LE P. LOUIS FRIEDRICH
SUPÉRIEUR DE LA COMMUNAUTÉ DE WEERT (HOLLANDE)
décédé le 23 décembre 19017.
(Notices Biog. III p.189-209)


1. - Mission de la Guyane Française.

La biographie du P. Louis Friedrich nous reporte aux belles Missions de la Guyane et du Pérou, que bien des coeurs regrettent encore, à celle de l'Amazonie, qui ne s'établit pas sans sacrifices. Au nombre ces sacrifices, il n’est que juste de compter celui du regretté P. Friedrich.

Les Annales de notre Congrégation notent que la Mission de la Guyane est la seconde qui ait été confiée à la Société du St-Esprit, dès l'année 1775; St-Pierre et Miquelon fut la première en 1766, et le Sénégal la troisième en 1779. Lors des premières démarches faites auprès de M. Fourdinier pair le P. Frédéric Le Vavasseur et M. Pinault, de St-Sulpice, en 1840, réitérées en 1844, pour une fusion des deux Sociétés qui devait s'opérer heureusement en 1848, il fut question de confier à la Congrégation du St-Coeur de Marie la Mission de la Guyane Française. L'entente ne put s'établir. Ce ne fut qu'en 1853 que nos premiers Missionnaires, les PP. Guillemain, Ledhui, Brunetti (Jules) et Mignon, sous la conduite du P. Guyodo, supérieur, y furent envoyés et créèrent les Communautés de Cayenne d'abord, puis de Rémire avec le P. Neu, et de Tonnegrande avec le P. Durand, janvier 185G. Si le P. Friedrich ne fut pas le compagnon de ces premiers missionnaires, il lui fut donné d'entrer en collaboration de leurs travaux, à Cayenne d'abord, puis à Rémire, dans la fondation du saint P. Neu.

Né à Mollkirch (Bas-Rhin), le 11 août 1850, le jeune Louis Friedrich avait fait ses études classiques au Petit Séminaire de Strasbourg, jusqu'à la rhétorique qu'il y commença, mais pour ne l'achever qu'au Petit Scolasticatt de Langpnnet en 1870. Puis, la profession faite le 15 août 1875, il part le 5 novembre suivant avec le R. P. Emonet, son Supérieur, pour la Guyane Française. Après six mois passés à Remire, il rentre à Cayenne et professe les classiques au Collège des Frères de Ploërmel. En 1878, il prononce ses voeux perpétuels. En 1879, il accompagne le P. Emonet dans une excursion apostolique à travers les terrains contestés. On appelait ainsi la zone qui s'étend entre l'Oyapock et l'Arnouzzy, non loin des Amazones, sur une étendue d'environ 225 milles, que la France et le Brésil se disputaient et qui a été depuis adjugée à ce dernier pays.

Depuis 1860, et peut-être auparavant, la juridiction ecclésiastique en ces régions appartenait au Préfet apostolique de la Guyane Française, Mgr Dossat, Mgr Hervé, Mgr Emonet, tous les trois honorés du titre de protonotaire apostolique pro tempore. Le Gouvernement brésilien ne voyait pas sans un cer­tain ombrage s'exercer cette juridiction de la préfecture, et protestait contre l'envoi de missionnaires français dans les divers districts contestés. Cela n'empêcha pas le P. Emonet avec le P. Friedrich d'y entrer résolument en 1879, et d'en par­courir une bonne partie, prêchant et catéchisant, administrant le baptême et la confirmation, la pénitence et l'eucharistie, surtout le mariage, et au besoin 1'. extrême-onction. Cette excursion apostolique prit la plus grande partie du mois d'oc­tobre, et produisit d'abondants fruits de salut. Pour continuer

ce bien, le préfet apostolique désigna, pour rayonner d'une façon permanente en ces pays, M. l'abbé Vansoërstide, prêtre sorti du Séminaire du St-Esprit, qui, pendant plus de vingt ans, s'y est dépensé, aidé du concours de quelques confrères, avec autant de dévouement que de fruits de salut pour ces âmes délaissées.

