Le P. Emile GATTANG
décédé à Morogoro (District de Bagarnoyo), le 18 août 1954,
à l'âge de 80 ans et après 56 années de profession.


C'est un travail fort intéressant que de feuilleter un dossier de confrère comme celui du Père Gattang. Il n'est pas très fourni: pas de plain­tes, pas de discussions; les pièces qui proviennent du Père sont pleines de belle humeur; pas même de longs exposés de ses travaux ou de ses peines; il ne se soucie pas de raconter sa vie. Lui eût-on demandé ce à quoi il visait, il vous aurait répondu simplement: «Je fais ma besogne comme chacun doit la faire». Rien ne l'étonne parce qu'il est constamment à son devoir.

Au bas des pièces officielles contenues dans ce dossier, on est heureux de trouver les signatures de ceux qui comptent parmi les meilleurs do nos maîtres dans la formation de nos missionnaires des cinquante dernières années: les PP. Xavier Libermann, Jean-Baptiste Pascal, Phi­lippe Kieffer, Vanhaeke, qui tous s'accordent à louer l'aspirant, sans réserve, mais avec cette modération qui est le signe d'une conviction bien fondée. ..

Emile Gattang naquit à Mackenheim, dans le Bas-Rhin, le 8 no­vembre 1873. Le curé de la paroisse, voyant les bonnes dispositions du jeune homme pour le sacerdoce et la vie religieuse, le fit entrer à Beauvais. C'est là qu'il fit ses premiers débuts dans l'étude du français et du latin. Puis il passa à Mesnières.

Au cours de ses études, comme au noviciat, ses notes sont excellen­ts; un seul point faible est signalé: «il n'atteint pas dans ses allures à la gravité de certains de ses confrères», mais on lui reconnaît par ailleurs suffisamment de qualités pour que cette ombre n'atténue en rien la va­leur d'ensemble.

Il fit ses études ecclésiastiques à Langonnet, puis à Chevilly avant d’entrer au noviciat. Il fut, en effet, l'un des derniers parmi nous qui eurent à se soumettre aux prescriptions du décret « Auctis » exigeant la profession religieuse avant l'ordination sacerdotale.

Emile Gattang émit ses premiers vœux, à Grignon, le 2 janvier 1898. De la centaine de profès de ce jour, il ne reste plus, guère que quelques unités en vie.

Après la profession, ce fut ensuite le montée accélérée vers le sacerdoce: sous-diacre, le 7 juillet suivant; diacre, le 8 octobre; prêtre enfin, le 28 octobre. Et le 11 juillet 1899, le P. Gattang faisait sa consécration à l'apostolat. Le nouveau missionnaire, désigné pour la Côte Orientale d'Afrique, allait y travailler 55 années durant.

Cette notice demanderait des pages, car le, P. Gattang, par son long séjour en mission, unit au présent un passé qui nous est connu par les récits si attachants de Mgr Le Roy.

La Mission de la Côte Orientale fut confiée à la Congrégation il y a 90 ans et plus; le P. Gattang y a vécu plus de 50 ans. Affecté d'abord à Mandera, en septembre 1899, le Père passera successivement à Ma­tombo, Bagamoyo, où il fut chargé de la Procure, puis pour la seconde fois à Matombo comme supérieur de 1904. à 1914; à Bagamoyo, pendant les hostilités, de 1914 à 1917; et de nouveau à Matombo, de 1917 à 1927; à Bagamoyo, de 1927 à 1933; à Ndanda, de 1939 à 1947; enfin à Mhonda en 1947. On trouvera, dans la collection du Bulletin Général, les jalons de la carrière du P. Gattang. Le Père avait bonne plume, mais il a laissé trop peu de lettres aux Archives. Voici pourtant comment il ra­conte à Mgr Le Roy son premier contact avec les gens de Mandera (1 ler juillet 1900):

«Je me plais très bien à Mandera, l'humble station fondée après un rêve fameux du vieux Kingaru, et que vous avez vue jadis en revenant de votre intéressant voyage au Kilima-Ndjaro; vous avez vu ses collines séparées par des ravines à l'eau salée; vous avez vu son terrible soleil, tout autre ici qu'au lac Thibet. Vous avez vu aussi sa bonne petite chré­tienté et les indigènes entêtés dans leurs superstitions et leurs sempi­ternels palabres. La famine est venue et a jeté la désolation dans le pays. La moîtié des habitants sont morts; les autres ont fini par mettre leur confiance dans la Mission et se font baptiser. Une conversion impor­tante a été celle de Kingarou Abadi, aujourd'hui Louis Henry. C'est un excellent chrétien qui assiste presque tous les jours à la messe et à la prière du soir, et qui prêche le catéchisme à tous les vieux, surtout aux polygames, et veut sans doute leur faire goûter les joies et les douceurs familiales qu'il éprouve depuis qu'il n'a plus qu'une moitié, lui qui en avait trois auparavant. «Pour moi, je me plais fort bien ici. Il y a bien les fièvres; mais je me plaindrais surtout des maux de tête. Qu'importe ! Il faut s'at­ tendre à tout en venant en Afrique; je ne regrette rien; je me suis donné à Dieu pour toujours!..»

