Le Frère Simplicien Dubat,
décédé à Langonnet le 5 janvier 1933, à l'âge de 70 ans,
après 43 années passées dans la Congrégation.


Prié de rédiger la notice biographique de Frère Simplicien qu'il a connu à Zanzibar, Mgr Le Roy a répondu par les lignes suivantes :
" Donner mes souvenirs sur le F. Simplicien, c'est livrer une page de ma vie de Mission. La voici :
Né le 21 juillet 1863 au Bas de la Motte-Combes (Doubs), Vital Dubat avait partagé les travaux de son père, forgeron et petit cultivateur, jusqu'à son service militaire, qu'il fit, cinq ans durant, au 22, régiment d'artillerie à Versailles. Aspirant à la vie religieuse, il connut la Congrégation par son compatriote de la Louvenne, le Père Sommier, mort saintement à Bagamoyo en 1884.

A sa Profession, il avait exprimé le désir de garder son nom de baptême Vital : on lui donna celui de Simplicien, qui paraissait lui convenir mieux et auquel, de fait, il fit honneur.

Destiné à la Mission du Zanguebar, Mgr de Courinont l'envoya à Morogoro. Le Père Riou, jeune Père originaire de Brest, s'y étant trouvé seul, j'allai le rejoindre, conformément à mes fonctions habituelles, qui consistaient à remplacer des confrères, malades, appelés à d'autres postes, ou en congé. Le Père Riou venait de se mettre au lit, avec une mauvaise fièvre ; peu de temps après, je dus en faire autant. Très vite, nous nous trouvâmes l'un et l'autre en danger de mort, avec le F. Simplicien comme infirmier. Le P. Riou, péniblement, me donna l'Extrême-Onction, et, péniblement, je lui rendis le même service. Il mourut le soir même. Aidé de nos jeunes gens formés à Bagamoyo et employés à la fondation, le Frère rassembla quelques planches de nos vieilles caisses pour en faire un cercueil et procéda aux funérailles en "officiant" de son mieux.

En rentrant à la maison, il me trouva dans le coma, sans mouvement, sans parole et, apparemment, connaissance. - "C'est tout de même embêtant dit-il aux jeunes gens qui l'accompagnaient ; et ce qu'il y a de plus malheureux, c’est que nous n'avons plus de planches !"

"Vous le mettrez dans un sac", fis-je aussitôt : car j'avais entendu. Sac et planches furent d'ailleurs inutiles : quelques jours après, j'étais debout.

Nous étions fidèles à nos exercices spirituels : aussi, comme nous n'avions ni horloge ni montre, il nous arrivait parfois de nous lever pour la prière et l'oraison, et, après un long stage à la chapelle, de nous apercevoir qu'il ne devait pas être plus d'une heure ou deux du matin. Et la nuit s'achevait dans une contemplation intérieure ...

Nos relations étaient excellentes. Une fois seulement, le F. Simplicien, perdant son calme habituel, me fit une scène terrible : "Vous mettez le magasin au pillage, disait-il, vous ruinez la mission : avec quoi vivrons-nous ?"

Je le calmai difficilement. C'est que, de fait, j'avais enlevé douze brasses de linge pour les donner à une petit chef voisin. Menacé par Kingo, chef de Morogoro, d'être pris et vendu comme esclave avec tout son monde, s'il ne s'acquittait immédiatement d'une grosse dette, il était venu m'implorer avec larmes, me suppliant de la racheter, et m'offrant en compensation sa personne, sa famille, ses terres et les sept petits villages qu'elles portaient. De ce fait, la Mission s'étendrait de la route des caravanes jusqu'au sommet de la montagne de 2.000 mètres d'altitude qui la domine. Sur cet immense terrain, nous pourrions donner asile à tous les Noirs qui voudraient se mettre sous notre protection et les amener peu à peu à la vie chrétienne. Immédiatement, le marché fut conclu et le contrat signé, avec deux de nos jeunes comme témoins (Cette propriété a été plus tard reconnue et légalisée par les autorités allemandes). L'occasion était unique : il fallait la saisir. Mais le magasin était "mis au pillage" et le F. Simplicien, après une explosion de colère, garda pendant trois jours un silence obstiné.

Heureusement ma qualité de chef et propriétaire des sept villages me donnait droit à quelques redevances en nature. Et, entre temps, j'avais acquis une belle réputation de médecin - ce qui me valait des honoraires avec la spécialité de chasser l'esprit malin du corps des possédées. Faut-il dire à quelle occasion ? Un jour, pendant notre récréation de midi, se présenta, chantant pour marquer le pas, une petite troupe d'indigènes entourant deux hommes qui portaient sur leurs épaules une femme attachée à un long et solide bâton, comme un petit cochon qu'on porterait à la foire.