En 1881, lors du Jubilé universel octroyé par Léon XIII, les Pères de Cayenne, est-il dit au bulletin, se dispersèrent dans les quartiers pour prêter leur concours aux prêtres qui le réclamaient. Le P. Giron donne une mission à Iracoubo, le P. Friedrich à Mathury, à Kau, à Approuagne; le P. Le Beller à Macouria, aux Îles et à l'hôpital militaire; les PP.. Buguel et Guyodo à Massa et aux Maroni. Les Pères constatent avec tristesse que leurs prédications auprès des déportés-hommes ne portèrent pas les fruits que l'on eût désiré. Les femmes, au contraire, tinrent toutes à gagner leur Jubilé.

C'est en 1852 que les bagnes de Brest et de Rochefort supprimés évacuent leur personnel sur Cayenne et son territoire. Comme on comprenait alors que seule la religion peut gagner les coeurs, trente Pères de la Compagnie de Jésus furent attachés par le Gouvernement au service religieux de la colonie pénitencière. L'effectif des condamnés s'élevait à 6000.

Cet état de choses se continue, à la satisfaction des intéressés, jusque vers 1878. On comprend bien que le Gouvernement sectaire qui envahissait alors le pouvoir ne sut tolérer de pareils empiètements de "la Congrégation ». Les fameux « décrets » d'expulser les Jésuites. On n'osa pourtant pas supprimer l'aumônier de la déportation. On se contenta de choisir lés aumôniers dans les rangs des missionnaires, en réduisant leur nombre à cinq, puis à trois en 1882, puis à un, puis à rien. Le P. Friedrich et ses confrères, la Mère Anastasie et les Soeurs de St-Joseph, firent entendre de vives réclamations contre des réductions qui équivalaient à la suppression de l'aumônerie. Protestations inutiles, puisque c'était cette suppression elle­-même que l'on voulait. On arriva à une autre, la suppression et l'expulsion des Pères eux-mêmes et des Soeurs de St-Joseph, sans égard à tous les services rendus par eux dans le passé en ces régions infortunées, au sein même. de ces oeuvres qui étaient leurs créations.

- Sur la demande du Conseil général, le Ministère avait enfin mis en demeure les Pères de céder partout la place aux prêtres séculiers. « Les Pères, disait à la distribution des prix du collège laïque le président du Conseil, les Pères, voilà nos ennemis. » Il avait raison, ajoute le bon P. Guyodo. C'est que nous sommes un obstacle à l'assouvissement de leurs passions coupables 1

La sentence de rappel des Pères fut suspendue par l'inter­vention d'un juge autrement puissant et redoutable que les juges d'ici-bas. La fièvre jaune venait d'éclater à Cayenne et dans les pénitenciers. La présence des Pères était là nécessaire. Oh ! ce n'est pas que les administrateurs fussent disposés à seconder leur ministère auprès des moribonds. Ils y mettront plutôt obstacle, jusqu'à empêcher un infortuné gendarme qui, à grands cris, demandait le prêtre, de recevoir cette consolation suprême. Toutefois, le triste Gouverneur d'alors ayant, malgré les défenses, pris la fuite en France, l'accès des fiévreux devient plus facile. Ce n'est ni le P. Friedrich ni aucun de ses confrères qui ont songé ainsi à se soustraire par la fuite au devoir et aux périls du fléau. Partout, à Cayenne, aux Îles, aux hôpitaux, à Mana et à St-Laurent de Maroni, ils se sont sans crainte ni hésitation, dévoués au chevet des malades, le coeur récompensé par la consolation d'avoir préparé la plupart à la grâce d'une mort chrétienne.

