LE F. ADRIEN CHEVERT
DE LA MISSION DE LA GUINÉE FRANÇAISE
décédé à St-Joseph de Boffa le 29 juillet 1907.
(Notices Biog. III 115-118)


Il semble que le F. Adrien fût une de ces âmes privilégiées à laquelle on pourrait appliquer ces paroles de nos saints Livres : Con­summatus in brevi ex­plevit tempora multa.. Comblé de grâces dès son enfance, il y fut fi­dèle toute sa vie.

La famille à laquelle il appartenait est de celles où les traditions de foi et de piété étaient parfaitement conservées. Il naquit à Douar­nenez (Finistère) le 6 septembre 1885; le môme jour il reçut le baptême, avec les beaux noms de Marie-Joseph. Il perdit son père de bonne heure; et sa mère resta veuve avec cinq enfants : Marie-Joseph, deux autres garçons et deux filles. Femme de grande foi, elle mit tous ses soins à donner à ses enfants une éducation très chré­tienne. Marie-Joseph fut placé tout jeune à l'école des Frères, où il resta jusqu'à l'âge de treize ans. Ses maîtres attestent sa docilité parfaite et son bon esprit.

C'est à cet âge qu'il connut la Congrégation. « Dieu, dit-il dans sa demande d'admission à l'Oblation, a été bon pour moi ; il a daigné m'éclairer et me faire connaître la Congrégation. » Il entra d'abord au Petit Scolasticat de Langonnet, vers septembre 1898. Mais ses moyens ne paraissant pas suffisants, pour continuer ses classes, il demanda à passer au Noviciat des Frères à Chevilly, où il l'ut reçu comme postulant le 9-6 février 1900. Solidement vertueux, régulier, d'un caractère paisible, ayant de l'aptitude un peu pour tout, il pouvait devenir un bon religieux et se rendre utile dans les oeuvres Aussi, admis à l'Oblation, il reçut le saint habit le 7 septembre 1901, au Saint-Coeur de Marie. L'année suivante, dans sa demande de profession, il disait : « Je vous assure, mon Très Révérend Père, que c'est avec une liberté entière que je fais cette demande. Je suis, fermement résolu à persévérer toute ma vie dans ma sainte vocation. Permettez-moi seulement, Monsei­gneur, d'exprimer le désir que j'ai d'aller en Afrique travailler au salut des âmes des pauvres Noirs abandonnés. » Admis à la profession, i1 émit ses premiers voeux, à Chevilly, le jour de la fête de la Nativité de la Très Sainte Vierge, en 1901.

Il fut placé dans cette même communauté. Le F. Adalbert, qui l'a connu pendant son noviciat, et avec qui il a travaillé pendant deux ans, nous donne un précieux témoignage de la manière dont le F. Adrien a rempli pendant ce temps ses devoirs de religieux. Sans exagération, on peut dire en toute vérité que c'était une âme d'élite, Dans ses rapports avec lui on n'avait rien à, souffrir. D'un, caractère doux, d'une gaieté modeste, d'un esprit réfléchi, jamais inoccupé, on pouvait l'envoyer où l'on voulait, lui demander quoi que ce rôt; il était toujours empressé à obéir et à rendre service. Simple novice,, jeune profès, il savait déjà apprécier les plus petites choses au point de. vue surnaturel. J'ai reçu de lui plusieurs lettres très édifiantes; je regrette de ne les avoir pas conservées Je le dis sans hésiter, le F. Adrien était une belle âme que Dieu a prise à la fleur de l'âge. »

En 1904, son grand désir d'aller eu Mission fut rempli ; il reçut son obédience pour la Guinée française et s'embarqua. à Bordeaux le 15 août. Sa vie de missionnaire l'ut courte, trois ans à peine. Il fut destiné à la station du Kissi, où il partît avec le R. P. Ségala, préfet apostolique.

