Mgr Jean CALLOCH,
1875-1928


C'est le 17 octobre 1875, au manoir de Cosmaner, en Ergué-Armel, près Quimper, que naquit Jean-René Calloc'h, d'une famille paysanne, mais paysanne de haut lignage, peut-on dire. Il en était fier à bon droit, et cette fierté s'alliait en lui étrangement à une humilité presque farouche. Le site sévère et grandiose des abords de Cosmarier, les hautes futaies, la baie de Kerrogan toute pareille à un lac d'écosse, la solitude enfin et le silence des lieux imprimèrent-ils à l'âme de l'enfant les goûts et les tendances qui devaient le diriger vers les lointaines savanes de l'Oubangui-Chari ? Toujours est-il que sa jeunesse s'enthousiasma aux récits des missionnaires. Il trouvait sans doute dans ces récits à satisfaire le besoin d'action qui fut toujours sa caractéristique. Rien ne l'arrêtait : "Losk arog" aimait-il dire, laisse aller de l'avant. De fait, bout-en-train au jeu, il était ardent à l'étude, d'abord au Likès, où il prit, près de l'aumônier M. Jossin, ses premières leçons de latin, avant d'entrer au petit séminaire de PontCroix. Pendant les vacances, il fréquentait la cure de M. Le Gall, recteur d'Ergué-Armel pendant vingt-quatre ans, qui créait autour de lui une atmosphère vraiment sacerdotale, propre à marquer de son empreinte les jeunes clercs qui l'approchaient. Mais une paroisse ne pouvait lui suffire. Durant ses années de grand séminaire son rêve missionnaire avait grandi dans le silence, et ce fut l'étonnement quand il dévoila après son ordination sacerdotale, le 23 décembre 1899, son projet d'entrer au noviciat des spiritains. Celui qui écrira plus tard "Les difficultés, loin de me décourager, m'animent", sut vaincre les réticences de la famille et du diocèse. Un an après, il partait pour le Congo.

Il arriva à Brazzaville en l'absence de Mgr Augouard, ce fut le Père Rémy qui le reçut, et, d'entente avec son évêque, le retint à la mission, pour lui confier l'œuvre importante et difficile des enfants batékés. Mais là où d'autres avaient peut-être plus ou moins échoué, le P. Calloc'h devait réussir, à force de ténacité, d'intelligence et de dévouement, En peu de temps, en effet, le jeune Père obtint des résultats tout à fait inespérés. Ce qui le servit à souhait, ce fut sa facilité et son grand soin à se mettre tout de suite à l'étude de la langue parlée par ses enfants. Bien vite il put comprendre leur idiome, et en peu de mois arriver à se l'assimiler et le parler, tout en recueillant déjà les matériaux pour un catéchisme en langue téké. Ce dernier paraissait imprimé dès l'année suivante, juste après un an de séjour en Afrique : c'était un record !

Peu de temps après, notre missionnaire se vit confier l'organisation de l'œuvre des catéchistes et des chapelles-écoles dans les principaux centres environnant la mission. Il était heureux, lui si alerte, si plein d'entrain, d'arpenter la brousse ou d'aller passer deux ou trois semaines au milieu de ses catéchistes et élèves, pour les instruire et se perfectionner dans leurs langues. Au retour, quand il rentrait à la mission, c'était pour reprendre ses classes près de ses batékés, se retremper dans la vie de communauté, et consacrer ses loisirs à rédiger ses notes, les classer et préparer la composition de vocabulaires, catéchismes et grammaires dans les idiomes qu'il venait d'étudier. Dès 1904, il faisait ainsi paraître un manuel de conversation et un syllabaire, en langue téké, de 90 pages.

