LE P. FRANÇOIS-VICTOR DUBAIL
(Notices Biog. IV p. 102-106) décédé le 8 mai 1909, à Notre-Dame de Langonnet.


François-Victor Dubail naquit à Dorans, aujourd'hui territoire de Belfort, le 13 juin 1846. Huitième enfant de la famille, il eut pour parrain et marraine, son frère et sa soeur aînée. C'est ce parrain qui, entré aux Missions Étrangères de Paris, allait devenir Mgr Dubail, vicaire apostolique de la Mandchourie ; à lui après Dieu, notre confrère doit la grâce de sa vocation à la vie religieuse et apostolique.

Son digne frère crut même pouvoir lui indiquer la Congrégation du Saint-Esprit et du Coeur Immaculé de Marie, comme champ particulier de son apostolat. M. Dubail père, qui était instituteur émérite, poussa fort avant en ses études son fils François, chez qui du reste il avait remarqué des talents peu ordinaires, et le garda près de lui jusqu'à l'âge de seize ans. Le jeune homme prit alors de fortes leçons de latin de M. l'abbé Jeanninot, son curé, qui l'envoya à Langonnet en quatrième. C'est en cette maison qu'il fit ses études littéraires et théologiques et reçut les saints ordres, jusqu'au sous-diaconat. Avec les confrères de son année, il fit son noviciat à Chevilly, où il reçut le diaconat et la prêtrise, et se prépara à la profession. On était en 1874. La grande retraite et avec elle la cérémonie de profession se firent cette année là en notre Maison­Mère à Paris. Le nouveau profès reçut sa destination pour l'Île Maurice, où il arriva le27 octobre, après une traversée de 31 jours. C'était une durée anormale, qui avait été causée par la rencontre d'une queue de cyclone dans la Mer des Indes.

La Mission - de Maurice possédait alors, avec l'œuvre du saint ministère, spécialement auprès des Noirs, le collège Saint-Louis aux plus beaux jours de sa prospérité. Le P. Dubail était prêt à entrer dans l'une ou l'autre de ces carrières, sans toutefois se dissimuler les répugnances et difficultés que sa timidité excessive devait opposer dès lors, et tout le reste de sa vie, à ses prédications, et même en général, à tout acte. qui t'obligeait à paraître en publie. Au cours de son -Scolasticat. à Langonnet, il avait combattu de tous ses efforts cette timidité; et pour la vaincre, il avait pendant trois ans fait les catéchismes aux Colons de Saint-Michel ; c'était du zèle, du dévouement ; mais ce ne fut pas la victoire. A deux reprises, à Maurice et à Bourbon, il dut descendre de chaire avec une prédication interrompue. Aussi, l'enseignement parut dès lors répondre mieux à ses aptitudes, et il fut nommé professeur de quatrième au Collège Saint-Louis, avec sa part de surveillance des élèves, et les fonctions de préfet du culte et des catéchismes. Remis des -émotions du voyage, assez bien acclimaté par les précautions ordinaires et un repos de deux mois, servi par des talents remarquables et une infatigable ardeur, le P. Dubail put faire face à ces diverses occupations. Il gagna sans peine la confiance des élèves, et se tint à, l'écart des intrigues qui paralysaient la bonne marche du collège.

A cette même époque, 1874-75, la Congrégation prenait à Saint-Denis de Bourbon, la direction du Collège Saint-Charles, et y envoyait un personnel de choix qui en assurait, le succès immédiat. Il manquait un professeur de mathématiques ; le P. Pubail fut appelé de Maurice pour en occuper la chaire, et certes il y fit bonne figure. C'est à Bourbon qu'en 1877 il fut admis aux voeux perpétuels, sauf à les émettre à sa rentrée à la Maison-Mère. Cette formule lui sembla suspecte, et peu en conformité avec le texte des Règles : beaucoup étaient de même avis lui. Il demanda même des explications à la Maison-Mère, sur la valeur canonique de pareils voeux. La réponse lui vint que le Chapitre Général de 1875 les avait rapportés, et qu'il devait émettre purement et simplement les voeux perpétuels en les mains de son Provincial, ce qu'il accomplit avec bonheur à la date du 27 juillet 1881.

Après dix ans passés dans nos Missions de la Mer des Indes, il rentre en France et va se reposer à St-Ilan, 1884. Il retrouve là, avec le bon air, les forces et l'appétit; il peut s'adonner à un ministère peu fatigant de catéchismes et de confessions. L'année suivante, 1885, on le trouve si bien remis qu'il est appelé au Collège de Mesnières, pour en prendre la direction disciplinaire, avec le R. P. Libermann pour Supérieur de tout l'établissement.

Le P. Dubail demeure à Mesnières, avec cette direction, à laquelle il ajoute la charge de professeur de lettres, de sciences, voire de philosophie, jusqu'en 1891. Ces sortes de passages à travers les branches de l'enseignement, lui suggèrent des réflexions d'une justesse incontestable, qu'il formule en ses. rapports. « Le professeur, digne de ce nom, dit-il, ne s'improvise pas. Il faut qu'il ait professé telle matière, sciences ou lettres, telle classe en particulier, au moins trois ans, pour être à même de le faire avec compétence et fruits. Le jeune profès, qui vient avec la suffisance du «paratus ad omnia » pour enseigner dans un collège tout ce qui lui sera demandé, outre qu'il donne à ce mot de la règle un sens ' faussé, aura bien vite la preuve manifeste de son insuffisance. » Le P. Dubail, en passant par Cellule et Épinal, ne pouvait que voir se confirmer cette conviction.

