Le Père Jean-Baptiste Delaplace,
1825-1911.


La vie du Père Delaplace, rédigée par le Père Piacentini, a été imprimée pour les Servantes du Saint-Cœur de Marie, sur les presses de l'imprimerie Saint-Paul à Bar-le-Duc, en 1952.

On voit dans cette biographie combien Madame Delaplace veilla sur l'éducation de son fils et le soutint par ses lettres et ses conseils. Par sa vie de sacrifice, elle mérita de devenir la mère d'un prêtre et du fondateur d'une congrégation de religieuses.

Quant à lui, qui rêvait de martyre et de missions lointaines, il passera toute sa vie comme secrétaire général de la congrégation du SaintEsprit et aumônier de religieuses, tandis que ses filles Servantes du Saint-Cceur de Marie se dépenseront en mission dans les paroisses noires des Etats-Unis et dans l'île de Cuba.

Notre confrère naquit le 4 octobre 1825 aux Andelys et fut baptisé le même jour, sous le nom de Jean-Baptiste-François. A 10 ans il entra comme externe au collège de la ville, où il fit sa première communion le 7 mai 1837. Le 10 novembre 1840, sa mère le conduisit au petit séminaire de Saint-Aquilin. En 1842, il revêtit la soutane et reçut la tonsure des mains de Mgr Olivier.

Mgr Olivier était, parmi les évêques de France à cette époque, un des rares tenants des idées gallicanes et jansénistes, et nombre de ses prêtres suivaient ses idées. Mme Delaplace, inquiète, retira son fils du séminaire d'Évreux et obtint son admission au séminaire d'Issy, le 25 mars 1843. En octobre 1846, il passa au séminaire de Saint-Sulpice, à Paris, où l'abbé Mollevaut prêcha la retraite de rentrée scolaire. (C'est ce directeur qui, en 1836, avait conseillé à François Libermann d'accepter, à Rennes, la direction du noviciat, chez les Eudistes).

Le 18 juin, Jean-Baptiste reçut le sous-diaconat. C'était alors la révolution de 1848 ; Mgr Affre, qui le lui avait conféré, tomba, la semaine suivante, mortellement blessé sur les barricades, où il était allé porter des paroles de paix. Notre séminariste, dont le coeur brûlait d'un zèle tout divin pour la gloire de Dieu et le salut des âmes, était attiré par le courant missionnaire qu'avait soulevé l'initiative de deux séminaristes, dont l'un, Frédéric Le Vavasseur, était originaire de la Réunion, et l'autre, Eugène Tisserant, avait des attaches avec Haïti. Sous la conduite du P. Libermann, ils venaient de créer la société du Saint-Cœur de Marie, qui fusionna, précisément en 1848, avec la congrégation du Saint-Esprit. En novembre de cette année-là, l'abbé Delaplace se rendit à Notre-Dame du Gard, et le 22 décembre 1849, il reçut la prêtrise des mains de Mgr de Salinis, dans la chapelle du grand séminaire d'Amiens.

Le nouveau prêtre célébra sa première messe chez les Sœurs de l'Immaculée-Conception de Castres, proches de Notre-Dame du Gard. Il rejoignit ensuite sa mère aux Andelys, pour chanter sa première grand-messe dans l'église de son baptême et de sa première communion.

Le P. Libermann l'affecta à son séminaire de Notre-Dame du Gard et lui confia le cours d'Écriture Sainte, avec quelques fonctions complémentaires : maître des cérémonies, maître des novices frères et économe de la communauté. Ces multiples occupations ne l'empêchèrent pas de se lancer dans la prédication de carêmes et de premières communions. Il commençait même à avoir, malgré son jeune âge, une certaine influence près du P. Libermann et du P. Schwindenhammer son assistant. Certains missionnaires s'en étant étonné, le P. Libermann le défendit:

" Monsieur Delaplace ", écrit-il, " est capable, il a du jugement et de la facilité ; il a de la piété, de la vertu et de la régularité. C'est un homme de communauté, tel qu'il les faut au noviciat. Il joint à cela de belles qualités et un extérieur aimable. Il ne lui manque que l'âge et l'expérience qui s'y attache... Nous sommes surpris de l'opinion que les missionnaires se sont faite de ce jeune confrère. Il est très estimé de tous. M.Delaplace, du reste, n'a pas d'influence sur la conservation ou le renvoi des novices. Il a sa voix dans le conseil, dont les délibérations me sont transmises, et j'en juge d'accord avec MM. Le Vavasseur et Lannurien." (Avril 1851). Heureux jeune prêtre, sur qui un connaisseur d'âmes de la valeur du P. Libermann portait un jugement si élogieux !

Le 2 février 1852, le P. Libermann mourait, à 50 ans. Au lendemain de cette sainte mort, le P. Delaplace écrivait: " ... étrange pour quiconque ne voit pas les choses au point de vue spirituel ! La joie s'est emparée de tous nos cœurs, malgré le vide immense que nous laisse la mort de ce vrai saint. Personne ne veut prier pour lui, et tous le prient."

Le P. Schwindenhammer succéda au vénéré Père et quitta le Gard pour la rue des Postes à Paris. Dès les premiers jours du mois de mai 1852, le P. Delaplace l'y rejoignit comme "secrétaire de la congrégation"... A ce titre, ses premiers travaux fut de recueillir les nombreuses lettres du P. Libermann dans le but immédiat d'écrire sa vie. Plusieurs écrivains avaient ambitionné cette faveur. Elle échut à Dom Pitra, de l'abbaye de Solesmes qui, ayant pris pension au séminaire du Saint-Esprit, à cause de ses travaux scientifiques, s'était lié d'une amitié profonde avec le P. Libermann. Le P. Delaplace mit 17 ans, à partir de 1852, pour réunir 1500 lettres. Un siècle après, on en comptait 1850, dont 1830 ont été publiées.

