Le Père Jean-René CALLOC’H,
décédé le 18 juin 1928, a Batangafo,
à l'âge de 52 ans.


Il était né à Prat-Maria, en Ergué-Armel, à une lieue environ de Quimper, le 17 octobre 1875. Après ses études primaires à l'école de cette ville, il passa à 12 ans au petit séminaire de Pont-Croix, y fit toutes ses classes secondaires, et de là, en octobre 1894, entra au grand séminaire de Quimper. Il fut ordonné prêtre, en 1899.

Se sentant appelé à l'apostolat lointain et fort de l'approbation de ses directeurs, M. Calloc'h s'ouvrit de ses projets à ses parents, qui ne s'en doutaient pas. Ils y répugnèrent d’abord, mais, devant la volonté persistante de leur fils, ils le laissèrent partir. C'est ainsi que, le 17 février 1900, M. l'abbé Jean Calloc'h se présenta au noviciat d’Orly,

Reçu à la profession religieuse le 23 février 1901, le P. Calloc’h fit ce jour même sa Consécration à l'apostolat dans la chapelle du noviciat d'Orly, et eut la joie de recevoir son obédience pour la mission du Congo français.

Le jeune missionnaire s'embarquait à Bordeaux le 15 avril, à destination de Brazzaville. Il y arriva en l'absence du vicaire apostolique, Mgr Augouard, et ce fut le P. Rémy, vicaire général, qui le reçut, et, d'entente avec son évêque, le retint à la mission, pour lui confier l'œuvre importante des enfants batéké. Là où d'autres avaient plus ou moins échoué, le P. Calloc'h devait réussir, à force de ténacité, d'intelligence et de dévouement. En peu de temps, en effet, le jeune père obtint des résultats tout à fait inespérés. Ce qui le servit à souhait, ce fut son grand soin à se mettre tout de suite à l’étude de la langue parlée par ses enfants. Bien vite il put comprendre leur idiome, et en peu de mois arriver à se l’assimiler et le parler tout en recueillant déjà des matériaux pour un catéchisme téké. Ce dernier paraissait imprimé dès l’année suivante, juste après un an de séjour en Afrique : c’était un record !

Peu de temps après, notre missionnaire se vit confier l’organisation de l’œuvre des catéchistes et des chapelles-écoles dans les principaux centres environnant la mission. Comme il était heureux, lui, si alerte, si plein d'entrain, d'arpenter la brousse ou d'aller passer deux et trois semaines au milieu de ses catéchistes et élèves, pour les instruire et se perfectionner dans leurs langues ! Au retour, quand il rentrait à la mission, c'était pour reprendre ses classes près de ses batéké, se retremper dans la vie de communauté, et consacrer ses loisirs à rédiger ses notes, les classer et préparer la composition de vocabulaires, catéchismes et grammaires dans les idiomes qu'il venait d'étudier. Dès 1904, il faisait ainsi paraître un manuel de conversation et un syllabaire, en langue téké, de 90 pages.

En 1906 la mission de Saint-Paul des Rapides, à Bangui, fondée en 1894, à 1 600 kilomètres de la côte, passait par une crise de personnel vraiment pénible. Le 19 avril de cette année, le P. Verguet, qui avait fondé l'œuvre des Bouroussès, à 45 kilomètres de Bangui, était enlevé par un accès de fièvre bilieuse hématurique, et déjà, au début de janvier, le P. Beauchêne, son confrère, atteint de la maladie du sommeil, avait dû rentrer en France, laissant à Bangui le P. Sallaz, dont la santé était assez chétive habituellement. Il fallait envoyer un secours immédiat à cette mission si rudement éprouvée et si difficile, et ce fut le P. Calloc’h qui fut désigné. Avec la force de ses 30 ans, un séjour de cinq ans sous le rude soleil de l’Équateur, et la possession de plusieurs idiome du pays, il semblait bien être l’homme de la circonstance. Le P. Calloc'h eut tôt fait de se mettre en rapport avec ses nouvelles ouailles, et de prendre sur les Bouroussés, avec son ardeur apostolique, l'ascendant qu'il avait eu a Brazzaville sur les Batéké.

Cet apostolat, il le faisait tout en remplissant les fonctions plus ou moins définies de supérieur à Bangui, ce qui ne laissait pas de rendre sa situation difficile, Car Notre-Dame des Bouroussés était distante de 45 kilomètres environ de la mission Saint-Paul. Cependant, malgré ce double travail, si fatigant, il trouva moyen de traduire en langue Mombé le catéchisme de Mgr Le Roy.