Parmi les convertis de l'hôpital de St-Laurent du Maroni, le P. Friedrich cite un jeune homme, jadis élève d'un Petit Séminaire de l'Est, puis sergent-major en Algérie, Hubert Berthin, qui, longtemps, résista aux sollicitations des Soeurs et de l'Aumônier , et finit enfin par se rendre, mais ce fut cette fois avec un tel élan de sincérité, qu'il devint un modèle et un apôtre à' l'hôpital. Le P. Friedrich et lui, d'un commun accord, écrivirent la relation de cette conversion remarquable et la publièrent dans le Messager, de St-Joseph, dans le double but de réparer le scandale donné et de mettre en garde tant de jeunes gens qui ne se défient pas du mal.

Non content de son ministère auprès des déportés, des concessionnaires et des lépreux de l'Acarouani et de la Rivière d'Argent, le bon P. Friedrich aimait encore à se transporter, dans le Haut-Maroni, au sein des tribus sauvages, pour réconforter par les grâces du saint Sacrifice de la messe et des Sacrements les chrétiens de l'île Bustien et de la famille Apatou, auxquels la relation du Dr Crevaux a consacré des pages touchantes, et conquis une certaine célébrité. « C'est au roulement du tambour que matin et soir le chef réunit son monde pour la prière. Nul ne se retire le soir sans avoir reçu sa bénédiction. Arrive le Vendredi-Saint, les plus jeunes vont trouver leurs aînés pour demander pardon de leurs fautes, au nom de Celui qui a demandé pardon pour tous et est mort pour tous sur la Croix. »

Il était heureux en sa relégation de St-Laurent de Maroni, le bon P. Friedrich ! Nous le savons de son confrère d'alors, Mgr Jalabert, qui, en apprenant sa mort, a tenu à exhaler les regrets de son coeur affligé, et plus encore à rendre un témoignage éclatant aux vertus du regretté missionnaire, sa bonté, sa mansuétude, sa régularité religieuse, à son amour du travail, sa piété, son dévouement sacerdotal. Ces vertus, il les a constatées, en a été touché et édifié, durant les années heureuses qu'ils ont passées ensemble en leur Inoubliable Guyane. (Lett. du 20 décembre 1907.)

Cependant, au mois de mars 1887, la fièvre jaune ayant recommencé ses ravages, M. Le Cardinal, Gouverneur de la Guyane, vint faire une visite au Maroni, et remonta le fleuve pour choisir des terrains nouveaux à la rélégation. A son retour à. St-Laurent, le 19 mars mars, M. le Gouverneur donna un dîner aux autorités, et il y réserva la place d'honneur au P. Friedrich. Le lendemain, qui était un dimanche, M. Le Cardinal, avec son cortège, assisté, à la grand'messe. Le P. Friedrich ne manqua pas de faire ressortir ce bon exemple, laissé au personnel administratif et à tous les fidèles de St-Laurent. L'épreuve améliore le coeur humain, et M. Le Cardinal avait été fortement. éprouvé en son passage à Cayenne : Il y avait perdu cinq enfants de la fièvre jaune.

L'année 1888 ramène un redoublement du fléau dans toute la Guyane Notre cher confrère a la désolation de voir son ministère de dévouement et d'apostolat entravé par les caprices des Administrateurs. Il se décide alors àélever la voix. Mais, hélas ! ses réclamations arrivèrent à peine aux oreilles des Autorités supérieures, qui n'y firent aucune réponse ~ effective.

