S(afr.)

QUELQUES EVENEMENTS AYANT PRECEDE LE MASSACRE A KONGOLO

(rédigé par P. Jules Darmont, 1999)

1. Le Père Albert Forgeur, aumônier katangais à Kongolo.

2. Son successeur, le Père Jules Darmont, à l’aumônerie katangaise.

3. La Campagne de Pacification dans le Territoire de Kongolo-rive gauche.

4. Début de la débâcle katangaise.

5. Fuite des katangais vers la rive droite.

-------------------------------------------------------------------------------------------

1 - LE PERE ALBERT FORGEUR ( voir aussi P.Forgeur Albert; partie III, pp.51 - 53)

Le Père Albert Forgeur, Aumônier des troupes katangaises basées à Kongolo, accompagne les soldats à Kabalo, occupée par un détachement de soldats de l’O.N.U. L’attaque pour la prise de Kabalo se faisait par bateau, par le rail et par la route. Un avion katangais survolait les mouvements pour les synchroniser.

Le Père Forgeur se trouvait sur le bateau. Les différents groupes de katangais arrivèrent presque en même temps au Pont de Kabalo (long. 1000 m.), non loin de l’entrée de la ville. Les mercenaires blancs commandaient les opérations. Le bateau s’approcha de la rive et l’on commença à parlementer.

Les Onusiens acceptaient que les Katangais entrent à Kabalo, mais ils ne pourraient pas prendre possession de l’aérodrome. Le commandant katangais refusa et déclara qu’il voulait l’aérodrome. Les tirs commencèrent de part et d’autre. Malencontreusement, un obus de mortier onusien vient tomber dans la chaudière du bateau et la fit exploser, blessant et tuant bon nombre de soldats assemblés dans les environs. Le bateau s’inclina vers la rive et les soldats qui le pouvaient cherchèrent le moyen de débarquer en pagaille. Les blessés restèrent sur la rive et le Père Forgeur essaya de les soigner au moyen de sa petite trousse personnelle. Il était agenouillé près d’un soldat quand les onusiens le virent et tirèrent sur lui, le tuant sans sommation. Il s’affala sur le corps du blessé, et y resta jusqu’au soir. A la tombée du jour, le blessé n’en pouvant plus, se mit à gémir, ce qui attira les onusiens qui enlevèrent le corps du Père et le jetèrent à l’eau, tandis qu’ils emmenèrent le blessé pour le soigner.

(Ces détails furent fournis par le soldat blessé qui fut rapatrié à Albertville où les autorités katangaises l’interrogèrent. La coque du bateau coulé se trouve encore à ce jour  - 1999 - échouée près de la rive droite à Kabalo.)

Tout le reste de la troupe fut démoralisé par cet échec et chacun voulut rejoindre sa base à Kongolo par ses propres moyens. Les officiers mercenaires auraient voulu organiser une attaque, mais les soldats refusèrent d’obéir. Ils arrivèrent à Kongolo (80 km) deux ou trois semaines plus tard, car ils furent harcelés par les jeunesses balubakat qui les traquaient pour les tuer. Ce fut le sort de certains. A Kongolo nous espérions voir arriver le Père Forgeur accompagnant des groupes de soldats, mais ce fut en vain.

Nous finîmes par accepter que nous ne le reverrions plus.

2 - LE SUCCESSEUR DE L’AUMONIER : LE PERE J. DARMONT.

Les autorités katangaises demandèrent à Mgr Bouve un prêtre pour l’aumônerie du Camp Militaire. Il faut savoir que depuis très longtemps il y avait un grand camp militaire à Kongolo, appelé Centre d’Instruction, ou C.I. pour la formation des recrues de la Force Publique. Ces jeunes provenaient des différentes provinces du Congo, et la Mission de Kongolo envoyait un Père pour assurer le service à l’aumônerie du camp. Ces recrues restaient 6 mois puis étaient réparties dans les autres places militaires du pays.

