P. Jean-Baptiste FRANCOIS
Bulletin Général de la Congrégation n° 20 p. 423
Décédé à N.D. de Langonnet le 15 février 1900


né à Charmes-sur Moselle, diocèse de St Dié (88), le 28/06/1823 ; premiers vœux à N.D. du Gard, le 15/08/1848 ; vœux perpétuels à Paris, le 27/08/1865 ; diacre à Amiens, le 18/12/1847 ; prêtre à Amiens, le 06/02/1848 ; décédé à Langonnet, le15/02/1900, à l’âge de 76 ans, après 51ans de profession .

A la mort du P. François, le P. le Douarin a écrit à son neveu, M. I'abbé E Blanpied, curé de Moriville, une lettre dont il a bien voulu nous envoyer la copie ; nous la reproduisons en l'abrégeant un peu et la complétant sur certains points .

« Cher Monsieur le Curé, la lettre que vous a adressée, il y a quelques jours, l e R. P. Peureux vous a laissé prévoir le sacrifice que Dieu allait vous demander . Votre cher oncle vient de s'éteindre cette nuit . Le Seigneur lui avait accordé une verte et vaillante vieillesse, ils sont rares les missionnaires qui, après avoir supporté si longtemps les climats meurtriers des pays tropicaux, arrivent, comme lui, au seuil de leur 77° année ; car il est mort à 76 ans, 7 mois et 17 jours (Le P. Jean-Baptiste François était né à Charmes (Vosges) le 28 juin 1823) . Que d'âmes l'ont précédé au ciel, baptisées et converties par lui pendant son long et fructueux apostolat !

« J'ai vu ce bon Père à l’œuvre en Haïti, durant plusieurs années,. et j'ai vécu dans son intimité . Je suis heureux de pouvoir voue donner quelques détails sur sa vie et ses derniers instants, pour votre consolation et pour l'édification de tous ceux qui le pleurent . C'était, je puis l'affirmer, un rude et infatigable missionnaire . Et il ne fut pas un ouvrier de la onzième heure : il a travaillé courageusement à la vigne du Seigneur, sous le poids du jour et de la chaleur, depuis l'aurore de sa vie sacerdotale et religieuse jusqu'à ses dernières années .

« Quand, obéissant à la voix de Dieu, il quitta le grand séminaire de St-Dié, pour se dévouer à l'œuvre des Noirs, il était déjà dans les ordres mineurs . Pour ménager la sensibilisé de sa famille et prévenir de sa part toute objection, il avait résolu de garder son secret jusqu'au bout . Cependant, sur l’avis de trois de ses condisciples, qui devaient partir avec lui, M.M. Clément, Poussot et Peureux, il se résigna à s'en ouvrir à ses parents . Le coup fut dur, surtout pour sa pauvre mère, veuve depuis deux ans ; mais, dans cette chrétienne et forte famille, l’esprit de foi domina tout aussitôt la nature .

« Ce fut le 18 septembre 1846 que les quatre séminaristes vosgiens arrivèrent ensemble dans l'humble maison de la Neuville, où les avait précédés, deux ans auparavant, un autre compatriote, l'abbé Lamoise . Depuis cinq ans que le noviciat était ouvert, jamais encore il n'avait eu pareille recrue . Aussi la joie fut-elle vive dans la petite communauté.

« Ordonné prêtre à Amiens le 6 février l848, par Mgr Mioland, le P. Français fit sa profession le 15 août de la même année, avec les PP. Poussot et Clément, dans l'antique abbaye de N.-D. du Gard, où le noviciat avait été transféré ; il ne rêvait dès lors que les Missions ; mais notre vénérable Père, ayant besoin d'un secrétaire et voyant ses aptitudes pour cette fonction, le garda à ce titre auprès de lui, d'abord à N.-D. du Gard, puis à Paris lors de la fusion des deux sociétés du St-Esprit et du St-Cœur de Marie . Cependant la vie de bureau n'allait guère à l'exubérante activité de sa nature . Le pavé des rues de la capitale semblait lui brûler les pieds ; il ne soupirait qu'après les Missions ; il en avait, selon l'expression du vénérable Père, « comme le mal du pays . » (Lettre au P. Schwindenhammer, du 14 déc. 1850) .

