Mgr Henri VARIN de la BRUNELIERE,
1900-1983.


Henri de la Brunelière naquit avec le siècle en la veille de Noël, le 24 décembre 1900, d'une famille normande, à Notre-Dame-de-Cenilly, dans l'arrondissement de Coutances. Ses parents lui firent faire ses études secondaires dans un collège de Rennes et commencer ses études supérieures à l'université de Paris.

C'est là que s'éveilla sa vocation pour la vie missionnaire, et qu'il demanda son admission au noviciat de la congrégation du Saint-Esprit. Il prononça ses premiers vœux à Orly, le 27 octobre 1920 et passa ensuite à Chevilly pour les études de théologie. Prêtre le 28 octobre 1925, il fit sa consécration àl'apostolat l'année suivante, et reçut son obédience pour l'île de la Martinique. Après un petit congé en famille, il s'embarqua pour Fort-deFrance, où il fut reçu par l'évêque Monseigneur Lequien.

Il arrivait donc, en octobre 1926, dans un diocèse où il devait passer toute sa vie. l'Église y était établie depuis longtemps, car certaines paroisses pouvaient célébrer leur deuxième centenaire. Nommé vicaire à la cathédrale, il resta deux ans dans cette fonction, après quoi son évêque lui fit faire un intérim à Trois-Rivières, intérim qui dura jusqu'en 1931, date à laquelle il fut nommé curé de Basse-Pointe et s'adonna tout entier à la vie paroissiale.

En septembre 1939, la déclaration de guerre entraîna, l'année suivante, la débâcle de l'armée française et l'occupation de la France par l'armée allemande. La Martinique était loin des champs de bataille, mais elle en ressentait les contrecoups et les problèmes politiques agitaient le pays. Certains approuvaient l'action du général de Gaulle, la plupart attendaient de voir la tournure que prendraient les événements.

En 1940, Mgr Lequien fêta ses 25 ans d'épiscopat. On lui fit de belles fêtes, mais l'âge et la fatigue l'affaiblirent rapidement. Le 5 janvier 1941, il s'éteignit dans la paix du Seigneur. Le Père de la Brunelière était alors curé du Lorrain ; c'est là qu'il eut la surprise de recevoir, le 24 octobre suivant, sa nomination d'évêque de la Martinique.

Il devenait le neuvième évêque du diocèse. C'était en effet en 1851 que Rome avait nommé des évêques, en érigeant les diocèses dits coloniaux dans les îles de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Réunion.

Auparavant, des religieux avaient travaillé en Martinique : des capucins, des dominicains et des jésuites, ainsi que des prêtres séculiers envoyés par le séminaire colonial dirigé à Paris par les Pères du Saint-Esprit, société fondée par le Père Poullart des Places et continuee par le Père Libermann. C'est le P. Libermann qui avait fait nommer en Martinique, comme premier évêque du diocèse, l'abbé Le Herpeur, missionnaire diocésain depuis 30 ans à la Délivrande près de Caen. Il fut sacré à Bayeux en 1851 et installé la même année à Saint-Pierre de la Martinique.

Quand le Père de la Brunelière fut nommé évêque, c'était la guerre en Europe ; il jugea bon de ne pas se rendre en France pour s'y faire sacrer, comme on disait alors. Il fut décidé que la cérémonie aurait lieu à Fort-deFrance. Mgr Gourtray, évêque de la Guyane fut invité à être l'évêque consécrateur. Ce fut une très belle fête, dans un climat d'enthousiasme populaire. Mais la situation politique d'alors amenait un changement de régime et un climat de tension qui risquait de se terminer dans la violence et le sang. Le nouvel évêque intervint pour calmer les esprits de part et d'autre, en sorte que l'arrivée des uns et le départ des autres se fit sans heurt. Il joua vraiment un rôle de pacificateur, et tous les Martiniquais qui ont vécu ces événements lui en gardent une profonde reconnaissance.