Je fus pressenti par Mgr Bouve pour ce service, ce qui ne m’enchantait pas du tout. Mgr Bouve insista car il avait promis de désigner quelqu’un. Il a fini par me convaincre que si ce n’était moi, un autre serait désigné. J’acceptai, la mort dans l’âme (c’est le cas de le dire). Je me rendis à Elisabethville pour régler les formalités de ma nomination et trouver un uniforme.

Je reçus le grade de capitaine (grade qui ne concernait que le respect des officiers et soldats ; je n’avais aucun rôle dans la stratégie ni à l’état major.) Je remplaçai les insignes par des petites croix que je plaçais sur mon képi et mes épaulettes. Je n’ai jamais porté de fusil. (Qu’en aurais-je fait d’ailleurs, moi qui n’avais reçu aucune formation militaire en Belgique ?)

De retour à Kongolo j’occupai au Camp Militaire l’habitation réservée à l’Aumônier, occupée précédemment par le regretté Père Forgeur.

3 - LA CAMPAGNE DE PACIFICATION DANS LE TERRITOIRE- RIVE GAUCHE.

En juillet 1961, les autorités katangaises projetèrent cette campagne de pacification pour tenter de rallier les populations Luba, et Songe. Une colonne motorisée fut formée de camions voués à différentes activités. Il y avait les véhicules du Groupe Mobile, contenant les soldats, des camions chargés d’organiser les opérations de change de la monnaie congolaise et celle du Katanga, des camions chargés des " cadeaux " pour les populations : savon, sel, sucre et d’autres fournitures introuvables depuis des mois, d’autres camions devaient acheter le coton de l’année 1960 et qui n’avait pas été vendu en raison des troubles, d’autres membres de la colonne étaient chargés de soigner les malades, surtout les enfants, et moi je disais la messe à l’étape et baptisais les nouveau-nés de parents chrétiens. Nous ne rencontrâmes que peu de gens dans les villages, car beaucoup avaient fui la guerre en brousse ou en forêt. A chaque village nous faisions halte : chaque équipe vaquait à ses occupations propres, puis quand tout était fini on distribuait les cadeaux que les gens recevaient avec grande joie. Nous avions pris la route de Lubunda, en passant par des villages des bayashi, et des basonge. A Lubunda nous avons pris un peu de repos.

Puis nous prîmes la route de Kilay sur l’axe Kongolo-Ebombo-Lubao. Les villageois nous recevaient avec joie, sauf toutefois à Matenta où nous trouvâmes quatre jeunes gens sur la route qui nous ont dit de continuer notre route. J’ai admiré leur courage, car ils avaient devant eux des soldats armés qui voulaient les tuer. Ils ne le purent car l’ordre avait été donné que pas un coup de feu ne serait tiré sans l’ordre exprès du commandant. Dans le village nous vîmes une série de feux où l’on forgeait des lances et des pointes de flèches. Visiblement les habitants n’étaient pas loin car dans les cuisines il y avait de la nourriture sur le feu. Nous n’avons touché à rien et sommes repartis pour éviter des incidents. Nous avons quand même laissé quelques sacs de sel, du sucre et du savon à l’entrée du village.
En 1970 quand je fus nommé curé de Katea, je retrouvais deux des jeunes gens : l’un avait été choisi par les chrétiens pour être leur catéchiste. Et j’ai travaillé avec lui pendant 19 ans : il fut un vrai catéchiste engagé.

Et nous avons continué notre route jusque Kilay où la population nous attendait. Tout le programme fut observé : change, achat du coton, soins médicaux et distribution de " cadeaux ".

A Katea ce fut la grande joie : tout le village était dehors. Nous en avons profité pour nous laver et prendre un peu de repos. Les équipes ont fait ce qu’elles devaient faire. Et moi j’ai dit la messe encore une fois et baptisé les bébés de l’année.

