Le Père Alfred GARNIER,
décédé à Mayumba, le 14 juin 1915,
à l'âge de 51 ans.


Alfred Garnier, l'un des plus jeunes d'une famille de neuf enfants, naquit à Champdivers (Jura), le 10 mars 1864. Deux de ses frères seront prêtres et un autre Frère des Écoles chrétiennes. Ordonné prêtre, avec une dispense, à 22 ans, il fut placé comme vicaire à Sellières, puis à Salins-les-Bains.

A deux reprises, il alla frapper à la porte du noviciat de la congrégation du Saint-Esprit, à Orly, mais il s'y trouva tellement dépaysé au milieu de tant de nationalités différentes, qu'arrivé le matin, il reprit le soir même le chemin de sa paroisse. Une troisième fois enfin, il vainquit résolument toutes les résistances de la nature, commença son année de noviciat le 1er octobre 1891 et fit profession le 2 octobre 1892. A la fin de ce même mois, il s'embarqua, à Marseille, pour le Congo.

Mgr Carrie l'envoya à Mayumba, remplacer à l'école le F. Hildevert. Deux ans après, il commença son ministère dans les environs de la mission, puis il entreprit ses grandes tournées qui duraient des mois entiers, au milieu de populations qui n'avaient encore jamais vu d'Européens. À son arrivée dans les villages, tous fuyaient ou se montraient menaçants ; mais la bonté du P. Garnier les apprivoisait vite et il faisait parmi eux de bonne besogne.

Au gens de la brousse il réservait la saison sèche ; la saison des pluies se passait à évangéliser les popuations côtières. Ce fut sa vie, pendant dix ans, à part un court séjour à Bouenza, où il remplaça le P. Schmidt et un autre d'une année, à Boudianga où il aida Mgr Carrie à la fondation de cette station. Ainsi, il fut à la fois l'apôtre des Vilis, des Loumbous, des Yakas, des Nzabis, des Kotas, des Bembés et des Yombés. On s'imagine le travail qu'il dut fournir pour s'assimiler tant de dialectes différents. Il y excellait pourtant, connaissant parfaitement le vili, le loumbo et le yaka.

Les quinze jours de repos qu'il prenait entre chaque voyage, étaient utilisés à la composition de livres en langue indigène. Nous avons de lui les catéchismes en vili, loumbo et yaka ; une explication du catéchisme, un syllabaire, des tableaux de lecture, des traductions de cantiques. Ces ouvrages furent, pour la plupart, imprimés à Loango ; certains le furent par lui-même, à l'aide d'une petite presse à main.

Par la guerre qu'il faisait aux fétiches Mboio et Moueri, il était arrivé à les faire disparaître presque tous de la lagune de Mayumba et à ruiner l'influence des sorciers. Parmi ces fétiches, il y en avait un, le Ndoumi, qui était la terreur du pays, car il faisait un grand nombre de victimes. C'était un vieux canon portugais. On ne pouvait, disait-on, passer la rivière, à l'endroit où il était caché, sans être noyé et, quiconque était voué à Ndoumi était infailliblement condamné à mart.

Le P. Garnier, renseigné par un enfant qui, tout jeune , avait été contraint de nettoyer avec ses dents le chemin du fétiche, arriva à l'heure de midi, quand les gardiens faisaient la sieste et s'empara du fameux canon. Dans sa tournée suivante, il promena, triomphant, dans tous les villages celui qu'on ne pouvait approcher sans mourir. Ce fut une grande victoire sur le fétichisme et une irréparable ruine pour le sorcier.

Un si vaste territoire ne pouvait être évangélisé qu'à l'aide de coopérateurs indigènes. Ce fut le talent du P. Garnier d'avoir su se servir de ses catéchistes. Il en avait une vingtaine que, chaque année, à Noël et à Pâques, il réunissait à la mission. Il y avait alors, pendant une ou deux semaines, parfois trois, cents enfants de plus à nourir. Le père, aidé de l'abbé Maondé, leur faisait passer l'examen et s'occupait ensuite de la formation des catéchistes à qui il prêchait la retraite. Certains de ces auxiliaires, de la tribu yaka, où il n'y avait pas eu d'école, ne savaient pas lire. Pour les instruire, le P. Garnier avait inventé tout un système d'hiéroglyphes sur de grands tableaux et, par la même méthode, le catéchiste enseignait ses enfants.

C'était merveille d'entendre tous ces petits Noirs, venus de la brousse, chanter dans leur langue les mêmes airs populaires. Car le P. Garnier était musicien dans l'âme et savait ingénieusement adapter à chaque cantique des paroles simples et pieuses. Il avait aussi formé, à la mission, une petite schola cantorum qui, les jours de fête, exécutait, à plusieurs voix, les motets des meilleurs auteurs.

Rarement malade, le P. Garnier, qui n'avait fait qu'un retour en France en 1902, subit, en 1910, une forte bilieuse hématurique qui anémia profondément sa constitution robuste. En 1912, à bout de forces, il se décida précipitamment à partir. Un séjour à Fribourg lui fut favorable, mais, trop pressé de reprendre son travail, il revint prématurément.

De retour à Mayumba, assez fort et gaillard au début, il perdit rapidement ce qu'il avait gagné. Il se plaignait sans cesse du froid et se fit, de plus en plus, homme d'intérieur.

En mai 1915, la faiblesse augmenta et, au début de juin, il eut le pressentiment de sa mort prochaine : aux Européens qui venaient le visiter, il disait qu'il s'en allait peu à peu vers l'éternité. Le 10 juin, il fut pris d'étouffements et d'une grande faiblesse. Il demanda l'extrême-onction et M. l'abbé Ngouassa s'empressa de le satisfaire, en présence de la communauté, des séminaristes et des postulants. Au matin du 15 juin 1915, le P. Garnier rendait son âme à Dieu. -

Léon Loucheur

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