Dans de pareilles conditions, on ne sera pas surpris de le voir écrire à son supérieur général pour demander les vœux perpétuels et lui dire : "Je suis heureux de vous faire savoir que nul regret n'est encore venu contrister mon cœur. Il semble au contraire que les années n'ont fait qu'aviver davantage mon zèle et mon amour pour la vie religieuse et la vie apostolique." Le P. Calloc'h était donc content, et on était aussi content de lui. Cela ressort de la note dont Mgr Augouard avait accompagné la demande de vœux perpétuels de son missionnaire. "Le P. Calloc'h, écrivait-il à Paris, est un excellent religieux et zélé missionnaire. On n'a qu'à se louer de lui sous tous les rapports. Il fait et il fera encore beaucoup de bien."

Le P. Calloc'h avait désiré "le coin le plus rude de l'Afrique" pour y travailler, et voilà que l'heure était venue de faire droit à sa demande. Nous sommes en l'année 1906. A cette date, la mission de St-Paul des Rapides, à Bangui, fondée en 1894, à 1.600 kilomètres de la côte, passait par une crise de personnel vraiment pénible, comme cela arrive parfois dans ces lointaines missions, où les surprises surviennent sans qu'on ait sous la main les moyens d'y parer. Le 19 avril de cette année, le P. Verguet, qui avait fondé la station des "Bouroussés" à 45 kilomètres de Bangui, était enlevé par un accès de fièvre bilieuse hématurique, et déjà, au début de janvier, le P. Beauchesne, son confrère, atteint de la maladie du sommeil, avait dû rentrer en France, laissant seul à Bangui le P. Sallaz, dont la santé était assez fragile. 11 fallait envoyer un secours immédiat à cette mission si rudement éprouvée et si difficile. Ce fut le P. Calloc'h qui se trouva désigné. Avec la force de ses trente ans, un séjour de cinq ans sous le rude soleil de l'équateur, et la possession de plusieurs idiomes du pays, il semblait bien être l'homme de la circonstance, et il le fut en effet. D'ailleurs, depuis douze ans que les missionnaires vivaient au milieu des "Bondjos", si redoutables jadis par leur férocité, leur avidité de chair humaine, et leur habileté dans le vol, ils s'étaient avantageusernent modifiés. Maintenant, plus n'était besoin de monter continuellement la garde, comme dans le passé, et de jour et de nuit, à la porte de la maison ; bien plus, ils commençaient à nous confier leurs enfants. Le P. Calloc'h eut donc tôt fait de se mettre en rapport avec ses nouvelles ouailles, et de prendre sur les Bouroussés, avec son ardeur apostolique, l'ascendant qu'il avait eu à Brazzaville sur les Batékés.

Cet apostolat, il le faisait tout en remplissant les fonctions plus ou moins définies de supérieur à Bangui, ce qui ne laissait pas de rendre sa situation difficile, car Notre-Dame des Bouroussés était distante de 45 kilomètres de la mission de Saint-Paul. Cependant, malgré ce double travail, si fatigant, il trouva moyen de traduire en langue Mombé le catéchisme de la Foi catholique de Mgr Le Roy. De cette époque aussi datent les bonnes relations officielles que le jeune supérieur de Bangui s'efforcera d'entretenir avec toutes les autorités administratives, tout le long de sa vie, et qui lui valurent la bienveillance de M. Merwart, lieutenant-gouverneur de la Colonie de l'OubanguiChari-Tchad, et de son suppléant, M. Fourneau, tous les deux pleins d'admiration pour le rôle civilisateur du missionnaire en Afrique.

Dans le courant de l'année 1908, le P. Calloc'h, ayant reçu du renfort de Brazzaville, put se décharger de l'œuvre des Bouroussés sur le jeune confrère qu'on lui envoyait, et s'occuper enfin plus librement de l'organisation matérielle de la mission de St-Paul de Bangui, dont il fera avec le temps une station bien installée et vraiment productive. C'est ce qui lui permettait d'écrire à Paris : "Présentement, c'est plus souvent que je manie le rabot et la truelle que la plume, et que je prends le sentier des chantiers que celui des villages."

C'était à regret sans doute qu'il négligeait ses études linguistiques, mais il le fallait bien pour l'entretien de ses enfants de la mission, et puis, il s'en consolait aussi en ayant pu par là faciliter le travail du ministère à ses jeunes confrères, tandis qu'il gardait les travaux matériels pour lui.

