Le Père Charles DUPARQUET,
décédé à Loango, le 24 août 1888,
à l'âge de 58 ans.


Le P. Charles-Victor Aubert DUPARQUET est né à Laigle, diocèse de Séez, le 21 octobre 1830. Ce même jour il fut porté à l’église paroissiale de Saint Martin, pour y être ondoyé, et les cérémonies du baptême lui furent supplées le 5 du mois de novembre suivant. Sa famille était des plus respectable et jouissait d’une certaine fortune.

Il fit avec distinction le cours complet de ses humanités et sa philosophie au collège d'Argentan, dirigé alors par un homme de mérite, et qui comprenait ce que doit être l’éducation chrétienne de la jeunesse. Les détails nous manquent sur cette époque de sa vie, mais nous ne pouvons douter qu'il ne l'ait passée dans la piété. Car déjà des pensées sérieuses remplissaient son âme, et l'un de ses attraits était d'aller s'édifier à la Grand, Trappe de Mortagne « où Dieu, écrivait-il longtemps après, m’a accordé tant de grâces pendant mon enfance ».

Parmi ces grâces, il comptait sans doute, tout d'abord, celle de sa vocation au sacerdoce. Sa mère, en effet, devenue veuve, n'ayant d'autre enfant que lui, rêvait un tout autre avenir pour ce fils, sur lequel elle concentrait toute sa tendresse. Et toutefois, Dieu ne s'arrêta pas à ce premier appel.

Ce fut pendant ses études à Argentan, dit M. l’abbé Fourmy (1), que Dieu lui fit connaître sa vocation de prêtre et de missionnaire de la Congrégation du Saint-Esprit. Ce n'est pas sans peine que sa mère le vit entrer au grand séminaire de Séez, et pourtant elle était loin de penser que son fils unique nourissait le dessein de se consacrer aux missions africaines . Il crut devoir lui laisser ignorer son projet et en ajourner l'exécution jusqu'au jour où Dieu l'aurait rappelé à lui. Après avoir rendu les derniers devoirs à sa mère, l'abbé Duparquet ne rentra au grand séminaire que pour faire ses adieux aux maîtres et aux élèves, dont il emportait l'estime et l'affection.

Déjà par trois fois le pieux séminariste s'était adressé au T. R. P. Schwindenhammer, pour s'assurer une place au noviciat, tant était grand son désir d'entrer dans l'Institut, en vue surtout des Missions d'Afrique. Car, selon qu'il s'en expliqua plus tard ses attraits à cet égard étaient corroborés par certains signes qu'il pouvait croire venir du ciel. Avant toutefois de se rendre au noviciat, il voulut accomplir un vœu qu'il avait fait, peut-être en vue de sa vocation de missionnaire, d'aller visiter le tombeau des SS. Apôtres. Il se rendit donc à Rome et fit, de plus le pèlerinage de Notre-Dame de Lorette. Il s'était-fait accompagner, dans ce pieux voyage, par le digne ecclésîastique cité plus haut, en reconnaissance de ce que celui-ci avait fait pour sa mère en la préparant à la mort. Son entrée au noviciat eut lieu, sous les auspices de la Sainte Vierge, le ler mai 1854. Il reçut le Sous-Diaconat le 23 décembre suivant, puis le Diaconat le 6 mars 1855 et enfin, le 2 juin de la même année, il fut ordonné prêtre. Trois mois après, il était admis à faire sa profession, le jour de la fête du Saint Cœur de Marie, le 26 août 1855.

C’était pour la première fois que l'on faisait les vœux publics dans la Congrégation. Cette pieuse et touchante cérémonie eut lieu dans l'ancienne chapelle de la maison de l'impasse des Vignes, où le noviciat avait été transféré de N.-D. du Gard, en octobre 1884.