Le P. Friedrich se dévoue ainsi -au service des forçats, déportés, relégués, concessionnaires, étendant son zèle d'apôtre aux indigènes du Haut-Maroni et aux infortunés lépreux ; il continue cet apostolat pendant huit années, aimé et estimé de tous., forçant les éloges et l'admiration des administrateurs eux-­mêmes... Et veut-on savoir la récompense civique qu'il a reçue? Appelé en 1892 par le R. P. Guyodo pour être curé de Cayenne à sa place, il se voit rayer des cadres par M. Grodet, gouverneur intérimaire de la Guyane, qui n'y voulait plus voir que des membres du clergé séculier. Peut-on bien être expulsé de Cayenne ? Eh! oui, deux fois dans les fastes de leur Compagnie, les Jésuites l'ont expérimenté, deux fois aussi les missionnaires de notre Congrégation. L'arrêt d'expulsion fut donc exécuté, au milieu des larmes des missionnaires qui partaient, des fidèles qui les perdaient. Aujourd'hui, vingt ans après, ces regrets sont encore inconsolés. Quand au bon P. Friedrich, son esprit de soumission et de résignation au milieu de ces épreuves l'éleva à la hauteur des saints. Il ne sortit de ses lèvres que des paroles de consolation pour tout ce peuple, éploré de son départ. Le 1er juin 1892), le. T. R. Père lui' envoya son obédience pour Lima. Il avait passé 17 ans dans la Mission de la Guyane Française, entouré de l'estime universelle des prêtres et des populations, mis en quelque sorte àl'ordre du jour par les éloges réitérés des chefs de la colonie, cher à Dieu par­dessus tout, à cause de ses vertus et de ses travaux apostoliques pour le salut des âmes.

2. - Le R. P. Friedrich à Lima.

En janvier 1892, un autre expulsé de Cayenne, 1e R. P. Jules Brunetti, avait été envoyé par le T. R. P. Emonet à Lima pour une fondation de grande importance. Collège, paroisse, aumô­ neries diverses, c'était tout un groupe d'oeuvres qui réclamaient de nombreux et solides dévouements. Pour seconder le Supérieur avec la qualité de premier assistant, le P. Friedrich fut choisi, et rallia directement son nouveau poste en juillet de cette même année 1892. Il remplit au collège du St-Esprit qui se fonde les fonctions d'économe, et aussi de professeur. Ce collège, ouvert surtout pour les élèves de la colonie française de Lima, allait, avant le succès, connaître des embarras bien gênants : personnel insuffisant, locaux trop étroits, manque absolu de livres classiques appropriés aux besoins des élèves, enfin, pour comble de malheur, professeurs et élèves ne sa comprenant pas. Les premiers, en effet, ne parlent que français, et les seconds, bien que d'origine française, au moins pour la plupart, n'entendent que le castil­lan. Voit-on les tracas d'un économe à qui revient en définitive la solution- de beaucoup de ces problèmes? Et pourtant le suc­cès vient rapide et brillant, avec 110 élèves en 1893, 160 en 1894, 200 en 1895, etc.

Le P. Friedrieb ne se confina pourtant pas dans ces soucis de l'intérieur du collège, quelque absorbants qu'ils fussent. Il est encore aumônier de la «Maison de Santé », bel hôpital français, qui possède pour son service religieux une superbe chapelle, N.-D. de la Guadeloupe. Là s'exerce, et à l'intérieur de l'hôpital près des malades, et auprès des fidèles qui accourent du dehors, un ministère des plus fructueux, avec deux messes chaque dimanche, des instructions, le saint rosaire et la bénédiction du St-Sacrement.

Sa charité allait trouver à s'exercer au sein même de la Com­munauté. Les 17, 18 et 19 mars 1895, Lima est le théâtre d'une affreuse guerre civile. Le collège est au centre même de la sanglante boucherie. Une ambulance est sur-le-champ établie dans la maison par les soins du P. Friedrich, et tous se dévouent, en qualité de brancardiers, d'infirmiers, et surtout d'aumôniers. Deux cents blessés y reçoivent soins et pansements ; et les vingt-six qui y meurent des suites de leurs blessures demandent tous, sans exeption, les derniers sacrements. A cette occasion M. Wagner, consul de France à Lima, remettait, le 17 novembre, les palmes académiques au P. Jules Brunetti, « décorant en sa personne tous ses confrères pour leur noble conduite pendant les troubles, et la part impor­tante prise aux préliminaires de la paix ».

Cependant, le R. P. Libermann avait passé quelque temps en 1894, dans la Communauté de Lima, en qualité de visiteur; et sa connaissance approfondie des hommes et des choses lui fit vite discerner le mérite du P. Friedrich. A cette époque, son nom fut même porté sur la liste des trois sujets présentés au St-Siège pour succéder à Mgr de Courmont en qualité de Vicaire apostolique du Zanguebar. Rappelé en France en septembre 1896, il devait coopérer à la fondation d'une autre oeuvre plus pénible que toutes celles où son zèle s'était exercé et n'avait fait que grandir : l'Amazonie.

