M. Pierre CARIS,
1684 - 1757


Page 14, dans l'histoire du fondateur du séminaire du SaintEsprit, Joseph Michel écrit:
" Grâce à des centaines de documents signés par Poullart des Places et conservés dans les minutiers des notaires rennais, on peut suivre, semaine par semaine, sa débordante activité de fermier général d'abbayes et de prieurés, de collecteur de dîmes, de percepteur d'impôts indirects, de négociant en vingt sortes de choses, d'administrateur de ses maisons et de ses terres.

Le dépouillement de cette masse d'actes notariés réservait plus d'une surprise. Certaines minutes n'éclairent pas seulement la personnalité du père de Claude-François, elles nous révéleront sur Claude-François lui même, adolescent ou adulte, des faits du plus haut intérêt. Pourquoi par exemple, ne pas évoquer dès maintenant ce bail du 16 juin 1689, qui nous permet de surprendre la Providence dans la préparation lointaine d'un de ses grands desseins. Ce jour-là, en l'étude de Maître Claude Le Barbier, François-Claude Poullart affermait à Pierre Caris, tailleur d'habits, la rentrée des dîmes réservées à l'abbé de Saint-Melaine sur la paroisse de Vem-surSeiche. Qui pouvait prévoir, en dehors de celui qui gouverne toutes choses, que les noms des trois signataires de ce contrat reparaîtraient bientôt, intimement associés, à la naissance d'une grande famille spirituelle. Nous verrons Claude-François Poullart fonder la Congregation du Saint-Esprit ; il aura pour premier collaborateur MichelVincent Le Barbier, fils de Maître Claude ; son plus cher disciple et le plus fidèle mainteneur de son esprit sera Pierre Caris, fils du tailleur d'habits de Vern-sur-Seiche. "

Pierre Caris était né en novembre 1684, au diocèse de Rennes. A vingt ans, il avait été reçu comme étudiant le 11 octobre 1704 par le Fondateur lui même, et plus tard associé au gouvernement de la communauté. Sa vertu, son zèle, sa charité, étaient admirables, non seulement pour le séminaire, mais encore pour d'autres oeuvres, comme celle des Nouveaux Convertis. Nous le voyons écrire aux personnes les plus haut placées, comme au Cardinal de Fleury, au duc d'Orléans, à Mme de Beauvilliers. C'est tantôt pour les intéresser en faveur de jeunes personnes à placer à St-Cyr, tantôt en faveur de pauvres orphelines dont la vertu était exposée, ou bien pour solliciter divers emplois pour des prêtres dans les diocèses. Il écrit notamment pour une demoiselle Brady, fille d'un protestant d'Irlande et nouvellement rentrée dans le sein de la religion catholique.

Nous lisons en outre dans les Archives du St-Esprit : " Le séminaire n'avait d'autres ressources que celles de la Providence, qui pourvoyait à la subsistance des élèves par des aumônes casuelles. Les anciens nous ont raconté à ce sujet des traits admirables qui tiennent du prodige. M. Caris, en sa qualité de premier assistant, était procureur de la maison, chargé de pourvoir à ses besoins, de demander et de recueillir les aumônes. C'était un prêtre d'une vertu éminente et d'une sainteté si universellement reconnue qu'après sa mort les fidèles vinrent vénérer son tombeau.

En vertu de sa charge, il était obligé de faire de fréquentes courses dans Paris, où il n'était connu que sous le nom de "Caris le pauvre prêtre".

Un jour que, les provisions étant épuisées, il parcourait les rues de Paris, la tristesse dans l'âme et le coeur abattu, il fut aperçu à travers la glace par un homme de condition qui se faisait la barbe et qui fut frappé de l'air de tristesse et de sainteté qu'il remarquait en lui. Celui-ci envoya promptement son domestique appeler M. Caris, qui s'empressa de son côté de se rendre à son invitation. Après les premiers compliments et des excuses pour son indiscrétion, le gentilhomme lui dit : "J'ai remarqué dans votre physionomie un mélange de bonté et de tristesse qui m'a frappé, au point que j'ai désire vous connaître et même apporter un remède à vos peines, si la chose est en mon pouvoir."

M. Caris lui répondit : "Je suis Caris le pauvre prêtre : j'ai quatre-vingt garçails à nourrir et je n'ai pas une once de pain à leur donner ; c'est pour leur trouver des aumônes que vous me voyez dans les rues de Paris." Il expliqua ensuite ce qu'était le séminaire du St-Esprit, le but que s'était proposé M. des Places, et l'objet de I'oeuvre dont les directeurs étaient chargés.

Quand il eut fini, l'homme de condition, profondément touché, lui dit: "J'avais une aumône à faire ; elle ne peut être mieux placée qu'entre vos mains." Il lui donna, en effet, un sac de cent pistoles, c'est-à-dire mille francs.

Il se trouva, en un certain temps, que la communauté devait beaucoup au boulanger et au boucher, sans rien avoir pour payer, tellement que ceux-ci refusèrent toute fourniture jusqu'à ce que les arriérés fussent acquittés.

M. Caris, après avoir couru toute la matinée, rentra pour l'examen sans rien apporter, soit qu'on lui ait refusé, soit qu'il n'eut pas trouvé chez elles les personnes auxquelles il s'adressait. Après l'examen particulier de midi, la communauté se rendit au réfectoire, où l'on dit d'abord le Benedicite, suivi aussitôt de l'action de grâces, après quoi, on alla à la chapelle pour adorer le Saint-Sacrement. Au moment de l'adoration, arrivèrent des vivres en abondance, sans qu'on sût d'où cela venait, tellement que la communauté n'avait pas encore fait de meilleur repas. Celui-ci fini, on alla réciter le Te Deum.. Dans la même journée, on reçut aussi des sommes pour payer le boulanger et le boucher.

Ces faits et d'autres semblables, selon le témoignage des anciens qui les ont racontés, étaient attribués à la vertu et à la sainte humilité de M. Caris, qui eut bien des rebuts, des affronts et des humiliations à essuyer lorsqu'il demandait l'aumône, non seulement pour ses pauvres étudiants, mais encore pour les nouveaux convertis qu'il travaillait à tirer des voies de l'erreur, ainsi que l'atteste sa correspondance.

M. Caris couronna sa longue et fructueuse carrière par la mort d'un saint, le 21 janvier 1757, et c'est avec vérité qu'on put graver sur la pierre de son tombeau cette épitaphe, qui est comme le résumé de sa vie :

Ici repose Pierre Caris, pauvre prêtre,
Serviteur de Marie, Procureur de ce séminaire.
Il a vécu pour Dieu et le prochain toujours.
Pour lui jamais !
Il mourut le 22 juin 1757.
Priez - Imitez.

Page précédente