Mais, pris de fièvres dès son arrivée,, il. né put y raire qu'un stage de quelques mois, de décembre 1904 à novembre '1903. Ses supérieurs pensèrent que la côte serait plus favorable à sa, santé, et il fut envoyé à, Boffa. Là, pendant la première année, fiévreux, le P. Sutter, son supérieur, avec presque toujours avec toutes les attentions d'une mère, lui confia quelques occupations à l'intérieur de la maison, lui défendant de se livrer a des travaux pénibles ou de s'exposer au, grand soleil. Grâce à ces soins, vers la fin de 1906, il y eut un mieux sensible dans sa santé. Le bon Frère put alors outre la classe dont il était chargé, se mettre à la culture du potager et à quelques tra­vaux de menuiserie. Comme sacristain, il pouvait satisfaire sa piété en s'occupant avec beaucoup de goût et de zèle de l'entretien de la chapelle. Les jours de fête, l'autel était orné de fleurs naturelles qu'il avait cultivées lui-même.

" Ainsi, écrit le 30 juillet le P. Quillaud au T. R. Père, depuis une dizaine de mois sa santé semblait se raffermir, et ici, du moins, nous nous prenions à espérer, quand hier la nouvelle de la maladie et l'annonce de sa mort sont venues presque en même temps nous jeter tous dans la, désolation. Le courrier devant partir demain, je ne pourrai vous transmettre que plus tard les détails que le P. Sutter ne manquera pas d'envoyer sur Les derniers moments de notre cher défunt.

Cependant, je me fais un devoir de -fous dire dès aujourd'hui, Monseigneur, que le F. Adrien était un saint religieux ; tel il était autrefois, novice ou jeune profès à Chevilly, tel je. l'ai revu à Boffa - simple, recueilli, régulier. C'est une bien grande épreuve pour notre chère Guinée, déjà si pauvre en Frères. Néanmoins je ne suis pas abattu, et, malgré tout, je suis plein de confiance en Dieu. J'annonce ce deuil au R. P. Ségala; pourvu qu'il ne s'affecte pas outre mesure, ce cher Père ! »

Comme l'avait annoncé le P. Quillaud, le P. Sutter nous donne les détails suivants sur la mort du F. Adrien : « Ce cher Frère a succombé lundi 9 juillet, vers une heure et demie de l'après-midi, après 36 heures de fièvre hématurique. Rien ne laissait prévoir un dénouement aussi rapide. Samedi, toute la journée, il vaquait encore à ses occupations ordinaires. Au souper seulement, il se sentit pris de fièvre. Je lui conseillai d'aller se reposer. Vers dix heures il redescendit au réfectoire prendre de l'eau. Après minuit, l'hématurie se déclara. Le P. Caradec, son voisin de chambre, lui fit aussitôt prendre une décoction de kinkéliba qui produisit l'effet d'ipéca et de purge.

Il passa le dimanche dans un calme relatif. La bile continuait à s'évacuer, mais la nuit qui suivit le fatigua beaucoup. Cependant, le lundi matin, il se disait mieux. Vers sept heures il s'assoupit. Je croyais que cet assoupissement était l'effet de la fatigue. A ma troisième visite, je lui trouvai le pouls très agité; et je cherchai à l'éveiller pour lui administrer un remède, il ouvrit de grands yeux, mais ne répondit plus à mes paroles. Un commis de l'administration lui fit deux injections, mais le résultat en fut nul ; la fièvre montait rapidement. Le voyant eu danger, nous jugeâmes nécessaire de lui administrer l'Extrême-Onction. Il était onze heures et demie ; et, vers une heure et demie, le cher Frère s'éteignit si doucement que le P. Caradec, assis à, son chevet, ne s'en aperçut pas ; ce fut un enfant qui dit au Père : « Le Frère ne respire plus. » Il avait 21 ans d'âge, 7 années de communauté, dont 4 ans et 10 mois de profession.

« L'enterrement eut lieu le mardi 30 juillet. Le P. Lacan, malgré le mauvais temps, nous arriva à pied de Sangha, d'où il était parti, aussitôt qu'il eut appris la maladie du Frère. Il voulut lui-même chanter la grand'messe pour le repos de l'âme du cher défunt. Le mauvais temps n'empêcha pas les Messieurs du poste, quelques commerçants et de nombreux indigènes d'accompagner sa dépouille mortelle jusqu'à sa dernière demeure. Par la mort du F. Adrien, nous perdons un précieux auxiliaire et un bon confrère. Du haut du ciel, où nous espérons qu'il est déjà, il intercédera pour la Mission qui vient de le perdre, et à laquelle il s'était dévoué de tout son coeur. »
Léopold PILLU.

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