3. - Mission de l’Amazonie.

Le personnel de la Mission nouvelle, savoir, le R. P. Libermann, les PP. Friedrich et Parissier, avec le F. Donatien, les M ~Berthon et Wirtz, de Belem, et les FF. Tite et Bertin, qui devaient ensuite se joindre à eux, s'embarquèrent à, Lisbonne le 13 avril 1897. Ils sont à Manâos le dimanche 23 mai. Manâos, située sur la rive gauche du Rio Negro, par 31, 9' L. S., est une ville de 50,000 âmes, récemment érigée en évêché, avec Mgr Aguiar pour premier titulaire, c'est la capitale de l'État des Amazones. Elle compte trois paroisses, la Cathédrale, N.-D. des Remèdes et Sâo Sebastiâo. Cette dernière fut confiée à notre Congrégation, et le P. Libermann y installa sur-le­champ le P. Friedrich comme curé et supérieur de la Communauté, composée, avec lui, du P. Parissier et Wirtz et du F. Urbano.

La paroisse de Sâo Sebastiâo était sans prêtre depuis trois ans. Les Franciscains avaient cessé de la desservir depuis 1894. Les Pères se mirent résolument à l'oeuvre pour faire revenir les fidèles à la pratique de leurs devoirs religieux. Le plus grand soin fut donné aux offices, au chant et à la musique, à la prédication, à l'administration des sacrements, à l'ornementation de l'église, qui, du reste, est un monument vaste et gracieux. Les fidèles ne manquèrent pas d'accourir. Ils vinrent en foule, surtout, aux fêtes de St-Sébastien et de Noël, auxquelles on s'ingénia à redonner leur ancien éclat, avec procession àtravers la ville, salut et Te Deum solennels. Le concours fut immense.

Entre temps, les Pères se mirent à visiter régulièrement l'hôpital, qui comptait une moyenne de 100 à 150 malades. Les Soeurs italiennes de Ste-Anne qui en avaient le soin, étaient aussi chargées de l'Orphelinat Benjamin-Constant, où elles élevaient, avec les subsides du Gouvernement, une centaine d'orphelines. Le P. Friedrich trouva dans ces oeuvres un bel aliment à son zèle, comme aussi auprès des varioleux du Lazaret; car, jusque-là, on songeait bien aux secours médicaux, mais peu au ministère du prêtre.

Les grand'routes de ces vastes pays étant les fleuves, le moyen pour les missionnaires d'arriver à évangéliser les populations, c'était d'avoir un bateau à vapeur pour parcourir les voies fluviales. Telle était, on se le rappelle, l'idée de Mgr de Macédo, qui n'avait pu la réaliser. Sur ces entrefaites, une somme de 10,000 francs est offerte à Mgr Le Roy, pour une mission, « fùt-ce, disait-on, celle des Amazones. » Secours providentiel! Une lanche à vapeur est achetée aux États-Unis, amenée aux Amazones par le F. Bertin et baptisée le 21 avril, par le P. Friedrich, du nom de Christophoro, en souvenir du grand évêque de Para; et vogue la lancha Christophoro sur les immenses rios de l'Amazonie.

Au Christophoro vint se joindre, l'année suivante, l'Ida, chaloupe àvapeur toute en acier, confiée surtout aux soins entendus du P. Kermabon. Nos missionnaires purent dès lors naviguer sur le Solimôes et le Rio Negro, le Jurua, le Japura et autres affluents du grand fleuve. .

En 1901, le P. Friedrich prend la direction de la Communauté du St­Esprit de Teffé, autre fondation du R. P. Libermann. C'est un terrain de huit kilomètres de long sur trois de profondeur, au confluent de la Rivière Teffé avec le Solimôes. On y a fondé un Orphelinat agricole qui compte bientôt 80 enfants. Dès la première année, 25 hectares de forêt ont été mis en culture.