Enfin notre saint Fondateur mit le comble à ses vœux en lui donnant son obédience pour l'île de La Réunion (Le Vénérable Père qui s'y connaissait en hommes, l’annonçait ainsi au R. P. collin, le 20 février 185l : « Je vous envoie le P. François . Il est pieux; plein de foi, d’un bon caractère, d'un cœur droit et généreux, ardent, dur à lui-même. désirant les privations et les souffrances, jusqu'à nuire à sa santé, hardi et sans peur jusqu'à la témérité, vif et énergique dans le fond, doux et modeste dans la forme, d’un esprit juste, droit et observateur . » — « Je ne l’envoie pas en Guinée, ajoutait-il dans une autre lettre au R. P. Schwindenhammer, car, ardent et hardi jusque la témérité, il n’y vivrait pas six mois . » [14 déc. 1850]) . Le jeune missionnaire .se mit aussitôt à l'œuvre avec un zèle infatigable . Les Noirs de cette colonie, récemment affranchis de l'esclavage et surexcités par les grandi mots de liberté et d'égalité qu'on faisait partout retentir, auraient été capables de se livrer aux plus graves désordres, si la religion n'était venue leur apprendre à user chrétiennement et en paix de la liberté qui venait de leur être accordée . Le P. François se donna tout à eux . Placé d’abord comme vicaire à la cathédrale, mais pour s’occuper spécialement des Noirs de la ville, il fut ensuite chargés à titre de curé, de la paroisse St. Jacques, composée principalement de pauvres ouvriers, et que nos Pères dirigent encore aujourd'hui . L'extrait suivant de l'une de ses lettres donnera une idée de son apostolat .

« Ici. écrivait-il le 13 Juin 1854, ce n'est pas le climat, mais le travail seul que tue le missionnaire ; c’est une charmante et très fructueuse mission . Le bien suit une marche toujours progressive dans cette grande paroisse . Grâce à une souscription que j'ai ouverte en ville, je suis parvenu, après trois jours de quête de maison en maison, à recueillir plus de 3,000 francs, pour rendre propre, un peu coquette même, ma pauvre église .Il faut voit ces bons ouvriers venir par trentaine offrir qratis leurs bras, il faut surtout les voir à l’œuvre . Comme c'est doux au cœur du Père de voir ses bien-aimés enfants, pour lesquels il se consume, se dévouer à leur tour pour le service du bon Dieu ! ...

« Depuis dix-huit mois que je suis à St Jacques, j'ai eu le bonheur d'y préparer plus de 350 premières communions, plus de 260 mariages, et un nombre à peu près égal de baptêmes . Bien des conversions y ont eu lieu, et, sauf les criailleries passagères de la gent canaille, lorsque je leur adresse de trop vives apostrophes, je suis généralement bien aimé . J’ai pour principe la fermeté et la sévérité dans les reprochés, la bonté et le dévouement parfait dans le retour des pécheurs, et le bon Dieu en tire un bon profit ! Qu'il en Soit loué !

« Nos pauvres confrères de Maurice sont en plein choléra . Ici, on tremble, on prie . Je crains fort que nous soyons de nouveau étrillés .

Le fléau qui désolait Maurice y multipliait le travail des missionnaires, et l'apôtre de cette île, le vénéré P. Laval, demandait du renfort avec instance . Le P. François répondit à son appel avec joie (1854) . Il resta 11 ans sous la direction de cet homme de Dieu, se dépensant sans jamais compter avec ses forces ; cependant, bien qu'il eût, pour ainsi dire, un corps de fer et une âme d'acier, il dut rentrer en France en (18/05)1865, après 14 ans passés aux îles Mascareignes .

C'est alors, Monsieur le Curé, que je fis la connaissance de votre oncle . Le 27 août 1865, il émettait à Chevilly ses vœux perpétuels ; et, prêtre depuis 8 mois, je faisais moi-même mes premiers vœux . Il voulut bien me servir de parrain surnuméraire en cette circonstance inoubliable de ma vie, en signant comme témoin mon acte d'engagement, avec deux de mes anciens professeurs, les P. Delaplace et Duparquet . Peu de temps après, il partait pour Haïti, où la Providence devait nous réunir quelques années plus tard ; en effet, rentré de la Martinique en France, en juillet 1871, Je reçus aussi mon obédience pour cette même Mission .

La pénurie des ouvriers apostoliques, obligeait alois le bon P. François à rester seul à Pétionville . Il était à 1a fois supérieur, économe, curé de la paroisse, missionnaire des mornes, instituteur, grand chantre, tout . Il n'avait avec lui qu'un grand Noir, répondant au nom harmonieux d'Olibris; et, la nuit, il logeait seul dans une longue maison à étage, bâtie, lors du concordat, pour devenir grand séminaire métropolitain, mais dont la toiture en aissantes, disloquées et fendillées par la chaleur, laissait filtrer l'eau de toutes parts, si bien que dans les averses torrentielles, fréquentes en ces climats, il lui fallait rouler son lit dans un coin pour ne pas être inondé .

