Le P. Jean FLICK
de la Province de France, décédé à la Martinique le 22 mai 1938,
à l'âge de 73 ans, après 46 ans et 9 mois de profession.


Le P. Jean Flick vint au monde à Memmelshoffen, canton de Soultz-sous-Forêt (Bas-Rhin), le 21 février 1865.

Ses parents étaient de modestes cultivateurs, chez qui l'honnêteté et la pratique de la vie chrétienne étaient fort, en honneur. Il reçut donc une éducation foncièrement chré­tienne, éducation familiale pénétrée d'esprit de foi qui devait plus tard le soutenir dans les tentations et les épreuves qui marquèrent sa formation religieuse. Sans cet esprit surna­turel, il eut fait infailliblement fausse route et se fut perdu. C'était une nature il la fois indécise et obstinée dans ses vues.

Après sa première communion, il s'ouvrit à son curé de son désir de devenir prêtre et missionnaire. Celui-ci lui donna des leçons de français et de latin et, au bout de quelques mois, il était déjà assez avancé dans ses études pour être admis à l'école des Petits Clercs de Saint-Joseph, de Beau­vais. Il y resta cinq à six mois, et le P. Limbour, directeur de l'oeuvre, le dirigea sur Mesnières où l'on venait d'ouvrir le petit scolasticat.

Il y resta jusqu'en troisième, bon élève en somme, avec des hauts et des bas dans son travail. A cette époque, 1884, ses notes accusent une certaine nonchalance et surtout un esprit d'indépendance qu'il eut de la peine à vaincre entièrement. Porté aux idées noires et au découragement, il sollicita cette année-là son départ du scolasticat. C'était une grave tentation. La vie de communauté lui paraissait insupportable : on lui en voulait, on ne lui témoignait aucune confiance, Bref, il fut délié de ses engagements et partit.

Un mois plus tard, guéri de ses velléités d'indépendance, pris de remords, il envoya à la Maison-Mère une lettre pleine d'humilité et de repentir, suppliant qu'on voulût bien oublier ce coup de tête, promettant de se corriger et de rester fidèle à sa sainte vocation. Il fut réadmis et envoyé au petit scolasticat de Cellule. Il y termina ses Humanités. Ce n'est pas que sa carrière scolaire se déroulât désormais dans une sérénité parfaite, sans luttes ni tentations. Sa famille et même quelques prêtres cherchèrent à le retenir en Alsace pour l'envoyer au Séminaire de Strasbourg. Son équipée de 1884 avait été pour lui une salutaire leçon. Il tint bon.

Le 15 septembre 1886 le vit à Chevilly, au Grand Scolas­ticat. L'étude de la philosophie et de la théologie l'affermit dans sa vocation. Sans se faire remarquer par de brillantes qualités, il obtint toujours, dans ses examens d'ordination, la note : Bien. Il put donc gravir régulièrement les degrés du Sanctuaire et parvint à la Prêtrise en 1890. C’était pour lui le bonheur, il voyait le but de sa vie se rapprocher rapi­dement : l'Afrique le sollicitait, il n'avait plus qu'une année à patienter.

Cette année, celle du Noviciat qu'on faisait alors après l'achèvement des études théologiques, était consacrée à l'étude des Règles et Constitutions de la Congrégation, à celle du Droit Régulier, la théologie pastorale, la prédi­cation, c'est-à-dire tout ce que doit savoir un prêtre-mis­sionnaire sur le point de se dévouer au salut des âmes. Le tout était couronné par la Profession religieuse et la Consé­cration solennelle à l'Apostolat.

Dans sa lettre de demande de 'Profession, le P. Flick déclare ne vouloir faire que la volonté de ses Supérieurs dans le poste qui lui sera assigné. Comme le permet la Règle, il indique cependant sa préférence pour le ministère parmi les Noirs.

Sa première obédience fut le Zanguebar qu'il avait toujours secrètement souhaité; aussi, c'est avec joie qu'il s'embarqua pour Zanzibar en 1891. Mgr de Courmont le plaça à Mom­basa. Voici ses premières impressions de mission : « Depuis mon arrivée au Zanguebar je me trouve à Mombasa où nous sommes en pleines constructions depuis toute une année.