C'est pendant son séjour à Mesnières qu'il lui fut donné de s'occuper de la vocation de son neveu Victor, qu'il attira au scolasticat. Il devait avoir la consolation d'assister à son ordination et à sa profession, à Chevilly en 1898, et à sa première messe au sein de sa famille; puis succéda, trois ans plus tard, l'immense douleur de le voir périr avec ses confrères dans J'épouvantable catastrophe du Mont-Pelé, 8 mai 1902.

Les infirmités s'étaient de bonne heure appesanties sur le bon Père François Dubail Il était encore curé de Saint-Jacques à Bourbon, vers 1881), lorsqu'il dut, en face d'une sérieuse hépatite, aller prendre les eaux de Salazie. Il n'en retira qu'un mieux partiel. Le foie, il est vrai, put se dégonfler; mais le diabète persistait. A Mesnières, il souffrit d'accidents graveleux qui lui firent ordonner les bains de Contrexéville. Puis l'hépatite reparut, et le malade fit à deux années consécutives une cure à Vichy, hélas ! sans amélioration bien appréciable.

En 1891, il peut néanmoins reprendre ses travaux. Dans une atmosphère plus en rapport avec son tempérament, il passa de Mesnières dans les Vosges, et prit à notre Collège d'Épinal, Les sciences mathématiques, avec les fonctions de préfet d'une division et assistant du Supérieur, un de ses bons amis, le Père Roserot qu'il 'il avait bien connu jadis à Maurice.

- Il demeura sept ans dans les Vosges. En 1898, il est envoyé à Saint-Sauveur de Cellule, où, toujours plein de dévouement et de courage, en dépit du mal qui persiste à l'assiéger, il va épuiser ses dernières forces, jaloux de se rendre utile jusqu'au bout. Mais il ne lui sera pas permis d'y terminer en paix sa longue carrière de trente ans, consacrés à l'enseignement en France et aux Colonies. Cellule et onze autres établissements de la Congrégation sont fermés brutalement et sans 'examen*, 31 décembre 1903. Et du coup retombent sur la Maison-Mère, qui n'a pas où les loger, plus de 300 Pères et Frères, dont un certain nombre de malades et de vieillards. La Providence a pourtant pitié de nous, et l'antique abbaye de Notre-Dame de Langonnet nous est laissée pour abriter nos invalides des Missions..

Le Père Dubail s'y rend, comme nombre de ses confrères, le cœur brisé, l'âme résignée à la sainte et mystérieuse volonté du bon Dieu. Il a bien compris qu'il ne s'agit Plus pour lui désormais que de se préparer à la mort. La croix est lourde ; l'épreuve dernière se prolongea cinq ans encore, au sein de la souffrance. Le pieux religieux a tout accepté, il ne songe qu'à tout sanctifier. Nous l'avons vu souvent s'avancer à travers les allées de l'antique abbaye, recueilli et silencieux comme les ruines saintes qu'il traversait, égrenant son rosaire qu'il ne quitte plus, priant pour l'Église, pour les Missions, voire pour nos. persécuteurs, offrant des chapelets et des chapelets pour l'expiation de ses propres péchés et de ceux des autres. A voir se glisser ces ombres silencieuses sous les sombres ifs et les noirs sapins du monastère, on arrive sans peine à goûter les propos mélancoliques des Bretons de la vallée, affirmant que l'on voit errer dans les landes, que l'on entend gémir sur les, coteaux qui encaissent l'Ellé, les anciens moines, prolongeant en ces lieux leur purgatoire et leurs pénitences, pour les fautes du passé et les crimes de la Révolution.

Bientôt, il fallut même ail cher Père Dubail se priver de ces promenades solitaires, et garder la chambre pendant de longs mois. Des supputations glaireuses, d'un caractère récalcitrant, et pour ainsi dire, à pression continue, l'étreignaient nuit et jour : c'était moins une existence qu'un douloureux martyre, dont souffraient eux-mêmes les confrères que la charité amenait à ses côtés lui tenir compagnie. Quel purgatoire ! Et il le prenait bien ainsi. Dès les derniers jours d'avril 1909, écrit le P. Hassler, le bon Père François Dubail avait reçu avec la piété la plus édifiante le saint viatique, l'Extrême-Onction et l'Indulgence de la bonne mort. Le jeudi, 6 mai, une extrême faiblesse annonça sa fin prochaine. Dans la matinée, il se confesse encore, renouvelle de tout cœur le sacrifice de sa vie. Le soir à 6 heures, il fit son dernier chemin de Croix, en la forme accordée aux malades. A 11 heures, ses confrères, groupés autour de lui, récitent les prières de la recommandation de l'âme, et à 11 heures trois quarts, le P. Dubail rend doucement le dernier soupir. Ses restes mortels reposent à l'ombre du grand Calvaire, avec les ossements des anciens moines bernardins des siècles passés, et ceux de nombreux Pères et Frères qui attendent avec lui l'ange du Jugement. Requiescant in pace!
A Limbour

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