Le P. Duparquet fut ensuite, selon ses désirs, envoyé en Afrique. Il y commenca ses premiers travaux, à Dakar, puis à Sainte-Marie du Gabon, oit il passa deux années environ, occupé surtout de l’œuvre des enfants, dans laquelle on voyait alors, comme depuis, le principal espoir de là Mission. Il s'y dévoua avec zèle et fit même venir à l'établissement, pour leur éduca­tion, quelques jeunes Portugais de l'île du Prince.

Il était heureux de faire part au T. R. Père des succès de cette oeuvre, qui comptait alors trente-huit enfants pension­naires, tous bien édifiants par leur conduite et leur application au travail. « Plusieurs, lui écrivait-il, nous donnent les plus grandes espérances, deux entre autres qu'on a baptisés hier, Urbain et Félix, le propre fils du roi Denys. Le P. Welty a appris à nos enfants le chant et les cérémonies, de sorte que nous pou­vous maintenant célébrer tous les offlecs avec solennité. » (L. du 16 août 1857.)

Ayant séjourné quelque temps à la station de Saint-Joseph des Bengas, il employa ses loisirs à apprendre le portugais, dont l'étude lui paraissait très facile, disait-il. Car déjà un attrait spécial le portait vers les colonies portugaises, et celles du Congo en particulier. Cependant, à raison de certaines difficultés jointes à l'état de sa santé, ayant été rappelé en France, il exprim­ait, en ces termes touchants, son affection filiale pour le Père général, et son entière soumission à ses volontés.

« C'est avec un grand bonheur que j'ai reconnu, par votre aimable lettre, qu'en quittant ma famille selon la chair pour me consacrer à la Compagnie, j'ai retrouvé dans elle une seconde famille et une seconde mere qui aime véritablement ses enfants, souffre avec eux de leurs propres souffrances, les aide à les supporter, et sait compatir à leurs misères et à leurs faiblesses.

Aussi, de mon côté, je m'efforcerai de lui rendre amour pour amour et de lui témoigner par ma conduite que je lui suis soumis et dévoué.

Suivant donc le désir que vous m'avez manifesté, je vais reparti r pour la France, afin de me mettre à votre disposition pour être envoyé où vous voudrez et faire ce que vous voudrez. J'aurais eu grande envie de travailler au bien des colonies portugaises, soit en Portugal, dans ces colonies elles-mèmes, si telle eût été la volonté de Dieu Mais comme je ne puis voir cette volonté de Dieu là où n'est pas celle de mes supérieurs, je renonce à ce projet pour me remettre entièrement à votre disposition, comme je viens de vous le dire. (L. du 14 octobre 1857,) »

Après son retour en France, le P. Duparquet fut à Notre-Dame de Langonnet (Morbihan), à la tête du petit scolasticat, où son action se fit fortement sentir, tant pour l'amour de l'étude, que pour le zèle en faveur des Missions d'Afrique, qu'il savait inspirer à ses jeunes disciples. « Mais, comme il l'écri­vait au T. R. Père, il portait chaque jour au saint autel un souvenir auquel il ne pouvait s'arrêter sans sentir ses yeux se mouiller de larmes. » C'était celui des Missions et surtout des colonies portugaises et du Congo. De là, ces lignes au T. R. Père général. :

« Étant envoyé au Gabon, je pourrai facilement, avec votre autorisa­tion, ouvrir des relations avec les colonies portugaises qui l’environnent, ainsi qu'avec le Congo, où se trouvent de nombreuses chrétientés qui, depuis bientôt un siècle, sont privées de prêtres. La langue portugaise que je possède suffisamment me faciliterait ces démarches. Si on le voulait, il ne serait pas difficile de s'installer dans ces colonies. Le plus malaisé serait d'obtenir un établissement légal en Portugal, mais si une fois on se mettait en relations avec les colonies ces relations s'étendraient bientôt à la Métropole, et je suis presque sûr que nous ne tarderions pas à nous faire accepter. Au reste, il faut bien, par le temps qui court, que les congrégations s'habituent, à faire le bien sans la protection des gouvernements et même contre ces gouvernements, car on est en grand danger de la perdre. (Lettre du 16 janvier 1862.)