Il y a beaucoup de travail. La vie que nous menons est un peu dure, mais je me trouve enchanté de la vie de missionnaire. Je sais bien que plus tard les croix ne me manqueront pas. Avec la grâce de Dieu mes dispositions ne sauront changer et je supporterai avec courage toutes les épreuves que le Bon Dieu m'enverra » (Lettre du 26 août 189-2).

A cette époque le P. Flick s'était déjà rendu maître de la langue swahilie et depuis avril 1892 soit environ six mois après son arrivée dans la mission, il pouvait prendre son tour de prédication dans cette langue. Cette facilité d'ap­prendre les langues indigènes, il devait la montrer plus tard au Kilimandjaro où il fut envoyé en compagnie des PP. Gommenginger et Rohmer. Nous ne possédions alors dans cette magnitique partie de l'Est-Africain que les Missions de Kiléma et de Kibosho: le Bombo ne vint que plus tard.

Avec son ami le P. Rohmer nous voyons le P. Flick à l’œuvre de constructeur et de missionnaire à la fois. C'était pratiquement au début. Ceci ne l'empêcha pas de faire des tournées apostoliques dans les plaines parcourues par les Massaïs, nomades et batailleurs; aussi est-il le seul des mis­sionnaires qui eût le courage de les suivre dans leurs péré­grinations pour apprendre leur langue et les amener, avec la grâce de Dieu, vers notre sainte Religion. Il composa un vocabulaire et une grammaire massaïs « consciencieu­sement remaniés, écrit-il, en 1903 et prêts à être imprimés ». Il est à regretter qu'aucune suite ne fût donnée aux désirs de l'auteur : ces ouvrages ne furent jamais imprimés, et c'est dommage, car les ouvrages en cette langue assez difficile sont très rares, et le travail du P. Flick constituait une contribution notable à la linguistique de l'Afrique orien­tale. Peut-être, découragé, a-t-il détruit son travail, fruit de patience et de dures fatigues.

Après douze années de séjour dans les différentes stations du Vicariat, il dut rentrer en France, refaire sa santé, assez compromise, mais après moins d'une année d'absence on le retrouve à son poste : Mandéra, Bagamoyo, jusqu'après la guerre de 1914-1918, lorsqu'il reçut son obédience pour Mayotte. Il devait y retrouver un ancien compagnon d'armes du Zanguebar, le P. Jean Balt qui de Giriama près de Mombasa, avait été envoyé à- Mayotte en 1914.

Le B. P. Holder, Supérieur, vint à mourir et les deux con­frères, perdus dans ces îles solitaires des Comores, se re­layaient pour visiter leur vaste champ d'action, toujours en mer sur boutre pour visiter à Mohéli, Anjouan, la grande Comore, les colons et les noirs catholiques de ces parages. Ministère peu attrayant et fatigant, car la population indi­gêne est presqu'entièrement musulmanisée, donc peu acces­sible à une action évangélisatrice.

En 1933 le P. Flick quitta les Comores pour n'y plus retourner, il avait 68 ans; il fit alors sa récollection, édifiant tous ses confrères. Il pensait pouvoir se retirer à Misserghin dans un climat moins froid qu'en France, mais c'est à la Martinique qu'il fut envoyé. Placé à Fort-de-France, on le nomme vicaire à la Cathédrale avec mission d'aider aux confessions. Il eut là plus de travail que les Comores ne lui en avaient jamais assuré. « Je confesse ici, dit-il à un confrère, plus de monde en un mois que là-bas en une année. » Et cela se conçoit. Dans une cathédrale, dans une paroisse de plein exercice, -au milieu d'une population chrétienne, le saint ministère devait nécessairement êtré plus chargé que dans une mission où il fallait parcourir des lieues sur un boutre, dans l'océan indien, pour confesser quelques péni­tents dispersés au milieu d'une population clé Noirs musul­mans et-d'Indiens boudhistes.

Le P. Flick passa dans ce poste des Antilles les cinq der­nières années qu'il devait encore vivre. il s'éteignit à Fort­de-France le 22 mai 1938 à 73 ans, après 53 années passées dans la Congrégation, dont 46 ans et 9 mois comme profès.

Nul doute que Dieu ait récompensé une aussi longue carrière, modeste, effacée, sans aucune de ces actions remar­quables qui marquent le nom de celui qui les accomplit. Il lui aura accordé la récompense réservée à ses fidèles serviteurs, surtout à ceux qui auront travaillé avec humilité et persévérance, « Infirma huius mundi elegil sibi Deus. »
P. G.

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