Nous reprîmes la route vers Kongolo. Dès que nous eûmes pénétré sur le terrain des baluba, nous ne vîmes plus personne dans les villages. Les gens avaient quitté, emportant poules, chèvres et moutons. C’était le silence sinistre des jours sombres ou le pire peut arriver.

Kaseya, chef-lieu de la Chefferie Buki : personne non plus. On ne s’est pas arrêté. Nous rentrâmes à Kongolo, satisfaits quand même de n’avoir tiré aucun coup de feu et d’avoir pu aider quelques personnes au moyen de ces vivres de première nécessité.

J’ai accompagné les soldats pour quelques opérations quand les soldats de Mobutu attaquaient par la rive droite au pont de la rivière LWIKA non loin de la mission catholique de Sola. En général c’était vite terminé, mais risqué quand même. A la Lwika il y eut une fusillade nourrie, tous nos soldats se sont égaillés comme des moineaux et moi, sans même m’en rendre compte, j’étais seul sur la route. Après les tirs j’ai constaté qu’ils étaient parti avec les camions, me laissant seul. J’ai marché 20 km vers Sola, suivant la route dans la brousse. Les Pères de Sola m’ont accueilli et restauré puis reconduit à Kongolo.

Les mercenaires ne tardèrent pas à se replier sur Elisabethville, car les frictions avec l’O.N.U. devenaient toujours plus graves à Elisabethville

4 - DEBUT DE LA DEBACLE KATANGAISE A KONGOLO.

En octobre 1961 les katangais occupèrent Kilay et s’y accrochèrent ; on savait que les troupes de Guizenga étaient entrées à Lubao et s’apprêtaient à attaquer Kongolo. En novembre 1961 il y eut les premiers affrontements entre Katangais et Guizenguistes à Kilay. Ce fut très dur pour les deux côtés. Il y eut des pertes pour chaque camp. Les katangais se voyant perdus, se replient sur Kongolo, laissant la route ouverte. Entre-temps l’O.N.U. avait cloué au sol tous les avions katangais à E/Ville. Or, Kongolo recevait ses munitions et son ravitaillement par avion depuis la capitale. Sans avion, plus de contact !

Les soldats sont démoralisés. Ce fut le commencement de la déroute. Les soldats refusent de rester au camp militaire et vont s’installer à la Mission. Entre la Mission et le fleuve Lualaba il y a tout un terrain planté d’arbres fruitiers sous lesquels ils pouvaient s’abriter des avions qui pourraient les survoler. Ils n’ont demandé la permission à personne : les Pères étaient devant le fait accompli. Le Commandant Kimwanga me dit que dans quelques jours ils lèveraient le camp pour passer le fleuve.

La population voyant le départ précipité des soldats se prépare à partir vers la rive droite.

Un épisode grave prend place ici : des policiers katangais se mettent à arrêter arbitrairement des baluba, des basonge, des gens originaires du Maniema, tous habitants de longue date à Kongolo où la plupart étaient nés, même leurs parents et grands parents. Ces policiers faisaient partie des JENAKAT, la jeunesse politique katangaise, aussi bandits que la balubakat.

Le Père Michel Van Duffel vint me faire part de ces exactions. Je m’en fus appeler l’Administrateur du Territoire, Mr Benoît Tambwe qui m’accompagna jusqu’à la prison. Nous entrâmes et vîmes le grand désordre : on battait les gens, on les tuait, on en amenait d’autres. Mr Tambwe tenta de parler aux policiers de l’ethnie Hemba, lui même étant originaire de Mbulula. Peine perdue, les policiers le menacèrent et voulurent même l’arrêter devant moi. S’il avait insisté il aurait pu être tué.

Mr Benoît Tambwe s’enfuit, et devant mon impuissance, étant seul devant ces fous, je rentrai à la Mission. Tous ces gens arrêtés et malmenés étaient pourtant des habitants que tout le monde connaissait.

Kongolo fut de tout temps multi-ethnique. Et les gens se mariaient entre ethnies différentes sans complexe. Même les bahemba pouvaient prendre femme chez les baluba ou basonge. C’est la politique mal comprise et mal interprétée qui a conduit à ces débordements.

