Le Père Anton Düss
né le 14 août 1840 - décédé le 12 mai 1924

Auteur de "Flore phanérogamique des Antilles françaises"

Voilà un spiritain qui a passé sa vie à étudier la botanique d'abord en Martinique puis en Guadeloupe. Il a été un pionnier de l'étude des plantes dans les Antilles, et ceux qui l'ont suivi n'ont fait que reprendre et compléter son travail.

Anton Düss, ce chercheur, est né, le 14 août 1840 au centre de la Suisse, dans l'Entleburg, une région du canton de Lucerne, au village de Hasle, dans un paysage de montagnes. La ferme de ses parents se nommait Stöckerhüsli. Pour les germanisants, c'est un nom bien romantique : "la petite maison au pied de la montagne". Appelons-le encore Anton, plus tard quand il aura voyagé, il deviendra Antoine. D'ailleurs à cette époque, les français n'affectionnaient pas encore les prénoms étrangers.

Anton va aller étudier d'abord au collège de Lucerne, puis, pour la dernière année, à Fribourg, au Collège Saint-Michel. C'est à Fribourg qu'il va perfectionner son français. Comment a-t-il connu la congrégation ? Par un jeune spiritain de son canton qui ne resta d'ailleurs pas dans la congrégation.

En 1863, il entre dans la congrégation du Saint-Esprit. Son parcours est celui de la plupart des étudiants de cette époque. Il commence ces études de théologie d'abord à Paris, rue Lhomond pendant un an, puis au scolasticat de Chevilly qui vient d'ouvrir ses portes, pendant une autre année. Il est sujet à des maux de tête persistant. Ces supérieurs se demandent ce que l'on fera de lui. A cause de sa santé, il n'ira certainement pas en Afrique. On l'affecte donc à La Martinique où le climat est plus doux et où les spiritains dirigent deux collèges, l'un à Saint-Pierre, l'autre à Fort-de-France.

Il quitte Saint-Nazaire, en fin 1865, sur un bateau nommé "Impératrice Eugénie" (second empire oblige). C'est un vapeur dont les machines ont une force de 900 chevaux. Avec lui, voyageait un contingent de soldats allant faire la guerre au Mexique, dont un certain nombre était alsaciens. A l'île Saint-Thomas, l'"Impératrice Eugénie" continua vers le Mexique, tandis que le Père prenait un autre bateau dit "intercolonial" qui allait vers la Guadeloupe.

Le Père Düss reste cinq ans à la Martinique. Il s'avéra être un bon professeur, et on pensa qu'il pouvait continuer dans cette voie.

En décembre 1870, c'est la guerre, il revint en France pour terminer rapidement ses études et faire son noviciat, en Bretagne, car Chevilly situé dans la banlieue de Paris était occupé par les allemands. Il eut l'occasion d'aller rendre visite à ses vieux parents en Suisse et à cette occasion donna un coup de main pour accueillir les soldats de l'armée Bourbaki, armée française qui s'était réfugiée en Suisse devant l'avance allemande.

Il est ordonné prêtre à Saint-Brieuc, le 23 juillet 1871, il fait sa profession religieuse le 1er octobre de la même année, et cette année n'est pas encore terminée qu'il se retrouve à nouveau en Martinique. Il va y rester jusqu'en 1889. Il enseigne tour à tour à Fort-de-France et à Saint-Pierre.

De plus en plus, il s'occupe de botanique. Il fréquente le jardin botanique de Saint-Pierre et se sert de sa bibliothèque scientifique qui était excellente. Il faut parler au passé, car la ville de Saint-Pierre disparaîtra lors de l'irruption du volcan de la Montagne Pelée en 1902. Mais à cette époque le Père Düss n'était plus à la Martinique. A Saint-Pierre, il était vraiment placé dans le milieu intellectuel favorable à ses recherches.

De plus en plus il consacre ses jours de congé et ses dimanches à la recherche de plantes. En 1880, il peut écrire : "Il ne me manque que 7 ou 8 spécimens de plantes rares qui vivent sur les hautes montagnes difficilement accessibles et fleurissant aux mois d'avril et de mai, époque où nous ne sommes pas en vacances".

