Le Frère CLET CASTREC,
1861-1950


Jean-François Castrec naquit à Boars le 23 octobre 1861. Bohars, c'est la banlieue de Brest, mais c'est aussi le pays du Léon avec sa foi robuste et pratiquante. Cultivateur chez ses parents jusqu'en 1886, il se présenta chez les Pères Trappistes de Thymadeuc, près de Rohan. Il n'y resta que quelques semaines, malgré les instances affectueuses des moines qui avaient eu le temps d'apprécier cet aspirant plein de santé, de force et de bon sens. En octobre 1886, il s'en vint à Langonnet, où il trouva ce qu'il cherchait, et y resta toute sa vie, à l'exception de quelques retraites spirituelles suivies à Chevilly.

Le père Jégou, originaire de Saint-Eutrope, dirigeait cette nombreuse communauté, qui comptait, en avril 1886, 11 pères, 4 scolastiques, 27 novices-frères, 2 agrégés , 54 petits scolastiques, 27 novices-frères et 141 élèves au collège, soit 260 personnes. Le père Epinette était maître des novices-frères.

Le frère Clet, novice le 29 mai 1887, prononça ses premiers vœux le 19 mars 1889 et reçut son obédience pour l'œuvre de Saint-Michel de Priziac qui dépendait alors de l'Abbaye de Langonnet. Deux pères, 32 frères et quelques auxiliaires assuraient la vie et l'éducation des 265 orphelins. On y cultivait alors quantité de pommes de terre, d'avoine, de petits pois, de haricots verts ; on élevait près de 200 bêtes à cornes et des cinquantaines de porcs. Puis on faisait des conserves de légumes, on fabriquait des fromages, toutes industries nouvelles dans la région, et qui étaient la preuve d'une activité avisée et rémunératrice.'

C'est dans cette équipe que le frère Clet entra comme boucher et commissionnaire. Le boucher avait à acheter et à tuer les bêtes pour le ravitaillement de Saint-Michel et pour l'Abbaye de Langonnet, soit environ 600 personnes. Les deux établissements étaient organisés pour s'entraider ; et c'est l'Abbaye avec ses meuniers et ses boulangers qui fournissaient le pain à Saint-Michel. Commissionnaire, le frère Clet avait à assurer le service des voyageurs, et c'est à Quimper, à 32 km de là qu'il fallait les conduire ou les chercher, à moins que ce fut à Quentin vers Saint-Brieuc. Les voyages dans les véhicules de frère Clet n'étaient pas très confortables. Comme commissionnaire, le frère Clet courait encore après les élèves de la colonie qui s'évadaient, et qu'il fallait aller chercher là où la police les avait arrêtés, très loin parfois.

Il assurait aussi le transport et la vente des conserves alimentaires, fromages et autres produits de Saint-Michel. Il suivait toutes les foires et marchés de la région, faisait toutes les commissions, souvent d'un genre bien inattendu. Bref, on peut affirmer sans trop d'exagération que le bon frère passait sur les routes à peu près toutes ses journées et une bonne partie de ses nuits, car il ne rentrait à la communauté que lorsqu'il pouvait.

C'est dans ces allées et venues incessantes que le frère Clet passa les 14 années de son séjour à Saint-Michel. Il y serait resté plus longtemps sans les lois du ministre Combes qui obligèrent la congrégation à confier l'établissement à des mains moins suspectes...

Ce fut la grande dispersion des religieux du début de l'année 1904. Les pères et frères, dont quelques-uns étaient dans l'œuvre depuis 30 ou 40 ans, furent envoyés un peu partout, à part quelques-uns qui furent sécularisés pour les besoins de la cause. Le frère Clet, lui, descendit tout simplement à l'Abbaye de Langonnet et y continua son activité de boucher-commissionnaire.

Le frère Clet joua un grand rôle dans le ravitaillement de Langonnet pendant cette période très précaire. Il occupa son poste de 1904 à 1945, travaillant et circulant au gré des besoins et des circonstances, faisant les foires et les marchés de la région, assurant toujours les communications avec les gares, presque tous les jours en route. Les difficultés et les incidents furent évidemment assez nombreux, mais les véritables accidents fort rares. A l'écurie pourtant, un soir, le frère Clet manqua de se tuer. Du grenier, il jetait le foin dans l'écurie pour la distribution aux chevaux. On ne sait comment, la trappe bascula soudain sous lui, et notre homme tomba sans douceur sur le pavé de ciment, d'une hauteur de 3 ou 4 mètres. Ceci se passait vers 1940, le frère Clet avait alors 78 ans. Il s'en tira avec un bras cassé qui resta plus ou moins ankylosé. Ce fut pour lui presque la fin de sa vie active. L'auto avait détrôné le char à bancs, les courses se faisaient plus rapidement. Le frère Clet battait encore la campagne, en quête de ravitaillement et cela devenait bien difficile en raison des règlements et de la présence des Allemands dans le pays. Il abattait encore les bêtes, quand il en trouvait. Par bonheur, depuis que la boucherie de l'Abbaye fonctionnait, il ne se trouva personne pour y voir une opération clandestine...

Un mois avant sa mort, il nettoyait encore l'allée du parc qui monte au cimetière, non pas comme un amateur qui tue son ennui, mais comme un tâcheron qui n'a pas peur d'un effort pénible. Il faisait très froid ces jours-là ! Et comme le frère Clet parvenait difficilement à se défendre contre la bise glacée, son compagnon d'équipe lui conseilla de rentrer. Son teint était violacé, la respiration était pénible et le cœur semblait oppressé. Quelques jours plus tard, le médecin ordonnait le lit au bon vieillard. Rester au lit, pour un homme aussi peu douillet, était une décision qu'il fallait accepter, mais pour le moins de temps possible. Il se mit donc au lit.

La journée du 23 février ne fut pas brillante. Mais il y avait plutôt progrès. La nuit suivante fut bonne et le matin du vendredi le malade put faire facilement la sainte communion. Nous espérions que la crise allait passer sans trop de mal. La journée sembla reposante. Par mesure de précaution, nous appelâmes le docteur Chevalier qui vint vers le coucher du soleil. Et, comme si le frère Clet n'avait attendu que ce moment pour partir, il s'éteignit tout doucement, sans bruit, comme il avait vécu. IL était l8h 15. Cette notice a voulu essayer de montrer quel fut le rôle de cet excellent frère Clet dans la marche matérielle de nos deux communautés. Elle veut insister sur la reconnaissance qui est gardée à Langonnet, au frère Clet très spécialement et à tous les frères, qui, comme lui, ont contribué à la prospérité de nos communautés et de nos œuvres d'éducation et d'apostolat.

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