LE PÈRE JEAN-MICHEL DANGELZER
(1851-1912)
(Notices Biog V p. 287-291)


La mort ne fait d'exceptions pour personne. Cette vérité si incontestable a presque failli trouver son démenti dans nos deux maisons de Millvale où, pendant près de vingt-cinq ans que la Congrégation s'était chargée des deux paroisses de Sainte-Anne et de Saint-Antoine, aucun de ses membres n'a dû payer son tribut à la nature. Toutefois la justesse de la sentence portée - « Il a été décrété que tous les hommes mourront une fois » (Hébr. IX, 27) ne s'est que trop vérifiée. Le bon et regretté Père Émile Reibel, assistant à Saint-­Antoine, en a été un exemple frappant lorsque, à I'âge de 44 ans, il a dû nous quitter pour une meilleure patrie, le 27 octobre 1907. Le Père Michel Ward, curé à Sainte-Anne, l'a suivi de près l'année suivante quand, le 7 mars 1908, à l'âge de 43 ans, il a été lui aussi appelé à la récompense.

Cette fois-ci c'est le Père Jean Michel Dangelzer, curé de Saint-Antoine, que la mort nous ravit. C'est de sa vie que nous nous proposons de faire l'esquisse.

Né de parents foncièrement catholiques, le 11 avril 1851, à Bernardsviller, en Alsace, village situé non loin du Couvent de Sainte-Odile, la patronne de l'Alsace, le jeune Michel donnait des signes précoces de sa vocation au sacerdoce. L'instruction primaire qu'il recevait à l'école de son village natal, ainsi que les exemples de piété et les avis salutaires de son père et de sa mère, engendrèrent en lui les premiers signes du choix de vie qu'il allait faire. Eu égard à son jeune âge, car il n'avait alors que douze ans, ses parents l'envoyèrent comme externe au Collège communal d'Obernai pour y commencer ses études latines. Après trois années passées dans cette institution, la divine Providence choisit son cousin, -le vénéré P. Richert, pour lui indiquer la voie qu'elle avait tracée pour lui. Rentré en Alsace, tant pour reprendre de nouvelles forces que pour revoir tous ceux qui lui étaient chers, le P. Richert lui ayant décrit la grandeur et la sublimité de l'œuvre des missionnaires, le jeune écolier fut lui-même pris du désir des Missions. Fidèle à la voix de Dieu qui venait de faire naître en lui la sainte vocation, après avoir obtenu le consentement de ses parents, il se rendait en octobre 1864, au scolasticat de Notre-Dame de Langonnet. Fort, robuste et haut de taille comme il était, on peut facilement s'imaginer que la vie contrainte du petit scolasticat lui fit regretter fréquemment la vie libre d'autrefois, et ce ne fut pas sans efforts réitérés. qu'il se soumit et se ploya au joug de la règle. En 1871, il entra au grand scolasticat. Lors de la déclaration de la guerre franco-­allemande il se trouvait dans sa famille. Pour rentrer dans sa communauté il lui fallut traverser les lignes des régiments prussiens ; trois fois il fut arrêté et relâché. Il finit par arriver à Paris la veille de la belle fête du Saint-Coeur de Marie. Le lendemain, arriva l'ordre de dispersion. Il fut dirigé sur Cellule. Pendant le trajet il fut atteint de la petite vérole ; mais il en guérit, et put achever sans incident ses études secondaires.

Pendant ses années de grand scolasticat il lit des efforts généreux pour dompter son caractère vif et violent qui, pendant plusieurs années consécutives, fut en mainte occasion la cause de bien des déboires pour lui­-même et de moments très pénibles pour les confrères qui devaient vivre avec lui. Les crises passées il s'en repentait amèrement et cherchait de toutes façons à adoucir de son mieux la peine causée par ses vivacités.