Ces désirs du P. Duparquet, relativement à l'évangélisation, des colonies portugaises en Afrique, et du Congo proprement dit, n'étaient pas chose nouvelle dans la congrégation. Mgr Bessieux et Mgr Kobès les avaient déjà exprimés dès l'année 1850, à notre vénérable Père, comme plus tard son successeur, y aurait donné suite, s'il n'avait pas fallu pourvoir tout d'abord aux postes français de la Sénégambie et du Gabon. Cependant le temps parut venu de réaliser cet ancien projet. Le P. Dupar­net fournit alors, par ses laborieuses recherches, de précieux renseignements historiques pour un rapport qui fut présenté à la Sacrée Congrégation de la Propagande, à l'effet d'offrir les services de notre institut pour la Mission du Congo. Le Saint-Siège les accepta avec empressement et reconnaissance (décret du 10 août 1865), et confia au T. R. Père le titre de préfet apostolique du Congo.

Celui-ci y envoya le P.Poussot, en qualité de vice-préfet, avec le P. Espitallié. Le 25 septembre 1866, après une année de séjour en la maison de Cellule, le P. Duparquet partit lui-même pour cette Mission tant désirée, avec les pouvoirs de curé de Capangombé, district de Mossamedès, que lui avait donnés l'évêque d'Angola, lors de son passage à Lisbonne. C'était une paroisse entièrement abandonnée, où régnait la plus entière ignorance religieuse. « Chaque soir, écrivait-il, tous les enfants de la fazenda (exploitation), avec tous les esclaves, viennent me souhaiter le bonsoir et me demander la bénédiction; puis, les petits enfants se mettent en rond autour de moi, pour apprendre à faire le signe de la croix, ainsi que leurs prières. »

Ayant reçu un confrère, le P. Duparquet fixa, avec lui, sa résidence ordinaire à Mossamédès, où il songeait à établir une école. Il loua une modeste maison, et disposa un petit oratoire avec trois autels, dont celui du milieu était surmonté d'un tableau copié sur celui de la Neuville, la Sainte Vierge ouvrant son cœur aux pauvres Noirs.

Ce tableau, écrivait-il, impressionne vivement les noirs. On deman­dait à l'un d'entre eux ce qu'il représentait : « Ah! dit-il, ce sont des esclaves aux pieds de leur maîtresse. » « Non, lui avons-nous répondu, cette Dame est la reine et la maîtresse des Blancs; mais elle veut avoir aussi les Noirs pour ses enfants. » Là-dessus grande fut sa joie et son admiration. (Lettre du 12 mars 1867.)

J'ai acheté, ou plutôt racheté, écrivait-il encore, un petit Noir de onze à douze ans, nommé Ignace, au prix assez élevé de 225 francs. Il ne manque pas d'esclaves ici ; il y en a plusieurs marchands, mais ils les vendent cher. Le pauvre enfant que j'ai racheté est encore paien. Je vais l'instruire pour le préparer au saint baptême.

Nous ne parlerons pas des excursions qu'entreprit alors le P. Duparquet à travers les montagnes de la Chella, puis à Humpata et à Huilla. Ce voyage le confirma dans le désir de travailler à l’évangélisation de ces pays si délaissés. Mais un orage qui éclata à Mossamédès d'abord, puis à Lisbonne même, le contraignit bientôt à revenir en Europe. Sa qualité de missionnaire français avait, en effet, porté ombrage, et l’on s'était imaginé que sa mission, en ces pays, avait un but politique.

A son retour, le P. Duparquet s'arrêta quelque temps à Lisbonne, où il trouvait toujours chez MM. les Lazaristes la plus cordiale hospitalité. Il y négocia, au nom du T. R. Père, la fondation d'une maison de l'Institut, destinée à former un clegé indigène pour les colonies portugaises de l'Afrique. Ses démar­ches furent couronnées de succès; et il commença, à Santareni, tout près de la capitale, une maison qui devait porter le titre dv séminaire du Congo. Dieu bénit ces humbles commencenients, qui donnèrent bientôt les prémices d'excellentes vocations dont les Pères Santos et Antunès. Ce fut là l'origine du vollège aujourd'hui florissant, de Braga.