La rentrée du P. Libermann en France avait laissé le P. Friedrich supérieur principal des diverses oeuvres le l'Amazonie. La succession n'était pas facile, car il faut reconnaître que en ce moment-là, on sentait le besoin d'une direction, mélangée à la fois de fermeté et de conciliation. Mgr Aguiar, si avenant dans les débuts, s'était laissé circonvenir par un P. Jésualdo Machetti, de l'ordre des Franciscains, qui l'avait amené à confier à des Pères de son ordre la paroisse Sâo Sebastiâo. L'église avait d'abord été fermée, sous le prétexte de réparations urgentes, et par là même nos confrères avaient été congédiés. Mais les bons Pères franciscains, mis bientôt au courant du réel état des choses, s'empressèrent de battre en retraite. Seul resta le P. Jésualdo, que tant de tracas affectèrent au point de le rendre fort malade. Retiré à l'hôpital, il eut la grâce de voir accourir à son chevet le. P. Wirtz, qui fut assez heureux pour lui apporter, avec le pardon de ses fautes, celui de nos confrères dont ses menées avaient causé le départ.

Mgr Aguiar se rapprocha alors de nos Pères. Deux fois, en 1901 et 1903, le P. Friedrich accompagna Sa, Grandeur dans ses excursions apostoliques sur le Coary et le Rio Negro. Puis il donna seul une véritable mission dans le Coary, où il récolta les fruits de salut les plus abondants : 81 baptêmes, 9 mariages et un grand nombre de confessions et de communions. Les baptêmes s'élevèrent à près de 300 dans le Rio Negro, les confirmations à700. Qu'il est donc à regretter que ce bien, fait en passant, ne puisse se continuer au moyen de missions ou de paroisses fixes et permanentes 1

En mai 1903, Monseigneur prend encore avec lui le P. Friedrich pour une visite aux limites extrêmes de sa juridiction, jusqu'à Tabatinga, forteresse commandée par un Capitâo qui reste là, avec sa famille, à la tète d'une douzaine de soldats pour la défense des frontières. Les fruits de cette longue course furent 413 baptêmes et 527 confirmations.

En décembre de la même année, notre dévoué confrère entreprend 'Seul une excursion le long du Solimôes et jusqu'au Haut-Javary. L'inondation, très forte en cette saison, lui permet de pénétrer jusqu'aux dernières habitations. Il remonte même l'Itecobha, jusqu'en des régions qui n'avaient jamais vu de prêtre. Il y fait 550 baptêmes et 43 mariages. Mais la fièvre l'y saisit et le réduit au point de nécessiter le remède suprême du retour en France, en juillet 1904.

Il fut alors question à Rome de délimiter, dans ces immenses régions de l'Amazonie, quelques territoires de missions qui seraient érigées en préfectures apostoliques, et confiées à des Congr égations de Missionnaires. Ces projets n'aboutirent pas, et notre mission reçut, par un accord avec Mgr Frederico Costa, successeur de Mgr Aguiar, une organisation nouvelle
le P. Friedrich n'y devait pas retourner.

4. - La dernière étape : Weert en Hollande.

Par décision du 3 mai 1906, il est nommé Supérieur de la Communauté du St­Esprit de Weert, la dernière étape de son pélerinage ici-bas. C'est une école apostolique encore à son berceau : elle ne date que du ler septembre 1904.



Le bon P. Friedrich se dévoue à son oeuvre nouvelle, mais en ayant soin de faire ressortir toute son incompétence. Il envisage toujours l'Amazonie, d'ailleurs, comme sa mission propre. « Je voudrais bien, écrit-il en novembre 1907, un mois avant sa mort, aller retrouver ma croix de missionnaire, mon livre de profession, mes trois volumes du bréviaire et mes autres petites affaires personnelles que, dans mon départ précipité des Amazones, j'ai dû laisser là-bas.