Dans le courant de l'année 1908, le P. Calloc'h, ayant reçu du renfort de Brazzaville, put se décharger de l'œuvre des Bouroussés sur le jeune confrère qu'on lui envoyait, et s'occuper enfin plus librement de l'organisation matérielle de la mission de Bangui, dont il fera avec le temps une station bien installée et vraiment productive. C'est ce qui lui permettait d'écrire a Paris : « Présentement, c'est plus souvent que je manie le rabot et la truelle que la plume, et que je prends le sentier des chantiers que celui des villages.» C'était à regret sans doute qu'il négligeait ses études linguistiques, mais il le fallait bien pour l'entretien des enfants de la mission, et puis, il s'en consolait aussi en ayant pu par là faciliter le travail du ministère à ses jeunes confrères, tandis qu'il gardait le matériel pour lui.

Les mois qui suivirent furent pour lui l'occasion de grandes peines. En décembre 1908, l'accident qui coûta la vie au F. Floride Decherf, lors d'une pêche à la dynamite, le contrista profondément. À quelques jours de là, en janvier 1909, s'éteignait à Paris, après trois ans d'une longue agonie, le cher P. Beauchêne, l'un des fondateurs de la résidence des Bouroussés et des premiers ouvriers de la mission de Bangui, où il avait laissé un souvenir inoubliable. Ces deux deuils, arrivés coup sur coup, émurent profondément, malgré des apparences rigide, le cœur si sensible du P. Calloc'h. Il commençait à sentir le poids de ses neuf années d'Afrique, au labeur si intense et si dur!

Ses supérieurs s'en rendirent bien compte à la nervosité qui l'agitait parfois dans les difficultés qu'il avait si bien supportées jusque là, et un voyage en Europe fut décidé sans retard. D'ailleurs, depuis le 8 mai de cette année, un grand change­ment s'était fait dans la mission. Les stations du Haut-Oubangui, par décret de la Propagande, avaient été érigées en préfecture apostolique, avec, à leur tête, le P. Pierre Cotel, précédemment supérieur de la mission de Bessou, et le P. Calloc'h comme vicaire général. C'est en septembre suivant que le père s'embarqua pour la France ou il passa sept mois.

Si ce séjour fut utile pour sa santé, il ne le fut pas moins pour les intérêts de sa mission. Pendant ce congé, le P. Calloc'h s'occupa très activement en effet non seulement de recueillir prés de ses amis et connaissances des ressources pour le développement de son œuvre, mais surtout il s'employa à mettre en ordre ses notes linguistiques sur les idiomes des populations qu'il évangélisait à Bangui

Il eut l’avantage d'intéresser à ce travail précieux M. Millet, professeur au Collège de France qui voulut bien préfacer son vocabulaire Français-Infimu (batéké), précédé d’éléments de grammaire et honoré d'une subvention par l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Cet ouvrage important, qui parut en 1911, après son retour à Bangui, avait été précédé d'un autre, imprimé la même année : c'était un vocabulaire Français-Sango et Sango-Français, précédé pareillement d'un abrégé grammatical. Parlé de Bangui aux Sultanats et jusqu'au Haut-Chari, cette sorte de sabir adopté par les Européens et les indigènes, formé de divers idiomes, fut édité, partie aux frais de la Société Anti-esclavagiste de France, et partie aux frais des fonctionnaires et commerçants, qui montraient par là combien ils appréciaient le savoir utile de notre missionnaire.

Vers la même époque parurent encore un vocabulaire Français-Guibwaga-Gban­ziri-Majombo, accompagné aussi d'éléments de grammaire et un vocabulaire Français-Gbéa, suivi de notions grammaticales très précieuses.

Les années qui suivirent. 1911, 1912, 1913, furent des années dures pour la préfecture, encore toute jeune. Chez les Bouroussés, aux portes de Bangui, des défections nombreuses s'étaient produites qui avaient considérablement réduit le chiffre des catéchumènes ; puis la maladie du sommeil avait fait de sombres coupes dans la population des villages avoisinants, si bien que les directeurs, tombés malades l'un après l'autre, avaient dû rentrer en France, et que la résidence était devenue un simple poste qu'on allait visiter de temps à autre.