Quant à la Mission du Congo, après trois essais successil's l'un vers le nord, à Ambriz, l'autre dans le sud, à Mossamédès et un troisième au centre, dans la ville de Saint-Paul de Loanda, essais qui avaient coûté la vie à deux des premiers Pères, on crut devoir la suspendre (août 1870). Toutefois, après plusieurs explorations faites par les PP. D'hyèvre et Carrie, on conçut le dessein de reprendre cette même Mission, mais dans un pays placé en dehors de la domination portugaise. Le P. Duparquet

qui, dans l'intervalle, avait été envoyé à Zanzibar, étant revenu en France à cause de sa santé, appuya fort ce projet, qui comblait tous ses vœux; et lui-même fut envoyé pour le mettre à exécution, en 1873, avec le titre de vice-préfet apostolique.

Il installa le centre de la Mission à Landana, et bientôt, de concert avec le P. Carrie, il y fonda une oeuvre d'enfants divisés ,en trois catéories : les mulâtres, les petits enfants l'esclavage, et les enfants libres confiés par les noirs aux missionnaires. A cette oeuvre, il ajouta ensuite celle des esclaves rachetés par la Mission, auxquels on distribua un champ à acultiver, pour en faire des mariages chrétiens, après qu'on les ait instruits et baptisés. Il établit pareillement de belles cultures, puis une basse-cour et une bergerie qui devaient servir à la nourriture des Pères et Frères, ainsi que des enfants à leur charge. Il avait pensé à tout.

Pendant son séjour à Saint-Jacques de Landana, le P. Duparque­t entreprit un long et intéressant voyage sur le Zaïre, jusqu'à Mboma La relation qu'il en fit, au point de vue des beautés et des ressources du pays, en même temps que de ses moeurs et de ses croyances religieuses, fut publié dans le Bulletin de la Société de Géographie (no d'octobre 1876).

Cependant, l'année suivante, atteint d'anémie, il dut de nouveau regagner la France. Il profita de ce repos forcé pour mettre au jour un projet qu'il avait conçu depuis longtemps déjà. L'immense contrée de l'Afrique australe, comprise entre le Cap et la colonie portugaise du Congo, la Cimbébasie, était complètement dépourvue de missionnaires. Il en eut pitié; la Congrégation elle-même se montra disposée à accepter cette mission nouvelle; et la Sacrée Congrégation de la Propagande ayant approuvé ce dessein, il fut placé, comme vice-préfet, à la tête de cette importante Mission. C'était dans le courant de l’année 1879.

Il se rendit d'abord au Cap, puis, à l’aide de son wagon le Raphaël, traîné par huit paires de bœufs, véritable maison ambulante, il parcourut en tous sens ce vaste pays, visitant entre autres le Griqualand, le Damaraland, etc. Il fonda alors la premi­ère station des missionnaires à 0marourou. Il y ouvrit des écoles, avec le P. Hogan et le F.Onuphre; il fit des catéchismes, dont le fruit fut bientôt plusieurs cérémonies de baptémes solennels conférés à des adultes. Il entreprit ensuite une première excursion dans l'Ovampo, cherchant les endroits les plus propic­es, pour répandre partout la bonne semence de l'Évangile. mais le démon suscita une persécution contre la nouvelle chré­tienté : les luthériens, exaspérés des succès obtenus par les missionnaires, les chassèrent du pays.

En 1881, le P. Duparquet assistait à la grande retraite, à la Maison-Mère, après laquelle il repartit pour Mossamédès et Huilla, où la Congrégation put enfin solidement s'établir, avec le plein assentiment du gouvernement portugais, qui, depuis le, premières excursions des missionnaires dans ses colonies du Congo, avait entièrement changé de disposition à leur égard. Notre cher confrère tomba alors assez gravement malade, mais, après avoir fait à Dieu le sacrifice de sa vie, il revint à la santé ­et entreprit un nauveau voyage dans l'Ovampo. Puis il fonda la station de Humbé, et prépara successivement celles de l'Oin­bandja, des Amboëllas et plusieurs autres.