Mais les montagnes ne font pas peur au natif de l'Entleburg. Il se construit donc un herbier de plus en plus complet et entre en correspondance avec des botanistes de renom à Berlin et à Paris. Mais on dira : que devenait dans tout cela le professeur et le prêtre. Le professeur était indispensable dans son collège quoique des réticences aient été formulées surtout à la fin de son séjour en Martinique. Il aurait quelque peu délaissé l'enseignement pour ses recherches en botanique.

Il n'oubliait pas son sacerdoce. Un de ses confrères, le Père Wechter a raconté à son sujet l'histoire suivante, digne d'un fioretti. "Il herborisait un jour (c'était vers 1878) dans la région du Lamentin. Une voix lui dit bien distinctement : "Près d'ici il y a une personne bien malade." Le Père se retourne et ne voit personne, et continue son travail. La voix reprend : Il faudrait aller voir ce malade." Le Père, une seconde fois, examine et ne trouve personne. "C'est curieux" se dit-il, et il reprend ses recherches. Une troisième fois il entend la voix mystérieuse : "le malade est au plus mal, allez le voir". Le Père impatienté demande . "Mais où faut-il aller ?" – Tout droit devant vous" lui est-il répondu. Pour le coup, le Père ramasse son attirail, il prend à travers les lianes, les broussailles, et le voilà sur un chemin. Il prend à gauche, confiant dans l'avis de son guide inconnu en cas d'erreur. Une grande habitation s'offre à lui et le Père demande : "Où est le malade ?" Après bien des hésitations, on l'introduit timidement auprès d'un moribond manifestement hostile à tout sentiment religieux, et pour lui-même et pour toute sa famille. La réception est franchement mauvaise, mais il n'y avait pas de quoi déconcerter un homme de la trempe de notre brave suisse. A la question . "Alors c'est vous cet original qui est à la poursuite de nos spécimens plantus ? " – "Oui, dit-il, pour le moment j'en trouve un très intéressant, c'est vous-même ! Bon pour l'herbier du bon Dieu ! Vous n'avez pas peur…" Le malade a beau protester, il est vaincu.

En 1889, il est rappelé en France au collège dirigé par les spiritains à Beauvais. C'est là qu'on lui demande de prendre la nationalité française pour faciliter la possibilité officielle d'enseigner. Le supérieur de Beauvais se demande d'ailleurs qui va payer les 175 francs qu'il a du débourser pour cela. Mais au bout de deux ans, le Père Düss repart pour les Antilles, cette fois en Guadeloupe.

Le père Düss est nommé professeur au collège de Basse-Terre. A la Guadeloupe, il recommence les recherches en botanique. En 1895, il pensa qu'il était temps de se mettre à la rédaction de son ouvrage sur les plantes : "Flore phanérogamique des Antilles françaises". Sont dites Phanérogamiques, les plantes se reproduisant par des fleurs et des graines. Pour arriver à éditer son ouvrage, il a parcouru la Martinique et la Guadeloupe par monts et par vaux. Il a donné un nom aux plantes qu'il découvrait. Et puis les directeurs des jardins botaniques d'Europe avec lesquels il correspondait ont donné son nom à un certain nombre de ces végétaux. C'est ainsi que l'on a, en latin, l'Euphorbia Dussii, le Prunus Dussii, et bien d'autres encore. Celui qui étudie sérieusement les plantes des Antilles ne peut éviter de rencontrer le nom du Père Antoine Düss.

Tout en continuant ses recherches en botanique, il resta professeur au collège de Basse-Terre, jusqu'au jour de la fermeture du collège en 1905. Il prit ensuite les fonctions d'aumônier d'un hospice de pauvres, dans un lieu nommé Thillac. Mais il continuait ses recherches. Agé de 66 ans, en 1906, il monta sur le toit d'un appentis pour y cueillir une mousse ou un lichen. Arrivé au sommet, et tenant dans ses mains la plante, il perdit l'équilibre, glissa sur le toit en pente, et vint tomber sur le sol auprès de deux religieuses qui l'aidèrent à se relever. Il n'avait aucun mal, et surtout il n'avait pas laissé échapper la plante dans sa chute.

Pour terminer disons les honneurs qu'il reçut : officier d'académie, en 1898, officier de l'Instruction publique, en 1915. Quelques jours avant sa mort en 1924, il fut chevalier de la Légion d'honneur.

Le Père Antoine Düss est décédé le 12 mai 1924 à l'âge de 83 ans. Il avait passé 61 ans aux Antilles.
Joseph Carrard
Province de Suisse

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