Par contre, si la population disparaissait dans les villages, elle s'accroissait à Bangui-ville surtout. Les Européens y étaient environ 170, auxquels il fallait ajouter 300 miliciens et prés de 3 000 Noirs, venus d'un peu partout. Aussi le besoin se fit-il sentir d'établir dans ce centre, chef-lieu de l'administration civile, une résidence et une chapelle. car la mission de Bangui est à 4 kilomètres de la ville.

Dans ce même temps, le préfet apostolique, le P. Cotel éprouvait, lui aussi, des difficultés à la mission de la Sainte-Famille, et dans la fondation de l'œuvre de Saint-Joseph des Burakas : aussi, pris de fièvre, était-il obligé de rentrer en France : il arrivait à Bordeaux le 10 septembre 1913 et devait mourir le 16 mars 1914, à Notre-Dame de Langonnet.

C'est dans de telles circonstances que la Propagande, par un décret du 21 janvier 1914, nomma le P. Calloc'h préfet apostolique de l'Oubangui-Chari. L'acceptation de la préfecture n'allait pas chez lui en effet sans une certaine appréhension, car les difficultés s'annonçaient déjà nombreuses, et le nouveau préfet, qui se connaissait, n'était pas sans douter de lui-même, non pas certes de ses bonnes dispositions, mais plutôt de son tempérament et de la souplesse de son caractère.

Pour comble de malheur la maladie du sommeil vint le terrasser. S'il ne succomba pas c'est qu’il était un homme d'une endurance rare et que, d'autre part, il reçut les soins éclairés, assidus du Docteur Jamot tout dévoué à sa personne, et que lui-même ne recula pas devant 1'usage de remèdes, comme il l'écrivait à Paris, de la catégorie dite remèdes de cheval. Mais la maladie laissa des traces, elle agit comme un excitant sur ses dispositions naturelles : sévérité exagérée, facilité à se buter, timidité excessive aussi, car c'était bien cela qui ressortait d'ordinaire en ses intransigeances apparentes.

Mgr Calloc'h continuait néanmoins à payer de sa personne. Tôt le matin, il était levé, faisait ses exercices de piété, disait son bréviaire avant l'oraison de la communauté, et ainsi était libre le reste de la journée pour disposer de son temps, suivant les besoins les plus pressants. C'était le travail dans les vastes plantations pour procurer les vivres nécessaires à la mission ; c'était parfois la chasse, non pas comme plaisir, bien qu'il fût un très habile fusil, mais pour fournir de viande la table de ses enfants : c'étaient les ateliers pour y scier, équarrir, raboter, afin de former des apprentis et se procurer des ressources, en travaillant pour la ville ; c'était aussi le travail des langues, pour fournir de catéchismes, de paroissiens extrêmement complets, ses missionnaires, ses catéchistes et même ses néophytes.

En matière d'enseignement religieux, tout le monde savait dans la préfecture combien il avait la réputation d'être très exigeant. « Je veux faire des chrétiens, et non des apostats », disait-il. Il prônait des catéchismes très longs, des examens sévères pour l'admission au baptême et aux autres sacrements, au point de décourager nombre de ses catéchumènes et même de ses chrétiens. De plus, en ces questions, où sa conduite tranchait si fortement avec la pratique générale, plus indulgente, usitée dans nos autres missions, il supportait difficilement, pas seulement la critique, mais même la simple discussion, tant il s'exagérait l'idéal que le missionnaire africain doit poursuivre dans la fondation de ses premières chrétientés.

Un second voyage que Mgr Calloc'h fit en Europe en 1919, sitôt après la guerre, et dont la nécessité s'imposait pour sa santé, après les dix années terribles qu'il venait de passer, lui permit de recouvrer, pour quelque temps, sa vigueur première, et surtout de se procurer du renfort en personnel. Il lui sembla dès lors que les difficultés rencontrées précédemment allaient disparaître comme par enchantement.

