Mgr Joseph Cucherousset,
1907-1970.


Joseph Cucherousset est né le 10 octobre 1907 à Laviron, petit village du plateau de Pierrefontaine situé à 50 km de Besançon. Son père Athanase et sa mère Léa Roussel appartenaient à d'anciennes familles du pays. Ils eurent dix enfants. Joseph sera le sixième, après cinq filles, suivi de trois sœurs et d'un petit frère, qui deviendra prêtre du diocèse. Dans cette famille chrétienne, parents et enfants, réunis autour de la table, faisaient matin et soir la prière en commun, et les petits savaient qu'on ne tournait pas la tête si le chat se glissait derrière eux. Formation qui, plus tard, permettra à Joseph de se couler sans peine dans la régularité de la vie religieuse, à laquelle il restera fidèle. Mais cette vocation ne viendra pas tout de suite.

Le père de famille voyait naturellement dans l'aîné de ses garçons son successeur à la conduite de la ferme, tout en estimant que l'instruction était, pour un paysan, un capital aussi important que son patrimoine. Le jeune Joseph, docile et volontaire, était prêt à travailler dans ce sens, avec la simplicité et le sérieux qui caractériseront son caractère et son action durant toute sa vie.

De 7 à 11 ans, Joseph fut écolier au bourg voisin de Gennéfontaine. L'école laïque jouissait dans le pays d'une réputation méritée et la guerre scolaire ne divisait pas les familles de la région. L'enfant fut confié au bourg à une amie de la famille ; c'est chez elle qu'il habitait, ne revenant à la maison qu'au temps des vacances.

Les parents Cucherousset estimaient que ce n'était pas du temps perdu pour un paysan de prolonger ses études. Un développement plus complet ne pouvait que favoriser la réussite future. Voilà pourquoi nous retrouvons Joseph pensionnaire au collège des Frères Maristes du Bienheurreux Champagnat, dans un petit village appelé "École", actuellement faubourg de Besançon. L'éducation religieuse approfondie qu'il y reçut s'intégra dans l'ensemble de sa formation humaine, sans prendre un caractère artificiel qui aurait pu provoquer plus tard un rejet. Lorsque, brevet en poche, il quitta les Maristes, il était bien formé, et sa vie de chrétien avait déjà une dimension adulte. Il affichait sérieusement sa foi, sans toutefois penser au sacerdoce.

Joseph rentra donc au pays pour reprendre sa place parmi les siens. Suivant la saison, on se levait plus ou moins tôt, mais jamais tard. Il fallait traire les vaches, soigner les bêtes. L'un des travaux impératifs, c'était de porter le lait à la fromagerie de grand matin. En hiver, par temps de neige, cela demandait de l'endurance et tournait parfois à l'exploit, quand il fallait ouvrir la route pour le passage des chevaux tirant la charrette. Très jeune, Joseph prit part à ces rudes besognes.

Cependant, entre les deux guerres, entre 1919 et 1939, le monde évoluait au rythme des progrès techniques et des moyens rapides de circulation. Les chrétiens sentaient qu'il fallait réfléchir sur ces changements et s'organiser pour affronter les situations nouvelles. A Laviron, le curé qui était en place depuis 1907 ne devait quitter sa paroisse qu'en 1955. Il n'était pas l'homme à prendre la tête du mouvement. Il n'était pourtant pas hostile à l'idée de regrouper les jeunes, à l'époque où, dans les villes, on parlait de mouvements d'action catholique. Durant ses moments libres, Joseph Cucherousset sut le faire en contactant les camarades des hameaux voisins. Au cours de leurs réunions, ces jeunes réfléchissaient tout bonnement sur leurs devoirs d'hommes et de chrétiens. L'originalité était que cette réflexion vînt d'eux-mêmes.

Comme il arrive dans toute entreprise, des tensions s'élevèrent un jour entre eux. On se sépara fâchés. Alors Joseph se tournant vers le seul qui était resté à ses côtés, lui dit simplement : "Nous ne pouvons pas faire la réunion, mais demain nous irons communier." Car il ne dissocia jamais, dès cette époque, les nécessités de l'action et le recours aux sources de la vie chrétienne.

