Le Père Joseph F0ISSET,
décédé à Chevilly, le 6 avril 1969,
à l'âge de 74 ans et après 48 années de profession. BPF n° 154 p. 205-208


« Un grand prêtre a quitté ce monde ! » C'est en ces termes, qu'un des amis et admirateurs du Père Foisset, à Bordeaux, a exprimé sa sympathie et ses condoléances dans une lettre au R. P. Provincial, dès qu'il eut connaissance du décès. Le Père est parti à la rencontre visible du Seigneur, après avoir cheminé avec Lui à la lumière de la foi, lutté pour le faire connaître et aimer, avec, au coeur, quelque chose de l'ardeur des voyageurs d'Emmaüs, « tandis qu'Il nous parlait en chemin ».

C'est le jour de Pâques, le 6 avril 1969, qu'il nous a quittés à l'âge, jour pour jour, de soixante-quatorze ans et huit mois. Il était né le 6 septembre 1894 à Ueberach, dans le Bas-Rhin, où son père exerçait le métier de cordonnier.

Au terme de ses classes élémentaires, après un début d'initiation au métier paternel, l'appel de la vie missionnaire se fit entendre. Il s'empresse d'y répondre en allant frapper à la porte de Saint-Florent à Saverne. Son séjour y fut bref; c'est à Knechtsteden qu'il fera ses études secondaires. C'est là, au terme de ses classes, qu'il fut mobilisé par la guerre de 1914. Il n'eut à faire qu'une courte apparition au front de « l'Ouest » . Alsacien, on le trouverait moins suspect sur le front russe. Sa présence en premières lignes fut brève. Dès les premiers combats, il se trouva prisonnier des Russes. De sa captivité en Russie, témoignage de sa fidélité spiritaine, son frère conserve la photocopie des trois cartes-lettres du 13 avril, du 17 juin et du 27 août 1916, adressées au Très Révérend Père, Mgr Le Roy. C'est grâce aux démarches du Supérieur Général de la Congrégation qu'il put quitter la Russie pour la France, au camp de Saint-Rambert.

Libéré par l'armistice de 1918, il a hâte de rejoindre Saverne pour y faire sa philosophie, suivie du noviciat à Neufgrange. Après y avoir fait profession, le 29 septembre 1920, c'est à Chevilly qu'il est accueilli pour la théologie. Il y sera ordonné prêtre le 28 octobre 1923.

Le jour de sa consécration à l'apostolat, en juillet 1924, il reçut son obédience pour le Petit Séminaire-Collège Saint-Martial, à Port-au-Prince, en Haïti. L'Afrique de ses rêves ne sera pas son champ d'apostolat. Pendant vingt ­six ans, ce sera une chaire de professeur. L'attachement que lui ont conservé ses élèves, malgré une sévérité quelque peu exigeante, est la preuve de son mérite de professeur.

A son arrivée à Port-au-Prince, peu de jours avant l'ouverture des classes, début d'octobre, on le nomme professeur dans les basses classes. Il avait ainsi l'avantage de pouvoir se familiariser toujours mieux avec la langue française et combler les lacunes bien compréhensibles, vu ses études secondaires en langue allemande. Peu à peu, il monta de classe en classe, jusqu'à la première et finit en philosophie.

Il faut reconnaître au Père Foisset une force de volonté qui n'épargnait aucun effort, une puissance de travail remarquable sous le chaud soleil des tropiques. C'est bien le cas de dire : « le travail opiniâtre vient à bout de tout ! »

Le Père avait sa méthode pédagogique, dont l'expérience et le profit personnels lui avaient permis d'en apprécier la valeur. Il entendait en faire profiter ses élèves au maximum. Il rédigea, dans cette intention, un volumineux recueil de textes commentés à l'usage des classes de cinquième et de quatrième.

La tâche absorbante de professeur ne suffisait pas à son besoin d'activité. Toujours prêt à répondre à ceux qui faisaient appel à son ministère, il se voulait aussi prêtre ailleurs qu'en classe. Aux grandes vacances des premières années, on le trouvait à Kenscoff pour soulager les Pères de la paroisse de Pétionville, pour être aussi à la disposition des villégiaturistes qui commençaient à y affluer. La chapelle était à ses débuts, juste de quoi abriter l'autel. Le logis du desservant : une petite chambre des plus primitives, suffisante pour le lit et la table de travail. C'est là, dans la fraîcheur, avec ses inséparables livres, que le Père se trouvait à l'aise pour se plonger dans l'étude, sans omettre l'organisation de kermesses, dont chapelle et presbytère, aujourd'hui modernisés, restent les lointains bénéficiaires.

Impossible de suivre le Père Foisset dans ses multiples activités et initiatives. Retenons cependant, pendant l'année scolaire, son service dominical à la chapelle de Saint-Louis de Turgeau, les instructions et directions très appréciées auprès des Soeurs belges, « Filles de Marie » . Quand la radio eut fait son apparition à Port-au-Prince, l'ardeur apostolique du Père le poussait à s'adresser à un auditoire plus vaste, d'atteindre ceux qui, pour une raison ou une autre, se contentaient d'un bagage de foi rudimentaire, à ceux-là aussi qui n'en avaient guère reçu. Il s'ingéniait à faire pénétrer la doctrine sociale de l'Église dans un milieu où une certaine élite s'en souciait trop peu, insouciance dont les déboires ultérieurs pourraient être une conséquence partielle.