Il était dans la pleine force de l'âge, avec une bonne expérience de la pastorale de l'île. La surpopulation exigeait de nouveaux centres paroissiaux ; il en créa un certain nombre : Bellevue, SaintChristophe, La Jossaud, Corridon, La Régale, Desmarinnières. Certaines églises anciennes réclamaient de sérieuses réparations et agrandissements. Tout ce travail fut effectué avec de bien faibles moyens, mais avec une grande foi en la Providence.

Le problème des vocations demeura pour lui l'un des soucis majeurs et le thème prioritaire de ses prédications. Les spiritains avaient, dès leur arrivée dans l'île, ouvert un collège qui était devenu séminaire-collège, auquel on avait toujours porté un très vif intérêt ; l'évêque créa le foyer des séminaristes et eut la joie de pouvoir ordonner prêtres un certain nombre de ses séminaristes.

En octobre 1944, il perdit le curé de la cathédrale, le Père Marie, qui venait d'être nommé Vicaire apostolique de la Guyane, comme successeur de Mgr Gourtray, qui avait été lui-même consécrateur de Mgr de la Brunelière. Cela donna par contre l'occasion de faire à nouveau une belle cérémonie de sacre dans la cathédrale de la Martinique.

En 1950, il organisa aussi des fêtes pour le centenaire du diocèse et fit donner une mission dans toutes les paroisses. Ce fut l'occasion de rappeler le rôle des religieuses dans la pastorale. Les Sœurs de Saint-Paul de Chartres étaient arrivées en Martinique dès 1818 et celles de Saint-Joseph de Cluny en 1824. Les dominicaines missionnaires de Notre-Dame de la Délivrande y avaient été fondées en 1868, et le diocèse avait reçu les Sœurs Missionnaires du SaintEsprit en 1924. Il fallait favoriser les vocations.

L'évêque tenait à accompagner de près la Légion de Marie, le Secours catholique, l'organisation de la direction des œuvres, des aumôneries et le renouveau de la Presse. Le diocèse avait depuis 1910 un hebdomadaire intitulé La Paix, qui devint Le Journal du dimanche, journal qui donnait des nouvelles de l'île et du monde, cherchant à y porter un jugement chrétien.

Le Concile de Vatican II allait amener dans l'Église un esprit nouveau et de profonds changements. Mgr de la Brunelière suivit, à une exception près, toutes les sessions du concile, de 1962 à 1965. Il eut a mettre en œuvre la réforme liturgique. Il fallait pousser les uns, ralentir les autres, maintenir l'unité au sein de l'Eglise dont il avait la responsabilité. La tâche s'avéra difficile. L'âge, la formation reçue, l'expérience d'un ministère différent de celui du passé ne firent qu'ajouter à l'épreuve. Il eut à souffrir de cette situation, surtout vers la fin de sa vie.

En 1967, Rome créa une nouvelle circonscription ecclésiastique : Fort-deFrance devint Archevêché, ayant comme suffragants : Basse-Terre et Cayenne. Comme archevêque, c'est à lui qu'il revenait de coordonner la pastorale de ces diocèses de langue française.

Une autre mission l'attendait, elle aussi fort délicate, celle de préparer le passage de l'Église missionnaire à l'Église locale, prise en charge par les Martiniquais. Dès le début de son épiscopat, il avait annoncé : "Je serai le dernier des évêques missionnaires." C'était bien dans la pensée de sa congrégation, qui n'acceptait de donner de ses membres comme évêques, que dans des cas exceptionnels. Ainsi il avait fallu les difficultés créées dans les diocèses coloniaux par la séparation de l'Église et de l'État pour qu'en 1912 elle accepte que le Père Malleret soit nommé évêque de la Martinique. A ce sujet, le Père Janin écrivait : "C'était une volonté arrêtée, chez les supérieurs de la congrégation, de ne pas accepter la direction des diocèses coloniaux. On se contentait du rôle d'auxiliaires pour la formation du clergé et pour certaines œuvres annexes. Cette volonté ne céda que devant l'ordre formel du Saint-Siège au moment de la Séparation, devant la nécessité urgente qui se révéla à ce moment-là."