Dans un rapport sur sa mission qu'il envoya peu de temps après à la maison mère, s'adressant à nos futurs missionnaires de Chevilly, et réfutant les difficultés qu'on avait jadis signalées dans cette préfecture, qualifiée d'une des missions les plus difficiles du monde entier, il leur disait : « On a parlé d'insalubrité dans l'Oubangui-Chari, elle n'existe plus, à preuve les longs séjours qu'y font les missionnaires. On a parlé d'éparpillement des populations, cela n'est plus : tous les villages ont été placés sur de belles routes où circulent automobiles, camions et motocyclettes, et sur des milliers de kilomètres : en six jours, on va de Bangui au Tchad. On a parlé de diversité des langues ; cette question n'est plus un embarras avec le catéchisme traduit en quatre langues. On a parlé de ressources locales ; l'Oubangui les a en abondance. On a parlé de vocations ; oui, là est notre principale préoccupation. Mais qu'on ne trouve pas surprenant que les anthropophages d'hier ne soient prêtres que demain. Ce qui nous a arrêté, ce qui nous arrête encore, c'est le manque de personnel. »

Il y avait un peu d'illusion à parler ainsi : l'Oubangui restait, malgré tous les efforts et tous les dévouements, une des missions les plus difficiles. Mgr Calloc'h ne fut pas longtemps à s'en apercevoir. Le portage, les impôts, la mainmise sur la population pour les routes, les chemins de fer, les grands travaux à faire, même au mieux des intérêts des indigènes et par un gouverneur. qui leur voulait du bien, M. Lamblin ; tout cela continuait à causer, comme par le passé, de gros ennuis, a désorganiser les stations l'une après l'autre, par l'exode des populations, la désertion des écoles des catéchismes, et forçait à de continuels recommencements, C'était le cas pour Bambari, succédant à l'œuvre des Bourakas, quatre fois abandonnée et quatre fois reprise depuis 1912,

Mgr Calloc'h, au bout de peu de temps, se retrouva en présence des mêmes ennuis de santé. Bien plus, il dut se rendre compte que sa manière sévère de concevoir l'éducation chrétienne des Noirs avait peu d'attirance pour ses missionnaires. Tout cela, lui donna à comprendre qu'en face de responsabilités et de difficultés toujours croissantes, peut-être serait-il bon de passer la main à un homme nouveau, pour le bien de la Mission. Envisageant la possibilité pour lui d'aller comme simple missionnaire, essayer plus haut, vers le Tchad, une tentative nouvelle, il profita de la réunion du Chapitre général de 1926, auquel il devait prendre part, pour s'en ouvrir au nouveau Supérieur général, Mgr Le Hunsec.

Celui-ci l'approuva et Mgr Calloc'h fut heureux de lui offrir sa démission, et de s'en aller, comme simple père, préparer la fondation de la nouvelle mission, dans la direction du Tchad. En novembre suivant, il s'embarquait donc pour Douala, à destination de Fort-Archambault. Un jeune père et un frère devaient venir l'y rejoindre. Accueilli avec beaucoup de sympathie par M. Marchand, gouverneur du Cameroun, le P. Calloc'h s'achemina vers le poste à fonder, tantôt en chemin de fer, tantôt en auto, tantôt à pied et tantôt en baleinière. Mais quand il arriva à Fort-Archambault, il se trouva que la position était impraticable. Les musulmans régnaient en maîtres dans le pays, la main d'œuvre était rare et coûteuse, par suite des entreprises nombreuses en cours, sur place, et de la construction du chemin de fer de Pointe-Noire a Brazzaville. Sans s'obstiner dans son idée première, le P. Calloc'h descendit alors jusqu'à Batangafo, point central, lui permettant de rayonner sur le Bas-Chari, le Moyen-Logone, le Gribingui, l'Ouham et la Lobaye.

A l'aide du P. Dufour et du F. Marcellin, tous deux nouveaux venus en Afrique, le P. Calloc'h put se mettre à l’œuvre et commencer ses constructions. Une concession de huit hectares lui avait été aimablement accordée par M. le Gouverneur Lamblin, avec lequel il avait toujours eu les rapports les meilleurs et qui avait pour lui une très grande estime. Malheureusement, le père avait trop présumé de ses forces ; le corps était usé, si l’âme restait toujours vaillante. Une attaque de dysenterie, puis un abcès au foie, alors qu'il s'en croyait bien guéri à jamais, l'eurent bientôt jeté à terre. Soigné admirablement par le Docteur Kerjean, encouragé et soutenu dans ses vives souffrances par ses deux dévoués confrères et par le P. Hemme, qui, à la première nouvelle de la gravité du mal, avait fait merveille pour se transporter de Bangui à Batangafo, le cher P. Calloc'h, à bout de forces, s'éteignait pieusement le 16 juin 1928, à 19 heures du soir.
BG, t. 34, p. 56.

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