Faut-il s'étonner qu'en face d'un caractère, trempé par un vouloir énergique, le dialogue n'aboutissait pas du premier coup à concilier des opinions divergentes ? On pourrait trouver là une certaine explication au terme brutal mis à l'apostolat du Père sur la terre haïtienne.

Collaborateur assidu et goûté du Journal « La Phalange », ses articles avaient parfois de quoi irriter les susceptibilités gouvernementales et fournir aussi le prétexte de l'expulsion. Certains de ses articles avaient trait au « Vaudou ». Mélange d'un paganisme, héritage des esclaves importés du Dahomey, et de catholicisme. L'initiateur bien connu de l'Ethnologie haïtienne, tout en n'y voyant qu'un folklore, le présente comme une religion primitive, fondée sur les croyances populaires d'êtres spirituels et ayant une théologie, une morale, un corps sacerdotal hiérarchisé, des temples et des cérémonies.

C'est avec raison que le Père Foisset dénonçait ce fléau, « un cancer au cœur de l'organisme haïtien » , pouvait déclarer un patriote épris de la dignité et de la prospérité de son pays. Un évêque, bien au courant du problème, pouvait, à juste titre, y discerner: « le plus redoutable danger, parce qu'il cherche à corrompre la religion chrétienne dont il fait accomplir les gestes avec une foi païenne... Il faut être baptisé catholique pour l'initiation au Vaudou » .

Des renseignements étaient fournis par des informateurs que lui-même estimait mériter une confiance à l'abri de tout soupçon. Mais n'y avait-il pas lieu de craindre, chez ceux-là, quelque arrière-pensée mêlée de visées politiques ? La supposition n'est ni hasardée ni totalement gratuite. Un contrôle prudent et critique des informations aurait été à conseiller. Contrôle difficile dans la hâte du journaliste et faute de recul; souhaitables également, pour réduire au minimum les dégâts, plus de souplesse et de nuances dans l'expression.

Quoi qu'il en soit, à son insu, ses intentions louables, l'ardeur de son zèle d'apôtre de la foi ont été surpris et lui ont valu les foudres gouvernementales.

Dans sa pénible épreuve, le Père a eu un réconfort. Ce fut le témoignage de ses amis, accourus nombreux au camp d'aviation, pour lui exprimer leur admiration, lui dire leur reconnaissance, lui confier leurs regrets. Son souvenir, après plus de dix-huit années, est loin de s'être évanoui. Ceux qui ont eu l'occasion de se rendre sur les lieux en témoignent unanimement. La nouvelle de son décès aura certainement donné lieu à un pieux hommage auquel ses anciens élèves, vivant pour une raison ou une autre sous d'autres cieux, n'auront pas manqué de s'y associer.

Rentré en France, le Père Foisset retrouva, pendant une année, la philosophie à Mortain. L'appel à Allex, pour enseigner dans les classes terminales, lui permit de reprendre contact avec la littérature. Son temps d'aumônier au Sanatorium de Bligny lui laissa assez de temps pour fouiller -les écrits du Vénérable Père Libermann, d'en extraire des passages, publiés dans un opuscule: « L'art d'être malade » , sorti des presses de l'Imprimerie des Missions à Neufgrange.

De Bligny, l'obéissance l'envoya à Bordeaux, en qualité de Supérieur de la Communauté. Le correspondant déjà cité fut frappé par « son humilité, signe non équivoque de sainteté. Il était austère, surtout pour lui-même. Mais à choisir, mieux vaut, sans conteste possible, l'austérité que le relâchement » .

Les dernières années de sa carrière, le Père les a passées à Marcoussis, comme aumônier des Soeurs de Sainte-Thérèse. Là comme partout ailleurs.. il resta fidèle à ses antécédents : pas de relâche dans son ardeur studieuse, pas de ralentissement de son ardeur et de son zèle apostoliques. Petit à petit, il s'aperçoit du fléchissement de sa mémoire, qui l'avait toujours servi remarquablement, au point de se voir contraint, au cours de ses instructions aux Soeurs d'avoir recours à ses feuillets de rédaction.

Les forcés déclinantes l'avertissaient, si besoin en avait été, qu'il était temps de s'initier à la pratique de « l'art d'être malade » ... Pour la dernière étape de sa vie, nous trouvons le Père à l'infirmerie de Chevilly. Il y vint, à bout de forces, à la fin de décembre 1968. C'est là qu'il s'est éteint le jour de Pâques.

Le mercredi 9 avril, la Communauté de Chevilly, les membres de sa famille venus d'Alsace, les délégations des Soeurs de Saint-Joseph de Cluny du Sanatorium de Bligny et celles de Sainte-Thérèse de Marcoussis, le conduisirent au cimetière, où, bon et zélé serviteur du Seigneur, il repose dans le voisinage de Mgr Le Roy.
J. B.

Page précédente