Ordonné prêtre à Chevilly, le 28 octobre 1874, il fit sa profession le 26 août de l'année suivante, et reçut sa première obédience pour le collège de Langogne, que la Congrégation venait d'accepter. Sa première fonction fut celle de professeur et de préfet de discipline. Il y réussit très bien ; et sa haute stature qui en imposait aux élèves ne fut pas tout à fait étrangère à ce résultat.

De Langogne il fut envoyé à Cellule, et dans ce nouveau poste comme dans le précédent, au dire des anciens élèves qui ont passé sous lui, il remplissait ses fonctions avec beaucoup d'énergie et les faisait « bûcher ». L'année 1878 le vit au French Collège de Blackrock, en Irlande. Sans se laisser décourager par les difficultés de la langue anglaise, il s'y mit de tout coeur et bientôt fut à même de se faire comprendre. Pendant six ans il remplit la fonction de professeur à Blackrock, et y enseigna le français, le latin et le grec.

C'est en 1884 qu'il vint en Amérique. Il fut d'abord attaché en qualité de professeur au collège de Pittsburg. Durant l'année qu'il passa à cette institution, outre le professorat il exerça le saint ministère dans les différentes paroisses de la ville et fut chapelain des Soeurs du Bon-Pasteur. Sur ces entrefaites, la Congrégation accepta la desserte de la paroisse canadienne de Saint-Joachim, dans la ville de Détroit, Michigan, et le P. Dangelzer en fut nommé curé. A- partir de cette époque une nouvelle phase semble s'ouvrir dans la vie de notre confrère. Ici les épreuves réelles commencèrent à se présenter. Dieu lui fit entrevoir qu'on ne peut être un véritable soldat du Christ qu'en passant par le creuset des souffrances et en faisant des sacrifices parfois bien durs à supporter. A peine s'était-il installé dans le presbytère que certains propos malveillants qu'on lui rapporta lui donnèrent à penser que les Canadiens ne l'aimaient pas. On en vint à des preuves plus convaincantes. Un beau soir une demi-douzaine de mécontents firent irruption au presbytère, et ce n’était assurément pas pour demander la bénédiction du nouveau pasteur. Lui braquant un revolver en pleine figure, ils lui enjoignirent de chercher domicile ailleurs, et tout de suite. Cédant à la force il se retira, mais pour revenir le lendemain après avoir averti la police.

Entouré de toute sorte d'entraves et de difficultés pendant les six années qu'il resta à la tête de la paroisse, il parvint néanmoins avec l'aide de ses zélés assistants, à mettre la paroisse sur un bon pied tant sous le rapport spirituel que temporel. Il fit construire une magnifique école ainsi qu'une maison pour les soeurs. Ces monuments, érigés au prix d'efforts incessants et d'une inébranlable énergie, rappellent éloquemment aux fidèles de Saint-Joachim le passage parmi eux du bon Père Dangelzer, pour lequel ils ont toujours conservé un affectueux souvenir, une sincère reconnaissance et une profonde estime. A peine ces immenses travaux qui lui avaient coûté tant de sacrifices étaient-ils terminés, qu'il fut rappelé à Pittsburg précisément au moment où il aurait pu enfin goûter un peu de ce repos si chèrement acheté. Obéissant à la voix de ses supérieurs, il quitta la cure de Saint-Joachim et devint économe du collège de Pittsburg, auquel il resta attaché en cette qualité durant quatre années, jusqu'au 11, mars 1895. Il vint alors à Bay City, en qualité de curé de la paroisse de Saint-Joseph. A son arrivée dans ce nouveau poste, quel ne fut pas son étonnement de trouver une misérable bicoque qui servait de demeure aux Pères. Sa grande préoccupation à partir de ce moment lut de trouver les fonds nécessaires pour une bâtisse à la fois convenable pour des prêtres et digne de la belle ville de Bay City. Il se mit à la tâche. Ce qu'aucun autre n'avait été à même d'entreprendre et ' de mener à bonne fin, le Père Dangelzer l'accomplit, Après deux années de sueurs et d'épargnes, un spacieux presbytère fut érigé. Cette construction, les réparations de l'église, le relèvement des finances de la paroisse, sont des faits qui proclament éloquemment les titres particuliers que le cher défunt s'est acquis à la vénération, au respect et à la gratitude de ses paroissiens.

