LE PÈRE ISIDORE GEHRÈS
de la Province de France
(1864-1913)
(Not. Biog. V p. 397-398)


Le lundi 3 mars 1913, ont été célébrées, à la cathédrale de Monaco, les Obsèques du Père Isidore Gehrès, secrétaire de l'Évêché. Une nombreuse assistance, tout le clergé de la Principauté, diverses communautés, et l'orphelinat dont le Père Gehrès avait été le dévoué chapelain, s'étaient réunis pour donner au sympathique religieux la marque suprême de l'estime qu'il avait su, en bien peu de temps, gagner dans toutes les classes de la société. Même le gouvernement du Prince s'était fait représenter, et Mgr du Curel, retenu au loin, avait écrit son vif regret de ne pouvoir assister à l'enterrement.

Ce bon religieux semblait avoir pris pour devise le mot de saint Bernard : « Lucere vanum, ardere parum, lucere et ardere perfectum. » Modeste et actif, il était aimable et serviable pour tous. Qui n'a rencontré, dans la Principauté, et dans les localités voisines, de Nice à Vintimille, l'avenant archiviste, au gracieux sourire, aux réparties originales et pleines d'à propos, se multipliant à l'occasion pour obliger chacun, et paraissant jouir personnellement du contentement qu'il ne cessait de répandre autour de lui ? Mgr du Curel, qui appréciait hautement ce caractère fait d'un heureux mélange de discrétion et de franche cordialité, le prenait souvent pour compagnon de voyage ; et c'était un plaisir d'entendre au retour le Père Gehrès narrer avec une pétillante précision mille particularités curieuses sur les pays visités.

Le cher Père, alsacien d'origine, était né de parents très chrétiens, le 13 octobre 1864 à Zinswiller, (Bas-Rhin). Après la mort de son père, en 1877, il fut amené par un sien cousin, le Père Rumbach, à l'abbaye de Notre­Dame de Langonnet, où il fit toutes ses études secondaires, mais non sans détriment pour sa frêle et délicate santé. Des bronchites, des pneumonies, dont l'une le conduisit jusqu'au seuil de la tombe, signalaient déjà le point faible par où la mort devait le prendre plus tard.

C'est à Chevilly qu'il fit sa théologie. Là même aussi, dès après sa profession (1889), il fut employé comme professeur d'histoire et de droit canonique. Mais l'année suivante il s'embarquait pour Haïti : il devait y enseigner à Port-au-Prince tantôt les sciences, tantôt les langues. En 1895, nous le trouvons en Portugal. C'est là qu'il passa la plus grande partie de sa vie religieuse, presque toujours professeur, soit à Formiga, soit à Braga, soit à Porto, soit même aux Açores. Brusquement expulsé du pays lors de la révolution de 1910, il revint en France, prêt à faire de nouvelles campagnes, où l'on voudrait. Or il reçut son obédience pour Monaco : et ce lui fut une délicieuse compensation pour ses peines d'antan.

Mais combien peu dure la saison des fleurs épanouies ! Il n'y avait guère plus de deux ans que le cher Père faisait là joie de son entourage, lorsque le Seigneur jugea bon de le ravir à l'affection de ses confrères. Le 16 février 1913, le Père Gehrès prit froid en se rendant à l'église Ste-Dévote. Dur à lui-­même, et du reste assez indépendant pour la manière de se soigner, il se déclarait guéri quatre jours, après. Malheureusement le 24 il se sentit plus mal : c'était sa vieille pneumonie qui revenait. D'urgence, sur l'avis du médecin, il fut transporté à l'hôpital. Peu après, il reçut l'Extrême Onction et le saint Viatique. Jusqu'au dernier instant il garda toute'sa connaissance, et aussi cette amabilité et cette douceur de caractère qui supposaient tant de vertu. - « Eh bien, mon Père, lui disait la Soeur de charité qui le veillait, désirez-vous guérir , ou préférez-vous aller voir tout de suite le bon Dieu ? » - « Oh ! cela m'est égal, répondit l'agonisant, comme le bon Dieu voudra ! » Telles furent ses dernières paroles. Il mourut paisiblement, au soir du Samedi ler mars, jour à la fois consacré à la très sainte Vierge et à saint Joseph.
P. Thierry.

Page précédente