En 1886 il partit pour le Betchouanaland et y fonda une nouvelle Mission dont il plaça le centre à Mafeking, résidence du gouverneur et quartier général des troupes. Enfin, le zélé missionnaire, avant d'aller recevoir au ciel, nous l'espérons, la récompense due à tant de travaux et de fatigues pour l'évangéli­sation des noirs de l'Afrique, vit tous ses voeux satisfaits. L'érec­tion da vicariat apostolique du Congo français fut décidée, d'abord par un décret de la Sacrée Congrégation de la Propagande du 28 mai 1886, puis par un bref de Sa Sainteté Léon XIII, en date du 21 décembre suivant. On a vu au Bulletin no 6. (juillet 1881 la part que lui-même avait prise dans cette affaire, qui ne laissa pas de rencontrer des difficultés. Heureux de cette issue favo­rable, il le fut encore de voir nommer par le Saint-Siège, commv premier évêque de cette chère Mission, un ancien et bien affec­tionné Compagnon. de ses travaux en Portugal et en Afrique, Mgr Carrie.

Pour lui, il comptait finir paisiblement ses jours en Portugal; mais, après un nouveau séjour de quelques mois, tant en Portugal qu'en France, à la fin de 1887, il sentit se réveiller en lui la flamme de son premier zèle pour ces pays qu'il avait tant de fois arrosés de ses sueurs. Il sollicita donc la faveur de retourner an Congo, demandant à aller travailler sous les ordrvs de Mgr Carrie, comme simple missionnaire. Il partit, en effet, le 20 mai 1888; mais à peine était-il arrivé au lieu de sa destination, qu'il y trouva le terme de sa vie si active, et si gênéreusement dépensée, pendant trente années, pour l'extension du règne de Jésus-Christ, parmi les noirs de l'Afrique. Car, pour atteindre cette fin, que n'a-t-il pas fait, tenté, dit et écrit ? Quels ressorts n'a-t-il pas fait jouer? Nous n'avons pu faire connattre ­qu'une partie de ses efforts pour ce but, si digne de sa piété et de sa foi Son dernier acte, avant de rendre son âme à Dieu, à Loango, le 24 août 1888, fête de saint Barthélemy, apôtre, fut encore en faveur de la Mission du Bas-Congo : rassemblant toutes ses forces, il dicta à Mgr Carrie, qui veillait près de lui, les princi­paux points d'un mémoire relatif à la Mission du Bas-Congo, que la mort ne lui permit pas d'écrire.

Savant botaniste, le P. Duparquet avait su profiter de ses con­naissances, non seulement pour doter les diverses stations de Missions d'utiles plantations, mais encore pour enrichir de plantes exotiques et fort appréciées le Muséum d'histoire natu­relle, à Paris. On donna son nom à plusieurs de ces plantes, et on lui conféra à lui-même le titre de Correspondant. Il avait également reçu le diplôme de Correspondant de la Société de Géoraphie de Lisbonne.

Le P. Duparquet était aussi apprécié à Rome, où il se rendit plusieurs fois pour les intérêts des Missions d'Afrique, qu'il connaissait d'une manière particulière, et qui ont fait, on peut le dire, l'objectif de toute sa vie.

Les Missions catholiques, ainsi que les Annales de la Pro­pagation de la foi, ont souvent publié de ses lettres; il savait toujours intéresser par ses récits entraînants et pleins d'une sève exubérante. On sait également ce qu'il y avait de charmes dans ses conversations, jamais épuisées, où l'on ne savait par­fois ce que l'on devait admirer le plus, de sa bonhomie ou de sa finesse.

