Le Frère Théogène CALLOC'H,
décédé le 9 novembre 1936, à Langonnet,
à l'âge de 51 ans.


Théogène Calloc'h naquit à Concarneau (Finistère) d'une famille de marins, le 9 janvier 1885. « Il y avait deux ans, écrit-il dans sa lettre de profession, en juillet 1904, que je roulais sur mer, quand le bon Dieu vint frapper à la porte de mon cœur. De pêcheur de sardines, j'allais devenir pêcheur d'âmes. C'est à Seyssinet que j'ai connu la congrégation. Vers la fin de ma quatrième, sur l'ordre de mes supérieur; je suis rentré au postulat des Frères, à Chevilly. Je me jette dans les bras de la divine Providence, et suis prêt à aller là où l'obéissance m'enverra. »

A la fin du mois d'août 1908, le jeune F. Théogène est à Brazzaville. Vu ses aptitudes pour la forge et quelque peu pour la mécanique, il se voit affecté aux ateliers du port. Le vapeur Léon XIII est là, mais surtout un autre vient d'Europe par pièces détachées, et le Frère ne sera pas de trop pour monter les milliers de morceaux qui entrent dans le Pie X. Aussitôt mise à l'eau, et baptisée la nouvelle unité de la flottille de Brazzaville, le F. Théogène prend le commandement du Léon XIII, pour voyager de concert avec le Pie X. Bangui à 1000 km de Brazzaville ; Lékéti, dans l'Alima, à 900 km ; plus d'autres missions intermédiaires, tout cela est à visiter et à ravitailler. Surtout, la cathédrale de Brazzaville est à reconstruire. Il y faut du bois en quantité : le tout à couper dans la Moyenne-Alima et à descendre par le fleuve.

En 1913, à Liranga, le F. Germain est mourant et condamné à rentrer d'urgence. Qui le remplacera à Saint-Louis, sinon le F. Théogène ? Il y a là-bas un vapeur, le Diata ; une chapelle à recouvrir en tôles et d'autres occupations aussi utiles que variées. Le frère est en brousse et s'en félicite. Surtout qu'il a à s'occuper des garçons, à leur apprendre le chant, à les accompagner à la chasse aux macaques tous les dimanches après-midi; à descendre aussi, bien souvent, quérir avec le bateau les belles pièces de chasse, éléphants, buffles et hippos.

Une des récréations préférées du F. Théogène, c'est de chanter à l'harmonium les chansons de Botrel, qu'il apprend aux enfants de l'œuvre.

Le F. Théogène se trouva bien seul à Liranga, lors de la disparition dans le Congo du Diata et du P. Herjean. Retrouver le corps du cher disparu ; renflouer le vapeur et tenir jusqu'à la montée du P. Belzic. « Je n'eus, disait-il, que mes yeux pour pleurer, dix jours durant. »

En novembre 1919, le F. Théogène rentre en France. L'air marin de Concarneau, quelques mois de vie de communauté, lui refont la santé.

En décembre 1920, le frère est désigné pour la mission de Mbamou, où tout est à construire de façon définitive. Peu après, en janvier 1922, il est à nouveau affecté au Pie X comme capitaine.

Sa santé ne donnait encore nulle inquiétude, lorsqu'un matin, de passage à la briqueterie, le Frère tombe d'une crise nerveuse. En octobre de la même année, durant le rosaire à la cathédrale, on l'entend bredouiller l'Ave Maria, s'arrêter, et reprendre, pour s'asseoir enfin, en crise légère. Moins d'un mois après, au sommet du clocher où il fixait la croix, on le vit se coller de tous ses membres aux bras de croix, une longue minute... Dieu seul le préserva cette fois du danger mortel d'une crise en plein air et d'une chute fatale. Ces symptômes de maladie, les soucis d'une grande responsabilité en voyage sur les fleuves; le danger que constituait pour le vapeur les absences du frère, tout cela le fait affecter à une mission en terre ferme. En mars 1924, le F. Théogène prenait le chemin de Kindamba, fondation toute récente, en pays bacongo.