Les mois qui suivent furent pour lui l'occasion de grandes peines. Vers la fin de décembre de cette même année 1908, un terrible accident coûta la vie au cher F. Floride, qui se tua en pêchant dans le fleuve à la dynamite. Ce décès tragique contrista profondément le Père Calloc'h, qui ne put jamais l'oublier.

A quelques jours de là, en janvier 1909, s'éteignait à Paris, après trois ans d'une longue agonie, le cher P. Beauchesne, l'un des fondateurs de la résidence des Bouroussés et des premiers ouvriers de la mission de Bangui, où il avait laissé un souvenir inoubliable. Ces deux deuils, arrivés coup sur coup, émurent profondément, malgré des apparences rigides, le cœur si sensible du P. Calloc'h. Il commençait à sentir le poids de ses neuf années d'Afrique, au labeur si intense et si dur ! Ses supérieurs s'en rendirent bien compte à la nervosité qui l'agitait parfois dans les difficultés qu'il avait si bien supportées jusque-là, et un voyage en Europe fut décidé sans retard.

D'ailleurs, depuis le 8 mai de cette année 1909, un grand changement s'était fait dans la Mission. Les stations du Haut-Oubangui, par décret de la Propagande, avaient été détachées du Vicariat apostolique de Brazzaville et érigées en Préfecture apostolique avec, à leur tête, le Père Cotel, précédemment supérieur de la Mission de Bessou, et le P. Calloc'h comme vicaire général. (Ce territoire, plus grand que la France, est actuellement celui de la République Centrafricaine, dont la capitale est Bangui, et le Sango la langue nationale).

C'est en septembre suivant que le Père s'embarqua pour la France, où il passa sept mois. Si ce séjour fut utile pour sa santé, il ne le fut pas moins pour les intérêts de sa mission. Pendant ce congé, le P. Calloc'h s'occupa très activement en effet, non seulement de recueillir près de ses amis et connaissances des ressources pour le développement de son œuvre, mais surtout il s'employa à mettre en ordre ses notes linguistiques sur les idiomes des populations qu'il évangélisait à Bangui. Il eut l'avantage d'intéresser à ce travail précieux M. Millet, professeur au Collège de France, qui voulut bien préfacer son vocabulaire Féançais-Infimu (batéké), précédé d'éléments de grammaire, et honoré d'une subvention par l'académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Cet ouvrage important, qui parut en 1911, après son retour à Bangu avait été précédé d'un autre, imprimé la même année : c'était un vocabulaire Français-Sango et Sango-Français, sorte de langue commerciale de l'Oubangui-Chari, utilisée de Bangui aux Sultanats de l'Est et au Nord jusqu'au Tchad. Ce dictionnaire Sango, précédé d'une grammaire, fut édité, partie par la Société antiesclavagiste de France, partie par les fonctionnaires et les commerçants de Bangui, qui montraient par là combien ils avaient apprécié le savoir utile de notre missionnaire.

L'afflux des populations vers Bangui, devenue capitale, vida bientôt la station des Bouroussés, et obligea la mission de St-Paul à s'implanter dans la ville de Bangui. Les Européens y étaient environ 170, auxquels il fallait ajouter 3M miliciens et près de 3.000 noirs, venus d'un peu partout. Aussi le besoin se fit-il sentir d'établir dans ce centre, cheflieu de l'administration civile, une résidence et une chapelle, car la mission de St-Paul-des-Rapides est à 4 kilomètres de la ville. En attendant ces constructions, un prêtre ou un catéchiste s'en venait tous les soirs, de St-Paul à Bangui, pour grouper les catéchumènes, les instruire et les préparer au baptême ; mais combien, on le devine, son rôle était difficile, et combien réduit aussi le chiffre de ses auditeurs assidus !

Dans ce même temps, le Père Cotel, préfet apostolique, éprouvait des difficultés pareilles à la mission de la Sainte Famille, et dans la fondation de l'œuvre de St-Joseph des Burakas. Surmené, pris de fièvre, il était obligé de rentrer en France, où il mourait le 16 mars 1914, à Notre-Dame de Langonnet.