La paroisse qu'il avait à desservir s'étend au loin dans les mornes, vaste comme un diocèse . Que de fois, appelé pour un malade, il disait la messe avant le jour, prenait les Saintes Huiles et le Saint Viatique, mettait dans sa sacoche un morceau de pain avec une tranche de fromage, et partait à cheval, à travers monts et savanes, longeant les précipices par des sentiers impossibles, pour ne rentrer qu'à midi, ou même plus tard !

Cependant là ne se bornait pas la tâche du vaillant missionnaire . Il n'y avait alors en Haïti que l’Archevêque de Port-au-Prince, Mgr Guilloux . Dans ses longues tournées de Confirmation, il se faisait souvent accompagner du P. Francois ; et c'était une`mission continue durant trois ou quatre mois . Partout il fallait prêcher, catéchiser, confesser, préparer au mariage et à la confirmation des néophytes de 50, 60, 70 ans et plus . Et toujours indomptable, le cher Père semblait se délasser d'une fatigue par une fatigue nouvelle .

C’est à Pétionville que votre oncle, cher Monsieur le Curé, reçut la première visite de la cruelle maladie qui depuis longtemps l'a régulièrement cloué tous les hivers sur son lit de douleur . Un soir, on vint nous dire qu'il était alité depuis une quinzaine de jours . Il avait la goutte, avec de violents rhumatismes . Assurément, cela ne lui venait pas de la bonne chère . A Pétionville, il n'y a ni boulanger, ni boucher, ni épicier, ni marchand de vin ; les gens du pays ne vivent que d'ignames, de manioc, de bananes, de riz, de pois rouges, etc., et le bon Père était souvent à ce régime . Que de fois ne l'ai-je pas vu, au retour d’une longue course, se régaler d'un simple verre d'eau et d'une boite de sardines ! Rentré malade en France : en 1877, il se hâte de repartir pour sa chère Mission après quelques mois de repos .

Enfin, épuisé par les travaux, les privations et les souffrances, le P. François revient dans la mère-Patrie en 1884, laissant parmi ses bons Noirs de la montagne le souvenir et les regrets d'un Père bien-aimé . Mais, au bout de quelques années de repos dans nos maisons de France, se trouvant de nouveau sur pied, il n'y tient plus et demande encore les Missions . On l'envoie donc, en 1888 à la Guyane, où il va évangéliser, avec un zèle toujours jeune, les Nègres de Cayenne et les transportés du Maroni . Il y travaillait ainsi depuis quatre ans sous la direction du bon et saint P. Guyodo, quand en 1892, le vénérable d'une loge de Paris, envoyé pour tout laïciser dans la Colonie, le Gouverneur intérimaire Grodet fit expulser tous nos Pères, avec les Frères et les Sœurs des écoles, au vif regret d'une population qu'ils évangélisaient depuis quarante ans et qu'ils avaient renouvelée au point de vue religieux .

Après avoir été séparés l'un de l'autre pendant une douzaine d'années, le bon Dieu nous a de nouveau réunis à N.-D. de Langonnet, vers la fin de 1896 . C'est ici que, pendant plus de trois ans, le cher P. François a fini de se sanctifier dans la douleur, toujours sur la croix avec Jésus . Pris en janvier de sa goutte habituelle, il se relève les premiers de février . Le 6 ou le 7, il garde encore la chambre, retenu cette fois par un asthme qui ajoute à ses souffrances . Le 10 au matin, il demande et reçoit les derniers sacrements ; le dimanche 11, il me dit: « Mes papiers sont en règle, c'est fini, bien fini ! — Eh bien, lui répondis-je, bon courage, vous avez bien travaillé pour le bon Dieu et la Ste Vierge ; la récompense vous attend . Il vient de s'éteindre, le vaillant missionnaire, dans un fauteuils sans agonie, entre 11 heures et minuit, dans la nuit du 15 au 16 !

Personne n'est exempt de faute ; nous prierons donc ensembles, Monsieur le Curé, pour ce bon et cher Père, afin que le bon Dieu. lui accorde au plus tôt la couronne de gloire méritée par ses travaux apostoliques .

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