Ceux-ci ne manquèrent pas de lui donner des preuves de leur attachement à l'occasion du 25' anniversaire de son ordination à la Prêtrise. Souhaits, discours, chaleureuses félicitations, riches cadeaux : rien ne fut omis par les paroissiens en l'honneur de leur vénéré jubilaire. L'Évêque du diocèse avait tenu lui aussi à manifester par sa présence l'estime qu'il avait, pour le P. Dangelzer.

Après tant de labeurs et de difficultés il n'y a pas lieu de s'étonner que sa, santé commençât à chanceler. Un voyage en Europe, suivi d'un repos de plusieurs mois à Saint-Pierre Claver, Philadelphie, contribua beaucoup à lui rendre ses forces premières. D'ailleurs une nouvelle tâche l'attendait. Doué de grandes aptitudes administratives, il releva, partout où le devoir l'appelait, l'état des finances. La paroisse de Saint-Antoine à Millvale, ayant une dette de 70.000 francs, avait grandement besoin d'un curé de sa trempe. A Saint­-Antoine on parlait allemand ; mais cette difficulté jointe à beaucoup d'autres n'était pas capable de décourager le P. Dangelzer. Dans l'espace des neuf années qu'il fut à la tète de la paroisse, il sut lui procurer sous tous les rapports de très grands avantages. Non seulement la dette fut entièrement amortie, mais avant sa mort il avait pu recueillir plus de trois cent mille francs qui servirent plus tard à la construction d'une magnifique église. Toutefois l'honneur. de la bâtir ne lui était pas réservé.

Après une carrière pleine d'activité et si féconde, la fin arriva. Une courte maladie devait l'emporter. Tout de suite le médecin de la maison conseilla de l'envoyer à l'hôpital. A peine y était-il que le médecin en chef déclarait que son état était non seulement grave, mais à peu près désespéré. C'est à son cher cousin, le Père Richert qu'incomba la triste mais consolante tâche de lui administrer les derniers sacrements. Il répondit avec une touchante piété aux pieuses pensées qui lui étaient suggérées. Durant sa maladie, étant presque continuellement dans un état comateux, il parlait naturellement peu. La veille de sa mort, on eut encore de l'espoir, mais bientôt son état empira et le dimanche matin, 3 novembre, il rendit doucement son âme à son Créateur. Le Père Hehir, malgré ses nombreuses occupations, se trouva à son chevet et s'estima heureux de pouvoir lui donner une dernière absolution alors qu'il avait encore toute sa lucidité d'esprit. A la nouvelle de son décès les paroissiens furent consternés. Il paraissait si robuste et la mort l'enlevait si brusquement ! A ses obsèques, qui furent magnifiques, assistèrent Mgr l'Évêque et une quarantaine de prêtres tant séculiers que réguliers. L'église était pleine de monde, et beaucoup de personnes avait dû se contenter d'une place dans les galeries. Dans son oraison funèbre, le Père Théo­phile Meyer fit ressortir la grande dévotion que le défunt avait pour la bonne Mère du ciel, ainsi que la régularité et la dévotion qu'il mettait à la récitation journalière du bréviaire et du chapelet.

« L'Église Catholique, ajouta-t-il, 'perd dans la personne du Père Dangelzer, un actif ouvrier de la vigne du Père de famille; le dio­cèse de Pittsburg, un prêtre modèle; la Congrégation un membre dévoué et fidèle ; et les paroissiens un pasteur zélé et un financier hors-ligne. » Ses restes mortels reposent dans le ci= tière de la paroisse, près de ceux de son ancien vicaire, le Père Reibel.
T. MEYER.

Page précédente