En Afrique, les évêques spiritains commençaient à passer la main aux prêtres autochtones. Il était normal que cela se fasse dans les diocèses antillais. D'accord avec son voisin, Mgr Gay évêque de la Guadeloupe, ils préparèrent l'un et l'autre les mentalités et firent les démarches à Rome. En juillet 1969, Rome donnait à Mgr Varin de la Brunelière un évêque auxiliaire en la personne de Mgr Marie-Sainte. Par cette nomination, l'Église en Martinique avait franchi un grand pas. Le nouvel évêque, né dans l'île, avait fait ses études au séminaire de Fort-de-France, puis àRome à l'Université Urbaniana, alors qu'il était vicaire général de Mgr de la Brunelière. L'année suivante, ce fut en Guadeloupe qu'un antillais était nommé évêque et que le diocèse lui était confié : Mgr Oualli devenait évêque de Basse-Terre et de Pointe-à-Pitre.

Mgr de la Brunelière attendit jusqu'en 1972 pour offrir au Pape sa démission. Elle devint effective le 2 décembre de la même année, date àlaquelle Mgr Marie-Sainte devenait archevêque de Fort-de-France et SaintPïerre. Mgr de la Brunelière avait été le troisième évêque spiritain de la Martinique. Sa congrégation cessait d'être responsable de ce diocèse.

Il se sentait si attaché au pays, où il avait déjà passé 43 ans, qu'il voulut consacrer les quelques années qui lui restaient à vivre au ministère pastoral dans la petite paroisse qu'il avait fondée à La Régale. Il acceptait volontiers de rendre quelques services ailleurs : au séminaire-collùge et aux sanctuaires des pèlerinages, par exemple à celui de Notre-Dame de la Délivrande au Morne-Rouge, très ancien centre marial, fruit d'un vœu fait par Mgr Le Herpeur au cours d'une tempête lors de son premier voyage. Il visitait aussi celui de Balata, où reposait son prédécesseur Mgr Lequien.

Se rappelant ses origines campagnardes, il s'efforçait de garder l'habitude d'aller dans les mornes, pour y chasser quelque gibier. Mais peu à peu il s'affaiblissait. Il devint malade et, le 24 juillet 1983, le Seigneur vint l'appeler à Lui.

Comme il l'avait demandé, sa dépouille mortelle repose dans l'église de La Régale, à laquelle il s'était tant attaché. Monseigneur Marie-Sainte, son successeur comme archevêque de la Martinique, présida ses obsèques et fit l'éloge du défunt : "En devenant évêque, Mgr de la Brunelière avait pris comme devise Veni ministrare, je suis venu pour servir ! Et il l'a fait, à sa manière bien sûr, mais scrupuleusement, fidèlement, à tous les instants et jusqu'à la dernière minute de sa vie... Frères et sœurs, les sentiments que nous avons pour lui, d'admiration, d'attachement, de respect, de gratitude, puissions-nous les convertir en résolution de porter plus loin I'œuvre pour laquelle il a consacré sa vie." Et s'adressant à lui, il poursuivit : "Vous avez vécu dans un monde bouleversé, vous avez servi dans une Église bousculée par sa propre renaissance, issue d'un Concile auquel vous avez participé. Vous avez souffert des mutations du monde, comme des réformes quelquefois intempestives de l'institution ecclésiale. Pourtant, de cette vie et de ce ministère bien rempli, laissez-nous retenir comme essentiel le commandement ultime, le testament nouveau du Christ Jésus luimême, que je me permets de mettre aujourd'hui sur vos lèvres : "Mes petits enfants, je vous donne un commandement nouveau : Aimezvous les uns les autres... Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

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