A Saint-Théophile de Kindamba, le F. Théogène fut l'homme qu'il fallait. Expert en tout, débrouillard, comme on dit, il rendit de très grands services. Kindamba est son œuvre ; il y alla de toutes ses forces, malgré les malaises, les chutes même que lui valut sa maladie. On en vint à le faire suivre par un homme, lorsqu'il se rendait en forêt surveiller les scieurs. Défense lui fut faite de monter dans les charpentes et toitures en construction, mais le frère n'en tenait pas beaucoup compte.

Une consultation à Brazzaville disait le F. Théogène atteint d'épilepsie essentielle. Rentré à Kindamba, il reprenait de plus belle la construction de sa mission. Une crise nerveuse de trois jours consécutifs, puis une hématurie eurent raison de ses forces. En juillet 1927, il allait en France refaire sa santé épuisée.

Il fut aide-portier à la rue Lhomond et à Mortain ; puis menuisier à Langonnet. Toujours au cœur l'espoir de revoir l'Afrique. Mais les absences, les chutes et les crises nerveuses continuaient à se manifester. Impossible aux supérieurs de lui donner son exeat pour les missions. En août 1930, le Frère écrivait au P. Remy : « Je comptais sur vous comme Visiteur à Langonnet, pour décrocher l'autorisation de retourner en mission. Depuis ma dernière crise, en avril de cette année, je me porte on ne peut mieux. Les docteurs que j'ai vus me trouvent rétabli. Je viens de passer un mois en famille. Toujours jeune et alerte, j'ai fait de longues sorties en bateau à voile. Jeudi 21 août, j'étais au bain, à m'habiller, quand non loin de moi, j'entends crier Au secours! La soutane enlevée, je saute à la mer et sauve la vie à un jeune homme de 16 à 17 ans. Nombreux les spectateurs touristes, qui me félicitèrent chaudement de mon acte de courage, disaient-ils. Quelle déception cruelle! Je devais m'embarquer en juillet dernier, mais je continue à prier saint Joseph et sainte Thérèse de Lisieux, laquelle ne peut me laisser en France, mon cœur étant aux africains. »

Dans cet espoir le F. Théogène écrivait souvent à son vicaire apostolique. Fin 1933, Mgr Guichard accepta le retour du frère au Congo, s'il trouvait un docteur pour attester sa parfaite guérison ! Il ne fut pas difficile de trouver un certificat de complaisance ! Embarquement à Bordeaux. Crises sur crises à Dakar, à Konakry, à Pointe-Noire. Crise dès la première nuit à Brazzaville ! Le F. Théogène pleurait d'avoir extorqué un certificat de guérison, et d'avoir de la sorte fait perdre au vicariat le prix d'un voyage au Congo !

Il fut placé à Kibouendé, tout près de Brazzaville, en attendant l'occasion de l'envoyer à Liranga. En septembre 1934, le frère remontait à Saint-Louis, heureux de son obédience. Il aida à remeubler cette mission, dépouillée en mai 1922 de ce qu'il y avait de mieux, depuis la sacristie jusqu'aux chambres des confrères.

La maladie se fit sentir sans tarder. Absences, chutes aux ateliers, au magasin, à la chapelle. Crises graves de quasi-folie aux grandes chaleurs de l'année, jusqu'à ne plus reconnaître ni les Noirs ni les confrères; à les poursuivre même et vouloir les molester. Fin 1935, il fallut barricader sa chambre de l'extérieur cinq jours durant, puis se décider à l'attacher sur son lit pendant les offices de la solennité de Noël. Des pensées de suicide le poursuivaient, qu'il révélait d'ailleurs aux confrères dans un esprit d'obéissance religieuse. La santé générale baissait à vue d'œil. Le frère le sentait bien, et c'est ainsi qu'il accepta de descendre en consultation à Brazzaville, fin janvier 1936. Il y gardera la chambre, souffrant, disait-on, de rhumatismes aigus, jusqu'au 23 mai, date à laquelle il reprit le paquebot pour la France,. Il rejoignit Langonnet, où il mourut le 9 novembre 1936.
BG, t. 38, p. 428.

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