Et déposant leur fardeau : "Elle a le pipo (l'esprit malin), dit celui qui paraissait être le mari. Nous avons consulté tous les sorciers et médecins de la montagne, dépensé beaucoup d'argent, et le pipo n'est pas parti." Et comme pour prouver la présence de l'esprit malin, la possédée se mit à trembler d'étrange façon, avec d'invraisemblables grimaces.

"Sûrement qu'elle l'a, le pipo, prononça le F. Simplicien. Que faire ?

A tout hasard, je lus sur la tête de la possédée l'exorcisme du rituel et l'aspergeait abondamment d'eau bénite. Le F. Simplicien en fit autant. Puis, dans les cas douteux, on fait toutes les hypothèses, je fis boire à la malade un grand verre de sulfate de magnésie, qu'elle avala d'un trait comme elle eût fait d'un verre d'eau sucrée.

"Et maintenant, dis-je aux assistants, emportez-la ; demain, vous m'en donnerez des nouvelles..."

Le lendemain à la même heure, le mari se présente et m'offre, en cadeau, un coq magnifique: "C'est, dit-il, pour avoir chassé le pipo. "

Il est parti ? - Ah ! la ! la ! Tout le long du chemin, il a fallu s'arrêter, et le diable partait dans les herbes..."

Quelques jours plus tard, le P. Mével, un vieil ami, arrivait pour me remplacer, car je devais passer de Morogoro à la mission de Mhonda. Je lui donnai donc tous les renseignements utiles. Le dernier soir, assis sous la véranda, en face d'un ciel magnifiquement étoilé : "Auriez-vous encore, dis-je à mon successeur, quelques renseignements pratiques à me demander ? - C'est le moment, insista le F. Simplicien. - Oui, fit le Père après une longue réflexion : je désirerais savoir si les étoiles sont habitées ! "

Le lendemain, sans avoir pu répondre aux inquiétudes du cher P. Mével, je me mettais en route, avec quelques porteurs, pour la mission de Mhonda : trois jours de marche, qui furent agréablement coupés par la rencontre d'un superbe troupeau d'antilopes. Je fus assez heureux pour en abattre une, à la grande satisfaction de mes porteurs, qui purent, autour d'un bon feu, cuisiner et festoyer toute la nuit.

Plus tard, en 1892, j'eus encore l'aimable compagnie du F. Simplicien à Mombassa. Mombassa, que les indigènes appellent Mvita (la guerrière), ville antique, port excellent, sur un îlot enclavé dans les terres, était magnifiquement appelée à un grand avenir. Il nous fallait y prendre position, mais les Protestants, établis sur la Côte d'en face, nous surveillaient et pouvaient, par leur influence, nous évincer. J'obtins donc d'y aller seul, et, déguisé en Grec, marchand d'allumettes, je réussis a acquérir dans de, bonnes conditions, une maison et un terrain. Nous pouvions dès lors paraître en missionnaires, et ce fut alors que je fus heureux de retrouver le F. Simplicien. Bientôt, une petite chrétienté se forma autour de nous, composée de Goanais catholiques et de quelques Grecs "orthodoxes", qui consentirent à assister le dimanche à la messe, à condition de rester debout. L'autorisation leur fut donnée, et l'un d'eux, avant de mourir, se confessa, abjura toutes les erreurs et me légua sa petite fortune, 60 roupies.

Malheureusement, le F. Simplicien, dont l'activité au travail devait être constamment modérée, tomba malade et rentra à Zanzibar où le P. Acker crut devoir lui administrer les derniers sacrements.

Nous le retrouverons à Kibosho (Kilima-Ndjaro) de 1898 à 1903. Mais là, par suite sans doute, de trop grandes fatigues, le F. Simplicien fut atteint d'un vrai délire de persécution, montrant un sombre désespoir, croyant que les enfants se moquaient de lui, que tout le monde lui en voulait, si bien qu'on se crut obligé de le faire revenir en France.

Il me retrouva à Paris comme Supérieur Général. Sûr de tout obtenir de ma vieille amitié il ne cessa bientôt de me tourmenter pour retourner en Afrique, et je ne réussis à le calmer un peu qu'en lui promettant de le prendre quand j'y retournerais moi-même.

En attendant, il fut envoyé au Canada, où il resta trois ans, passa ensuite à l'Abbaye Blanche (Mortain), où, dès son arrivée et malgré son état de santé, il demanda du travail ...

Tel fut l'excellent F. Simplicien, homme d'une foi profonde, d'un dévouement absolu, d'une bonne volonté sans limites.
Heureux les cœurs simples, car ils verront Dieu ! "
A. Le Roy

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