Qu'est-ce qui doit me retenir dans ces pays d'Europe, où je me vois incapable de tout travail utile, alors que les chaleurs tropicales me rendent encore quelque vie? Je pourrais consacrer mes forces dernières au bien des pauvres âmes en ces milieux où s'est écoulée mon existence. Il ne restera alors qu'à déposer mon corps épuisé sous quelque palmier des forêts vierges, pour dormir mon dernier sommeil à, côté d'autres confrères qui ont sacrifié leur vie pour le salut des âmes. » (Lettre du 13 nov. 1907, à Mgr Le Roy.)

Hélas, plus tôt encore qu'il ne le pensait, l'heure du dernier sommeil allait sonner pour le, vaillant missionnaire, et sans 8 que lui fût donnée la consolation de « reposer sous le palmier son corps exténué ».

Une lettre du P. Stein nous le montre alors réduit à un étai de fatigue et de maigreur effrayante. « Il ne peut plus réchauffer ses membres, usés dans les labeurs de l'apostolat. » Mais jusqu'au dernier'moment il a travaillé, sans jamais s'accorder les soins qu'exigeait son état de faiblesse et d'épuisement.

Le P. Andriès, qui lui rendit les devoirs suprêmes, et le P. Trilles, accouru de Lierre à la nouvelle de la gravité de sa maladie, vont nous fournir des détails pleins d'édification sur les derniers moments du bon P. Friedrich.

Le mercredi 20 novembre, le cher Père ressentait les premières atteintes du mal qui devait l'enlever si promptement. Le P. Andriès lui propose de faire venir le médecin. - « Bah 1 répond le malade, que fera-t-il, le médecin ? » Il fut pourtant appellé dans la maison, mais c'était pour un élève atteint d'une angine. On le pria de passer auprès du P. Supérieur. L'auscultation révèle un gonflement démesuré de la vésicule biliaire et du foie. « N'avez-vous jamais éprouvé de crise hépatique? - Non, docteur. - Eh bien, attendez-vous à une prochaine crise qui s'annonce assez forte. »

La crise vint vers les 2 heures du jeudi matin. Le P. Andriès, voyant empirer le mal, propose les derniers sacrements. « Demain, répondit le malade, c'est vendredi : bon pour se confesser. » Sur l'insistance du Père, il se rend : «Puisque vous le voulez, dit-il, oui, aujourd'hui. » Et après une pause, il ajoute : « Demain vendredi, je mourrai, et samedi, la Sainte Vierge viendra me délivrer du Purgatoire. »

Le P. Trilles, qui arrivait à l'appel du P. Andriès, entendit la confession -générale du malade ; puis, comme celui-ci. tenait à être à jeun pour communier, on attendit minuit pour administrer le saint Viatique, en présence de la Communauté, puis l'Extrême-Onction. Il répondit encore aux prières des agonisants, conservant sa connaissance jusqu'à une demi-heure avant sa mort, et offrant ses souffrances et sa vie pour les missions, pour l'Amazonie, pour le Congo, pour la Congrégation. Il rendit le dernier soupir vers 11 heures un quart de la matinée du vendredi, ainsi qu'il l'avait annoncé.

Les funérailles eurent lieu le lundi en grande solennité dans l'église paroissiale. Le P. Acker, compatriote et ami du défunt, les présida. A côté des Pères se rangeaient un grand nombre de prêtres de la ville et des environs, accourus pour joindre leurs prières aux nôtres, et nous donner cette nouvelle preuve d'une sympathie qu'ils ne nous marchandent pas. Et le palmier à l'ombre duquel le bon P. Louis Friedrich dort son dernier sommeil est le palmier sacré de la sainte et adorable volonté du bon Dieu, règle constante de sa vie religieuse, de son apostolat si fructueux, de sa maladie dernière, pendant laquelle il répétait si doucement ces mots : « Oui, mon Dieu, comme vous le voulez! »

« Qui fecerit et docuerit, hic magnus vocabitur in regno coelorum. » MATTH., V, 19.
A. Limbour..

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