Toutes ses vues et tous ses plans, en matière d'entreprises et d'organisation d’œuvres, pouvaient ne pas toujours être suivis sans contrôle, mais jamais aucun motif intéressé ne pesa dans ses projets. Il pouvait parfois se tromper sur les moyens, mais son but était toujours le développement des Missions, et, pour l'atteindre, il eût volontiers, comme on dit vulgairement, remué ciel et terre. Pour cette noble fut il a consacré, non seule­ment tous ses efforts, mais les biens patrimoniaux dont la Providence l'avait pourvu.

Voici en quels termes Mgr Carrie annonçait sa mort au 7. R. Père Général de la Congrégation :

« J'ai la douleur de vous annoncer la grande perte que vient de faire notre Mission. Notre cher P. Duparquet n'est plus de ce monde. Il a plu à Dieu de l'appeler à lui le 24 août, à sept heures et demie du soir. Ce cher confrère a été emporté par une péritonite [1] après huit jours de maladie. Les derniers instants de ce vaillant apôtre de l'Afrique ont été des plus édifiants : il a reçu les sacrements dans de grands sentiments de foi, d'amour, et nous avons tous admiré l'abandon filial à la sainte volonté de Dieu de cet infatigable missionnaire.

Il a conservé sa connaissance jusqu'au dernier moment, et sept minutes avant sa mort il me parlait encore. Jusqu'à sa dernière heure il s'est occupé de ses chères Missions, et m'a dicté les points d'un grand rapport qu'il se proposait de faire sur la Mission du Bas-Congo.

Ses obsèques ont eu lieu le samedi 25 août, veille de la fête du Saint Coeur de Marie, au milieu du concours de tous les Européens résidant au Loango.

La perte de ce bien cher Père est pour moi irréparable et des plus douloureuses. J'étais si heureux de le voir revenir dans la Mission et voilà que vingt jours après son arrivée, le bon Dieu nous l'enlève! Que son saint nom soit béni.

Cette mort prématurée a fait naître partout, dans la Mission, l'expression spontanée des plus vifs regrets. M. le Dr Lucan qui, depuis de longues années, se dévoue au soin des malades au Congo, s'empressait, à cette nouvelle, d'écrire à Mgr Carrie

Quelle perte nous venons de faire! mais pour vous, Monseigneur, quel irréparable malheur! Quand je songe de quelle utilité, de quel secours vous eût été la présence à vos côtés de ce cher Père. Je le pleure doublement et pour vous, Monseigneur, et pour moi. J'ai été témoin des angoisses de son cœur quand vous étiez malade, il y a une douzaine d'années; j'ai vu l'étendue de son attachement pour vous; et c'est au moment où, depuis vingt jours seulement, vous vous trouvez réunis, que l'impitoyable mort vous l'enlève d'une façon pour ainsi dire foudroyante !

Nous n'avons donc plus qu'à pleurer ce véritable apôtre de l'Afrique qui, suivant son désir, est venu mourir sur cette terre à l'évangélisa­tion de laquelle il avait consacré sa vie! Que la volonté de Dieu soit faite!

Le gérant de la maison hollandaise de Ynsous, M. Hanken, protestant, adressait, de son côté, ces lignes au R. P. Campana, à Landana « C’est avec le plus vif regret que je viens d'apprendre la triste nou­velle du décès de notre ancien ami, le R. P. Duparquet. Je com­prends ce que la Mission perd dans cet homme si actif, si aimé; non seulement la Mission, mais aussi la science fait une perte sensible. Cette perte m'a bien touché, et je vous prie de vouloir bien accepter mes condoléances et d'être l'interprète de mes regrets sincères près de Mgr Carrie, pour qui cette perte doit être irréparable. »

Nous croyons, en terminant cette notice biographique de notre cher confrère, devoir citer une sorte de testament spirituel, qu'il traça de sa propre main dans une de ses maladies en mission. Ces lignes ne portent pas de date; les voici telles qu'elles nous ont été conservées :

Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.
Pouvant d'ici peu être appelé à paraître devant Dieu, moi, Charles­ Aubert Duparquet, déclare que les dispositions suivantes sont mes dernières volontés :