En août 1962, après mon retour à Kongolo, je fus convoqué au Parquet de E/Ville avec d’autres civils témoins des exactions des policiers. Plusieurs d’entre eux furent arrêtés et enfermés à la prison d’ E/Ville, de même que Mr Benoît Tambwe que certains avaient voulu rendre responsable du drame.

J’ai témoigné en faveur de Mr Tambwe et contre le brigadier Bilauri. Le premier fut immédiatement libéré tandis que l’autre fut condamné à la prison pour plusieurs années.

5 - FUITE DES KATANGAIS VERS LE PAYS HEMBA -RIVE DROITE DU LUALABA.

Après cette visite-catastrophe à la prison pour tenter de libérer les prisonniers civils, je rentrai à la Mission, j’enlevai ma tenue militaire et je revêtais ma soutane. Tout mon uniforme je le jetai au fleuve pour ne pas laisser de trace. Je suis allé appeler quelques confrères pour nettoyer l’endroit qui fut occupé quelques jours par les soldats katangais, car une armée en déroute laisse nécessairement des traces de son passage. Les Pères José Van Damme, Roger t’Jaeckens, Louis Crauwels et Walter Gillijns m’accompagnèrent, et à quatre nous avons ratissé l’endroit, jetant à l’eau tout ce qui pouvait rappeler le passage des soldats. Nous passâmes plusieurs fois pour vraiment ne rien laisser derrière nous, et l’endroit redevint ce qu’il était auparavant. On a ainsi jeté des pièces d’uniformes disparates, des fils électriques, des souliers, des boîtes à peine entamée de rations de combat ( de l’armée belge).

Pendant ce temps des files et des files de gens continuaient à passer devant la mission pour s’enfuir. Seuls les Bahemba pouvaient prendre ce chemin. Les autres, Baluba et Basonge, entraient à la mission pensant se mettre à l’abri du danger. Nous avions les provisions de l’internat du Séminaire pour les nourrir. Les gens qui passaient nous engageaient à les accompagner et fuir avec eux, mais comment fuir ? Avec une trentaine de Sœurs africaines, une cinquantaine de séminaristes, et beaucoup de réfugiés, vieillards, femmes, enfants, malades réfugiés chez nous. Il y en avait partout dans la maison et toutes les salles.

Nous avons tenu un court conseil et nous avons engagé les confrères qui désiraient de partir à se mettre à l’abri. Tous ont refusé. Moi-même, le Père Michel m’a conseillé de partir estimant que j’étais plus en danger que quiconque et j’ai aussi refusé. Heureusement, car les assaillants savaient que parmi nous un père avait été aumônier militaire. Si j’étais parti ils auraient dit que les Pères cachaient l’aumônier quelque part et ils auraient été frappés.

A notre arrestation au camp militaire j’ai dit de suite que j’avais été aumônier militaire. Personne n’a réagi autour de la table de l’adjudant qui s’est contenté d’entourer mon nom d’un cercle rouge, pour probablement me condamner à mort moi le premier.

Et l’attente a commencé, faite d’angoisse et de peur rentrée. Personne ne voulait montrer publiquement ses sentiments. Après les faits je trouve cela admirable. Personne n’a voulu exprimer ce qu’il ressentait.

Aucune plainte n’a fusé de quelque part que ce soit. Et par la suite, les souffrances effroyables qu’ils ont dû subir n’ont entraîné que quelques gémissements.

La dernière personne à fuir et à passer devant notre mission fut notre ami le Chef de Cité Joseph Pandemoja qui s’est arrêté pour nous conseiller. Il fut un homme admirable : muhemba, il dirigeait sa Cité sans discrimination ni favoritisme. Nous lui avons expliqué notre position; il s’en alla en branlant de la tête.

Père Jules Darmont

Sujets (et sonorisation européenne)