Le 24 février 1868 commença, à la curie épiscopale de Paris, le procès de la cause de béatification du P. Libermann. Le P. Delaplace fut appelé à déposer. Il lui fallut plus d'une séance. Le P. Schwindenhammer eut la délicatesse de lui confier la mission de porter à Rome les pièces du procès. Le 1- juin 1875, la cause était introduite en cour de Rome. Utilisant sa déposition au procès, le P. Delaplace eut tôt fait de rédiger en 1878 une nouvelle vie du Vénérable Père Libermann. Il vécut assez pour entendre, le 19 juin 1910, proclamer l'héroïcité des vertus de son Vénérable Père.

La Bienheureuse Anne-Marie Javouhey, fondatrice des Sœurs de Saint Joseph de Cluny, étant morte en 1851, sa sœur, Mère Rosalie, fut nommée à sa place. Le 1 janvier 1853, l'archevêque de Paris confiait aux pères du Saint-Esprit, la direction spirituelle à Paris de ces religieuses missionnaires et de leur noviciat. Le P. Delaplace n'avait pas encore 28 ans quand son supérieur le chargea de ce noviciat, où il célébra la sainte messe tous les jours pendant de longues années. Il prêchait en outre dans toutes les maisons de la congrégation, soit aux enfants des pensionnats, soit aux religieuses.

Une des marques de confiance que donnèrent les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny au P. Delaplace, fut de lui demander d'écrire la vie de leur Mère fondatrice. Le P. Delaplace n'était plus un écrivain novice : il s'était fait la main en produisant, en 1877, la vie de l'Apôtre de Maurice, le P. Laval, son compatriote, et l'année suivante, celle du Vénérable Libermann. La vie de la sainte missionnaire parut en 1886, sous le titre La R.M. Javouhey, fondatrice des Soeurs de Saint-Joseph de Cluny. Histoire de sa vie, ses oeuvres et missions de la Congrégation.

Durant 50 ans, le Père Delaplace eut chez les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny une influence spirituelle profonde et très heureuse. Les religieuses qui en ont bénéficié, en ont gardé le plus reconnaissant souvenir.

Comme secrétaire, le P. Delaplace eut à créer le Bulletin général de sa congrégation, dont la rédaction et l'administration lui furent confiées. Le premier numéro parut en janvier 1857. Il eut aussi à s'occuper de I'œuvre des Filles du Saint-Coeur-de-Marie, et de I'œuvre apostolique des saintes femmes de l'évangile. Dans une plaquette d'une soixantaine de pages, il rappela les rapports particuliers qui unirent la société du Père Libermann à l'archiconfrérie du Saint-Cœur-de-Marie, Refuge-des -pécheurs, établie à Notre-Dame-des-Victoires par M. Desgenettes. Il eut à suivre la création du séminaire français à Rome par le P. Lannurien en 1853, le transfert du noviciat du Gard à Monsivry, l'achat et l'installation du séminaire à Chevilly, les implantations à Langonnet, à Cellule, et tout ce qui faisait la vie de la congrégation en expansion.

A partir de 1863, le P. Schwindenhammer commença à décliner sensiblement, pour succomber le 6 mars 1881. Le P. Le Vavasseur lui succéda, mais décéda 16 janvier 1882. Le P. Emonet, placé à la tête de la congrégation, garda pour secrétaire le P. Delaplace, comme l'avait fait également le P. Le Vavasseur.

En assurant tous ces travaux dans le cadre de la congrégation, le Père Delaplace poursuivait une œuvre plus personnelle. En 1848, il existait déjà, au séminaire de la rue des Postes, une œuvre dite de la Sainte-Famille, qui apportait une assistance fraternelle aux ouvriers pauvres du quartier, dans le style de la Société de saint Vincent-de-Paul, fondée en 1833 par Frédéric Ozanam. Le Père Delaplace en fut chargé en 1855. Cette œuvre le conduisit à envisager par la suite l'ouverture d'un orphelinat en 1860. C'est dans le personnel féminin de cet orphelinat que naquit et se développa la congrégation des sœurs Servantes du Saint Cœur-de-Marie.

Leur maison mère est située à Paris, au 41 de la rue Lhomond, proche de celle des Pères du Saint-Esprit au n° 30. Leur maison généralice s'implanta ensuite à Montgeron, dans l'Essonne. Elle est maintenant à Beauport, dans la Province de Québec : la congrégation s'étant bien développée en Amérique, comme le prouve les statistiques de 1952 des sœurs Servantes du Saint-Cœur-de-Marie:

- En France: 18 maisons; 167 professes; 5 novices.
- Aux Etats-Unis : 8 maisons ; 163 professes ; 9 novices.
- Au Canada: 48 maisons ; 575 professes ; 77 novices.

A 85 ans, épuisé par tant de travaux, le Père Delaplace rendit à Dieu son âme sanctifiée, le ler août 1911. D'abord inhumés au cimetière de la commune de Chevilly (l'autorisation du cimetière de la communauté n'ayant été accordée qu'en 1928), ses restes mortels ont été transférés, en 1922, au tombeau élevé pour lui dans la propriété des sœurs à Montgeron

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