1. Je déclare mourir dans l'union et l'amour de la sainte Eglise catholique, apostolique et romaine, dans laquelle j'ai eu le bonheur de naître et de vivre;
2. Je déclare mourir dans les sentiments du dévouement et de l'obéissance la plus absolue à l'égard du Saint-Siège, détestant et abhorrant toutes les doctrines pernicieuses qui tendent à détruire son pouvoir temporel et spirituel;
3. Je déclare, en particulier, détester et réprouver toutes les erreurs, même en dehors des vérités de dogme, condamnées par le Saint-Siège, et n'avoir, en toutes choses, que les seules opinions adoptées par le Saint-Siège;
4. Je déclare, en particulier, réprouver et détester les erreurs modernes, et spécialement celles connues sous le nom de gallicanisme et de libéralisme;
5. J'ai toujours beaucoup aimé la Congrégation et le Très Révérend Père, je déclare mourir dans ces mêmes sentiments d'amour et de dévouement.

Je demande pardon de tout le mal que j'y ai fait pendant le temps que j'ai vécu dans son sein, et spécialement de la peine que j'ai causée au très Révérend Père.
Je demande aussi pardon à tous les confrères avec lesquels j'ai vécu des peines que je leur ai occasionnées, du mauvais exemple que je leur ai donné. Je les prie de me pardonner et de prier pour la délivrance de mon àme après ma mort.
Je mets toute ma confiance dans la miséricorde infinie de Dieu dans le Cœur immaculé de Marie, patronne de notre Congrégation, dans les suffrages de notre Vénérable Père ; et malgré la multitude innombrable de mes péchés, je meurs dans la ferme confiance d’aller le rejoindre un jour dans le ciel .
Enfin je déclare accepter en expiation de mes péchés, en réparation de tout le mal que j’ai commis et de tout le bien que j’aurais du faire et n’ai pas fait, ma maladie et la mort et tout son cortège, unissant mes souffrances à celles de Jésus et du cœur douloureux de la très Sainte Vierge.
B.G. Tome 14 p. 749


Charles Duparquet naquit à Laigle, du diocèse de Sées, le 31 octobre 1830, dans une famille de riches bourgeois. Après des études secondaires au collège d'Ar­gentan, il entra au grand séminaire de Sées, puis, après un séjour à Rome, en 1853, au séminaire des Pères du Saint ­Esprit à Notre-Dame du Gard, près d'Amiens, le 1er mai 1854 ; il y fut ordon­né prêtre le 2 juin 1855 et fit ses vœux dans la congrégation le 28 août. Il lui abandonnait sa fortune personnelle, con­sidérable, avec la promesse de pouvoir en utiliser une partie pour ses missions.

Envoyé d'abord à Dakar pour y re­prendre l’œuvre des enfants créée par Mgr Truffet et continuée par le P. Chevalier, il rejoignit rapidement le Gabon pour s'oc­cuper aussi de l'enseignement et songea à la création d'un séminaire. C'est de ce moment que date son intérêt pour les colonies portugaises. Au Gabon, il ne se sentit pas à l'aise, en butte à l'esprit étroit du P. Le Berre et de quelques uns de ses confrères. Les critiques qu'il formula sur l'orientation de la mission, tant à Dakar qu'à Sainte-Marie, dans un rapport daté du 23 septembre 1857 malgré les propo­sitions d’avenir qu'il établissait : prépara­tion d'un clergé africain, régénération de la vieille chrétienté du Congo, lui valurent d'être rappelé en France, où il fut profes­seur successivement dans deux établisse­ments spiritains, à Saint-Ilan, puis au petit scolasticat de Langonnet.

De 1860 date son premier contact avec le Portugal. Il mit ses années de France à profit pour parfaire ses connaissances scientifiques sur l'Afrique et sa réflexion sur le problème missionnaire. En 1862, il retourna, pour une année, au Gabon, où il se livra à la collecte des plantes tropicales.