C'est dans ces réflexions que le Père enveloppe sa demande de vœux perpétuels.

En 1946, il raconte son voyage à Naïrobi, à l'occasion du sacre de Mgr Mac Carthy. Il accompagne Mgr Joachim, bénédictin:

«Nous avons fait les deux mille kilomètres sans accroc de machine. Mais trois fois une boue glissante s'est trouvée pour tempérer l'ardeur des chauffeurs. A une montée particulièrement raide, à fond glissant, nous nous trouvions bien dans un brin de dangers: d'un côté, les mon­tagnes, de l'autre, le précipice. Mgr Joachim nous dit, aux boys et à moi: «Je crois qu'il vaut mieux que vous descendiez et alliez à pieds; en cas de dégringolade, il suffit bien qu'un seul, - le chauffeur - en­caisse les avaries plutôt que quatre. Nous n'étions pas d'humeur à pa­tauger dans la boue, à 9 heures de la nuit. Les deux boys dirent: «Eh! essayons encore: Dieu existe!» Et Monseigneur de me dire: «Bien! je tiens le volant de mon mieux, et vous, Père, tenez votre chapelet et priez!» Et tout alla, sinon bien, du moins sans culbute».

Dans ce simple épisode paraît le caractère du Père, à la fois jovial et confiant en la Providence. Ainsi en fut-il toute sa vie; ainsi lui fut-il donné d'atteindre dans la joie sa cinquante-quatrième année de mission!

Le P. Gattang se fit un devoir d'éditer à nouveau, quand il en était besoin, les livres de piété du P. Sacleux. En 1952, il en fut vivement félicité par le Cardinal Préfet de la Propagande: c'était continuer une tradition qui remonte aux premiers missionnaires de la Côte Orientale. A ce sujet, le Père écrivait au R. P. Navarre: «J'ai été bien surpris et même confus de recevoir votre copie de la lettre de remerciements et félicitations du Cardinal Préfet de la Propagande! Ces félicitations ont manqué un peu leur adresse, les neuf dixièmes du texte sont du R. P. Sacleux. Naturellement je souhaite aussi que le livre aille entre les mains de beaucoup de gens de langue swahilie; je prends même une part, bien petite , des bénédictions de l'éminent Cardinal Préfet.

«Il se trouve dans le livre des fautes d'orthographe, ou mieux, contre l'orthographe nouvelle qui a été introduite par un comité interterritorial. C'est regrettable: l'ancienne édition était à l'orthographe ancienne. Mais cela ne dérangera guère les lecteurs indigènes ... »

Le Père termine sa lettre par un curieux souvenir recueilli au hasard d'une conversation. «Il y a ici une Soeur du Précieux Sang polonaise. Un jour, elle a vu le nom du P. B., dans les Annales, je crois, et elle me dit: «Ce nom m'est bien connu, c'est mon nom de famille! - Comment, lui dis-je, pouvez-vous avoir un nom si français? - Cela vient, dit-elle, de Napoléon! Quand vos soldats sont revenus de Russie, bon nombre étaient malades, exténués, ne pouvant aller plus loin. Un, B. est resté en arrière, a été soigné, et après sa guérison est resté en Pologne, s'est marié.. . et me voilà! Le B. était mon arrière-grand-père. La famille est très catholique et il y a de ses membres qui sont Sœurs du Précieux Sang».

Ainsi vieillissait le P. Gattang, dans la fraîcheur de ses impressions de jeunesse, sans retour en soi, comme le font volontiers les vieux. Lui, il s'intéressait à tout ce qui se passait autour de lui. Il mourut à Moro­goro, le 18 août dernier, après avoir travaillé sans relâche pendant cin­quante cinq ans dans la même région et avoir tenu utilement sa place.

L'un de ses confrères de Kiléma nous donne les détails suivants sur les derniers moments du Père:

«Le 27 juillet, il avait quitté sa mission de Kivungilo en compagnie du médecin. Après avoir voyagé toute la nuit, il arrivait à Morogoro, à 6 heures du matin, et dans l'après-midi du même jour, il poursuivait sa route jusqu'à Dar-es-Salam où il devait subir une opération à l'oeil. Là, on lui dit que la cataracte n'était pas suffisamment mûre. Mais il est plus probable que le docteur, vu l'âge et l'état du cœur du Père, a hésité à faire l'opération. Le Père se rendit donc à Kurasini, chez les PP. Bénédictins, en attendant de retourner à Morogoro. Dans la nuit du 28 juillet, il fut pris d'une violente crise d'asthme cardiaque causée par les fatigues de son long voyage. Quand,il fut de nouveau transpor­table, le médecin qui l'avait amené de Kivungilo le ramena à Morogoro. C'est là que le Père Gemberlé vint le visiter.

« Le 8 août, le docteur fit transporter le malade à l'hôpital de Morogoro où il fut immédiatement soulagé et pu avoir quelques heu­res de sommeil. Mais ce ne fut qu'une courte accalmie et il fallut songer aux derniers Sacrements que le malade reçut en pleine connaissance, répondant lui-même aux prières rituelles. ..»

Désormais, il repose au cimetière de Morogoro, près d'un autre grand missionnaire et ancien élève de Mesnières, Mgr Aloyse Munsch.

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