C'est dans ces circonstances que Rome, par un décret du 21 janvier 1914, nomma le Père Calloc'h Préfet apostolique de l'OubanguiChari, et que ce dernier, déférant au désir de son Supérieur général, accepta les responsabilités qu'on lui imposait, en promettant de faire de son mieux. L'acceptation de la Préfecture par Mgr Calloc'h n'allait pas chez lui, en effet, sans une certaine appréhension, car les difficultés étaient nombreuses, et le nouveau Préfet, qui se connaissait bien, n'était pas sans douter de lui-même, non pas certes de ses bonnes dispositions, mais plutôt de son tempérament et du manque de souplesse de son caractère. La Préfecture comptait alors 7 prêtres, dont 2 en France, 3 frères et 4 religieuses de St-Joseph de Cluny, avec 4 résidences ou stations, dont l'une en voie de fondation, le tout comptait 967 chrétiens. Or la guerre qui allait durer 4 années devait encore réduire les possibilités. Pendant plus de deux ans, il fallut fermer deux résidences, et ne conserver que Bessou avec deux Pères, et Bangui où le Préfet apostolique restait seul avec deux Frères !

Pour comble de malheur, la maladie du sommeil vint terrasser le Préfet apostolique. S'il ne succomba pas dans de pareilles épreuves, c'est que Mgr Calloc'h était un homme d'une endurance rare, que, d'autre part, il reçut les soins éclairés, assidus, du Docteur Jamot, tout dévoué à sa personne, et que lui-même ne recula pas devant l'usage de remèdes, comme il écrivait à Paris, de la catégorie dite "remèdes de cheval".

Suffisamment guéri, il continua à payer de sa personne. Tôt levé, il assurait ses exercices spirituels et disait son bréviaire, pour se donner ensuite aux besoins les plus pressants de la mission : habituellement l'entretien de vastes plantations pour procurer les vivres nécessaires à la mission ; parfois aussi la chasse, où il était fort habile, pour fournir de viande les repas de ses enfants. La formation des apprentis dans les ateliers, l'aide aux catéchistes, les examens des élèves pour l'admission au baptême ou aux autres sacrements. Il y était très exigeant, voulant, comme il disait, faire des chrétiens et non des apostats.

Le second voyage que Mgr Calloc'h fit en Europe en 1919, lui permit de retrouver pour quelque temps sa vigueur première, après les dix années terribles qu'il venait de passer. Il célébra les offices de Pâques en 1920 dans sa paroisse natale ; ce fut grande satisfaction à Ergué-Armel. Et la congrégation lui promit du renfort en personnel.

A son retour, il retrouva les difficultés habituelles, le climat anémiant, et il subit en quelques temps les mêmes ennuis de santé. Tout cela, joint à ses 25 ans d'Afrique, lui donna à comprendre qu'en face de responsabilités et de difficultés toujours croissantes, peut-être serait-il bon de passer la main à un autre, à un homme nouveau, pour le bien de la Mission.

Venu en France pour le Chapitre général de 1926, Mgr Calloc'h fut heureux d'offrir sa démission et d'être approuvé par Mgr Le Hunsec pour la nouvelle fondation qu'il se proposait comme simple missionnaire. Il avait choisi de s'implanter dans un poste avancé, à Batangafo. Le Gouverneur Lamblin lui avait aimablement accordé une concession de huit hectares. Malheureusement, le Père Calloc'h avait trop présumé de ses forces. Vite épuisé, il s'éteignait pieusement le 16 juin 1928. Il avait 52 ans. Le lendemain, il fut enterré sur ce terrain qu'il avait commencé à défricher.

Sa mort eut une grande répercussion, non seulement dans la colonie, où on le tenait pour un homme supérieur, un grand Africain, mais aussi en Europe, en France, et jusqu'en Amérique, où la Presse lui consacra les articles les plus élogieux.

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