A la fin de 1864, le P. Schwinden­hammer, Supérieur général de la congré­gation du Saint-Esprit, le chargea de rédi­ger un rapport au cardinal Barnabo, préfet de la S. C. de la Propagande, pour de­mander, en faveur de la congrégation, le maintien de la préfecture apostolique du Congo, abandonnée depuis 1835 par les capucins italiens. Le 9 septembre 1865, elle était confiée aux spiritains. Le P. Du­parquet obtenait pour lui une mission indépendante à Mossamédès où il arrivait en 1866. Sa première exploration le con­duisait jusqu'à Huila. En 1867, de retour au Portugal, il ouvrait une maison d'ensei­gnement à Santarem, avec la bénédiction des autorités et du Supérieur général des spiritains, maison qui devait être ultérieu­rement déplacée à Braga. En 1870, les spiritains décidaient l'abandon de Luanda et de Mossamédès.

Entre temps, en septembre 1869, le P. Duparquet était envoyé à Zanzibar, où le P. Horner le chargeait d'organiser un séminaire à Bagamoyo. Tous deux entre­prirent un voyage de reconnaissance vers les Grands Lacs, mais sa pensée et son cœur étaient restés au Congo.

Après quelques mois de séjour en France en 1873, il est nommé vice-préfet de la nouvelle préfecture du Congo (le préfet était alors le Supérieur général de la congrégation du Saint-Esprit) et arrive à Landana en septembre de la même année, où il achète deux factoreries et un vaste terrain pour les cultures. La colonie agri­cole fut un succès, malgré la sécheresse de 1874 et les incidents politiques de 1876 (tension entre les Français des factoreries et les indigènes) qui nécessitèrent l'inter­vention de la flotte française. Le P. Du­parquet s'occupa également avec succès de l'organisation de l'école qui débou­chait, dès 1874, sur un enseignement se­condaire en vue du recrutement d'un sé­minaire.

Il rentrait en France en fin 1877 et re­partait, en mars 1878, pour la Cimbébasie. Avec un wagon (le Raphaël) traîné par huit paires de bœufs, il explorait le Gri­qualand, traversait le Damaraland ; en mai 1879, il fonde un poste à Omaruru, visite l'Ovampo pour la Société de Géographie de Paris. En 1882, il revint à Mossamédès et créa la mission et le séminaire de Huila. En fin 1883, c’est un nouveau départ, cette fois pour le Betchouanaland, avec les fondations des postes à Humba, dans l'Om­bango et chez les Amboellas.


De retour en Europe en 1886, il est chargé de négocier l'érection de l'ensem­ble du Congo en vicariat apostolique. Depuis 1880, il mettait son Supérieur général en garde contre les empiétements du cardinal Lavigerie sur les missions spiritaines d'Afrique centrale ; il avait lui­même négocié avec le cardinal pour que les spiritains puissent s'établir au-delà du Stanley Pool. Sur les protestations de La­vigerie, le Pape cassa le décret de la Curie; cependant le vicariat du Congo français restait attribué aux spiritains.

Au début de 1887, le P. Duparquet retourne au Betchouanaland, fonde le poste de Makefing, puis rentre à Braga. C'est enfin le dernier voyage en 1888 ; il meurt en effet, d'une hernie étranglée, le 26 août, quelques jours après son arrivée à Loango.

Le P. Duparquet était d'une grande originalité d’esprit et d'une inlassable cu­riosité intellectuelle, qui, du fin fond du sud-ouest africain lui faisait signaler à ses collègues de Paris les derniers ouvrages parus sur l'Afrique. Ses rapports scientifi­ques ses collections de plantes lui valent une place de choix parmi les voyageurs de son temps. Sur le plan missionnaire, il fut le fondateur de la Province spiritaine du Portugal et de nombreuses missions africaines ; il fut aussi une des pionniers du clergé africain et un fondateur de sé­minaires. Animateur, éveilleur d'idées plutôt qu'administrateur, toujours désireux de connaître plus et plus loin, il a joué un rôle décisif dans la naissance des missions d'Afrique au sud du Congo.
- Paule Bras­seur - Hommes et Deslins, t. 1, p. 286.

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