Il fit son service militaire, comme infirmier, à Mayence, pendant l'occupation en Allemagne. Puis il revint à Laviron. Or, participant à une "heure sainte", dont le prédicateur avait pris comme sujet "la mon, tée vers le sacerdoce", il réalisa avec stupeur qu'il remplissait pratiquement les conditions présentées comme nécessaires. Jusque là, il voyait plutôt son avenir comme un célibat consacré à la fois au travail de la terre et à l'action catholique rurale. Mais son attrait grandissant pour la vie intérieure et l'apostolat lui fit comprendre que son idéal l'entraînait vers la vie religieuse et missionnaire. Il frappa à la porte de la Congrégation du Saint-Esprit. Le Père Nick, Provincial, ne fut pas long à juger le futur spiritain. Dès que Joseph aura assuré le complément d'études, jugé alors nécessaire, le latin, il l'accueillera dans la Congrégation.

En apprenant la nouvelle orientation de son fils, le papa Cucherousset éprouva un vrai choc. Joseph étant l'aîné des garçons, et le jeune Pierre déjà au petit séminaire, la décision de son grand fils impliquait l'extinction du nom. Athanase Cucherousset partit pour Lourdes, afin de mieux voir en lui-même l'attitude qu'il devait prendre. Quand il revint, la paix se lisait sur son visage.

Début octobre 1930, Joseph partit pour St Ilan (près de St Brieuc) afin d'y reprendre ses études durant deux ans. L'institution de St Ilan comportait une section de "vocations tardives" que dirigeait le Père Com Il put donc, en 1932, se présenter à Orly au Père Faure, maître des novices. Là il s'initia en profondeur à la pratique de la vie intérieure et prononça ses premiers vœux, étape normale sur un chemin où il n'eut jamais la tentation d'un regard en arrière. A Mortain et à Chevilly, les années de philosophie et de théologie se déroulèrent dans l'harmonie de sa vie équilibrée. En dehors des cours, où il révéla une intelligence bien formée, rendant des devoirs clairs, fouillés, il prenait beaucoup d'initiatives dans les travaux matériels de la maison.

En 1938, il est ordonné prêtre. Il voit approcher enfin le moment où de nouveau il pourra reprendre la vie active, pour laquelle il se sent fait. Mais la mobilisation le surprend, alors que toutes ses pensées sont déjà en Afrique. En 1939 c'est la guerre. Quand commenceront les combats, son régiment sera très éprouvé, 1.100 hommes resteront sur le terrain. Joseph, infirmier, n'hésitera pas à refranchir la ligne de feu pour ramener un blessé. Lui-même sera atteint au genou, ce qui lui vaudra une citation.

En 1940, la guerre s'achève pour lui, et il se trouve à Chevilly en attendant que les communications reprennent vers l'Afrique. En complément à sa fonction de sousmaître au novicat des Frères, il cherche un ministère dans la région. Une paroisse encore en formation est privée de prêtre résident : Sainte Colombe de Villejuif C'est là qu'il va commencer son ministère. Il ne fut pas long à apprécier la situation. Dans ce grand village de pauvres, 3.000 habitants, voisin de la "zone", on était passé, à cause de la guerre et de l'occupation allemande, à une situation proche de la misère. Ce problème, qui conditionnait tous les autres, Joseph l'aborda à bras le corps, à sa manière, en payant de sa personne. Il fit aussi appel à ses confrères spiritains, à ses parents pour leur savoureux fromage, et surtout suscita et organisa la générosité de ses paroissiens eux-mêmes. Il sut aussi encourager les scouts, les jocistes et le Mouvement Populaire des Familles pour faire de Ste Colombe une paroisse vivante.

La guerre terminée, les prisonniers revenus, un prêtre parisien fut affecté à Ste Colombe. Le Père Christian Roussin y donna sa vie, "prêtre parmi les pauvres" comme l'Abbé Pierre et le Père Wrésinski.

Affecté aux missions de l'Oubangui-Chari, le Père Cucherousset parvint à, rejoindre son poste par la voie la plus directe : Marseille-Alger, puis la traversée du désert avec une colonne saharienne. Il ne cherche pas le confort, mais l'action rapide, non pas aventurier, mais pionnier. Ses 25 ans de vie africaine ne connaîtront pas le repos.

Mgr Grandin, Vicaire apostolique de Bangui, le garda dans les paroisses de la capitale : la mission St Paul, puis la cathédrale. Ses deux premières années furent le temps de l'apprentissage du sango, la langue nationale, le contact avec les personnes et les quartiers, le lancement des Cœurs-Vaillants et de la Légion de Marie, sans craindre les travaux manuels. "Vous ne tiendrez pas le coup à ce train là, lui reprocha l'évêque. Je vous dispense du jeûne avant la messe. - Si ce n'est pas un ordre, Monseigneur, j'aimerais faire comme tout le monde."

