France auprès du Saint-Siège et la délégation officielle de la France avec le Garde des Sceaux, M. Badinter ; le cardinal Lustiger de Paris, le cardinal Thiandoum de Dakar, Mgr Goupy de Blois, Mgr Pierre Sagna de Saint-Louis, avec de nombreux spiritains et le personnel de 1'Œuvre d'Auteuil. On pouvait voir aussi des carmélites et remarquer 800 enfants et jeunes gens venus de France, de Martinique et de la Réunion, ainsi que de nombreux amis d'Auteuil.

Durant la cérémonie, le Saint-Père s'adressant aux jeunes voulut leur laisser comme message celui qui résume tout l'évangile. Il leur dit: " Découvrez, vous aussi, que Dieu vous aime, qu'il est proche de vous, que vous avez du prix à ses yeux. " Avec Thérèse Martin, Daniel Brottier nous a apppris que leurs deux vocations sont complémentaires, quand on agit en artisants de LA CIVILISATION DE L'Amour.

Page précédente