L'imprévu arrive parfois. En 1947, Mgr Grandin qui roulait à vive allure sur la route de la corniche, perdit le contrôle de sa voiture et s'abîma dans l'Oubangui. Le siège épiscopal était vacant. Au mois de mai 1948, un télégramme annonça la nomination du Père Cucherousset. Il recevra la consécration épiscopale à Bangui, le 25 juillet, des mains de Mgr Graffin, son voisin du Cameroun, 1.300 km à l'ouest.

Mais c'est de Brazzaville, à 1.200 km au sud, qu'étaient venus les fondateurs de la mission de Bangui en 1894 : c'était l'époque où la pénétration de l'Afrique s'opérait par les voies fluviales. Avant de s'appeler République Centrafricaine ce territoire, d'une superficie légèrement supérieure à celle de la France, portait le nom de deux rivières : l'Oubangui qui vers le sud se jette dans le Congo et le Chari qui va au nord alimenter le lac Tchad. Le diocèse de Bangui couvrait alors plus de la moitié de ce territoire.

Lorsque le Père Cucherousset aborda ce pays sous administration coloniale, la Conférence de Brazzaville en février 1944 avait permis au Général de Gaulle de laisser entrevoir les nouveaux rapports qui devraient s'établir entre la France et l'Afrique. Déjà la notion de coopération se faisait jour. La marche vers l'indépendance se poursuivait pacifiquement. Le pays était calme, l'ambiance favorable. Le nouvel évêque sent qu'il fallait profiter sans tarder de ces bonnes conditions.

En 1954, il obtint la division de son diocèse par l'érection de la Préfecture apostolique de Bangassou, puis plus tard par la création du diocèse de Bambari.

En 1957, le Pape Pie XII, par l'encyclique Fidei donum, lançait à toute l'Église un appel pressant en faveur des Missions et notamment pour l'Afrique. Il rappelait aux évêques leur devoir de provoquer, au-delà de leur charge pastorale particulière, un effort exceptionnel en faveur des missions lointaines ; qu'ils consentent le sacrifice de quelques vocations, fussent-ils pauvres en ressources d'hommes et d'argent. Plusieurs évêques répondirent à cet appel en faveur des missions de Bangui, particulièrement Mgr Dubois de Besançon : en 1958 des Sœurs de Villersexel pour la mission de Sibut ; en 1959 des Sœurs de la Ste Famille pour la mission de Kouango ; en 1961 des Sœurs de la Marne pour la mission de N'Délé ; et en 1962 cinq prêtres diocésains venaient s'adjoindre à l'équipe spiritaine de Bangui.

En 1960, l'indépendance était proclamée officiellement en Centrafrique. Le Président de la République et les députés de l'Assemblée Nationale étaient favorables àl'action de l'Église catholique dans les domaines de la santé et de l'éducation scolaire. En 1961, une convention était signée accordant aux diocèses une subvention de 80 % pour le traitement de leur personnel enseignant. Cependant, l'année suivante, sans préavis, on apprenait que le même Président et les mêmes députés décidaient l'unification de l'enseignement, fonctionnarisant le personnel africain, et supprimant la direction de l'enseignement privé. Le coup était brutal et imprévu. L'émotion aurait pu provoquer des réactions passionnelles. Mgr Cucherousset sut les prévenir. Il ordonna à tous un silence complet et le respect de l'autorité du pays ; il donnait la consigne aux religieux et religieuses des établissements scolaires de rester en fonction sans salaire, tant que le gouvernement ne leur donnerait pas l'ordre de quitter les lieux. Devant cette situation, après trois mois de réflexion, le Ministre de l'Éducation Nationale laissa les missionnaires en place, leur proposant un contrat, au tarif local, qui permet encore, trente ans après, à certaines religieuses de diriger des établissements de l'enseignement public. Ainsi tout affrontement fut évité, qui aurait été dommageable à la poursuite des bonnes relations entre l'Église et l'État et à leur commune action pour la paix et le progrès du pays. Dans de tels cas pourraiton dire : Humilité et non-violence "font plus que force ni que rage."

Après avoir fondé 22 postes en 22 ans, le Père Cucherousset, usé par un long cancer, sentit ses forces diminuer. Il se prépara à passer la main. Le 5 janvier 1969, un prêtre centrafricain devenait évêque coadjuteur de Mgr Cucherousset et lui succédait l'année suivante. En 1993, c'est toujours Mgr Joachim N'Dayen, archevêque de Bangui, qui préside la Conférence Épiscopale de la République Centrafricaine.
(Cette notice doit beaucoup aux articles que le Père Grach a consacré à Mgr Cucherousset dans la Revue de St Joseph d'Allex dans les années 1983-1986).

Page précédente