P. Victor GERMANN.

Une lettre du R. P. Girard, Supérieur Principal de la Guadeloupe, nous donne queques détails sur la mort du

Le mercredi 6 juin dernier, le Père Germann, curé de Capesterre (Marie-Galante) mettait en ordre son frigidaire. Au cours des manipu­lations de cet appareil, il avait renversé pas mal de pétrole sur sa soutane. Comme il passait près d'une flamme, la soutane prit feu. En voulant éteindre ce feu, le Père se brûla horriblement les mains, et ne parvenant pas à se débarrasser de sa soutane, il alla finalement se rouler dans l'herbe où on lui porta secours. Mais hélas! des genoux à la poitrine, ce n'était que brûlures affreuses.

Tout de suite, on transporta le Père à l'hôpital de Grand-Bourg où le P. Blanc se rendit aussitôt et nous avertit par télégramme de l'accident, télégramme que nous ne reçûmes que le lendemain.

Les Soeurs de Saint-Paul de Chartres et les docteurs de l'hôpital soignèrent le Père avec beaucoup de dévouement, mais le diagnostic réservé du médecin ne laissait pas grand espoir.

Le jeudi matin, le P. Barbotin, curé de Saint-Louis, troisième pa­roisse de Marie-Galante, accourait et se prêtait à une transfusion de sang.

Vers midi, le Père fut extrémisé, en pleine connaissance, répondant lui-même à toutes les prières. La soirée semblait un peu meilleure. Mais vendredi matin, vers 2 heures, le Père entrait dans le coma et rendait le dernier souffle à 6 h. 45, tandis qu'à son chevet le P. Blanc récitait les prières des agonisants.

« Quand j'arrivai à 10 h. 30 en compagnie du P. Schweitzer, écrit le R. P. Girard, je compris avant d'accoster, au signe que me fit le P. Blanc, que c'était trop tard. Il fallut se contenter de quelques prières auprès du cadavre de mon vieux compagnon de noviciat, que le Bon Dieu venait de rappeler à lui en pleine force de l'âge. Il avait 52 ans et un mois.

« Son cercueil fut transporté à Capesterre, et c'est là, au milieu de ses paroissiens qui l'aimaient et le vénéraient, qu'il repose dans la paix du Seigneur... Les paroissiens ont offert beaucoup de messes pour le repos de son âme et à travers toute la Guadeloupe des services sont célébrés pour lui. La Désirade ne l'oubliera pas.. Monseigneur, retenu par sa tournée de confirmation, ne put aller à Marie-Galante, mais nous savons tous sa grande peine. » -

Comme on l'indiquait plus haut, c'est à Hattstatt, près de Colmar, que naquit le P.Victor Germann, le 8 mai 1899. Il fit profession à Neufgrange, le 25 septembre 1921, fut ordonné prêtre à la Maison-Mère, le 28 octobre 1925 et fit sa consécration à l'apostolat, à Chevilly, le 11 juillet 1926.

Sa première obédience fut pour l'Angola, et c'est de Lisbonne qu'il s'embarqua pour la Lounda, le 17 décembre 1926. Après une année passée à Libollo, avec le P. Georger comme supérieur, il fut placé successivement à Malange, de 1927 à 1929, à Mussuco, de 1929 à 1932, et revint ensuite à Malange, comme procureur, de 1932 à 1935 Après son premier congé en France, il fut envoyé à la Guadeloupe. Il avait en effet manifesté son désir au T. R. Père d'être au service des lépreux. Il fut donc affecté à la Désirade, petit îlot d'une dizaine de ki­lomètres de long sur deux de large, à l'est de la Guadeloupe. Le P. Wintz venait d'y mourir; la place était à prendre. Elle lui fut confiée; il la gar­da douze ans.

Confrère entreprenant, capable de bâtir un village, le P. Germann était cependant un timide qui doutait de ses moyens humains. Mais en pratique, cette crainte ne nuisit aucunement à ses entreprises même ma­térielles. Cette modestie que l'on découvrait sincère, lui attira des sym­pathies qui s'élargirent au-delà du diocèse de Pointe-à-Pître, pour se multiplier à la Martinique et même aux Etats-Unis. Il n'écrivait pas, n'occupait en rien les pages de revues, mais la charité le dépista et fut attendrie par cet athlète qui parlait en langage courant avec l'émotion d'un enfant, et qui, pour les choses de l'âme, apportait une conviction de feu.

Dieu lui avait donné en partage sa vérité: ministre de Dieu il pré­chait la vérité sans contours ni périphrases, directement, avec une flamme qui jaillissait en son beau regard tendre, contractait ses lèvres et irra­diait sa face. Pour lui, c'était une question de choix: l'Enfer, le Ciel; et comme il aimait son troupeau, il n'entendait pas perdre la moindre de ses brebis.

Comme beaucoup de violents, vaincus de la grâce, le P. Germann se détendait parmi ses malades, leur ouvrait avec une surprise enchantée les nombreux colis reçus à leur adresse. Il catéchisait ses infirmes, régu­larisait des situations, améliorait leur sort, avait à coeur de les tenir en grâce et avivait sans cesse l'espérance.

Son sens de l'initiative avait fait de son modeste presbytère une halte agréable... et c'était plaisir à ses confrères de traverser le canal pour aller jouir de son accueil, de sa simplicité et de la grandeur cachée de son âme. Trois ou quatre fois l'an, toujours pour la retraite annuelle, il abordait le continent.

Pourtant, une lutte très particulière le tourmentait. Il se trouvait trop « siècle »; il essayerait la trappe. Muni de toutes les permissions, il voulut tenter l'expérience. Il passa l'année 1947 en France. Mais quand une vie missionnaire a plus de vingt ans d'activité, a plongé son regard clans l'immensité confondue du ciel et de l'océan, a pétri ses forces de la misère des pauvres, elle ne peut pas facilement se comprimer dans des corridors rectilignes ou des champs fermés.

Le P. Germann revint à la Guadeloupe.
Ce fut pour accepter un sacrifice. Le solitaire ermite devait consentir à se mitiger en cénobite. Il y a trois paroisses à Marie-Galante, avec chacune leur curé. C'est donc une possibilité réelle, plus grande qu'à la Désirade, de voisiner avec un confrère. Le Père fut nommé à Capesterre. Quand sur territoire de Marie ­Galante, il fit la route qui mène de Grand-Bourg à Capesterre, bien des sites de sa Désirade lui réapparurent agrandis avec des mornes aux pe­tits arbres couchés par le vent, aux pierres grises, nouées d'herbes sèches, aux ravines rocailleuses et assoiffées avec des pacages tondus par la persévérance d'un bétail sobre; et puis, à droite, la mer profonde, trans­parente, plus fière que des routes aux longues perspectives.

Il prit possession de l'une des plus belles églises de la Guadeloupe ; il rassembla son peuple, en fit le dénombrement, forma ses cours de catéchisme, anima le culte, et connut tous les chemins. Il fit de son pres­bytère épais une villa aérée. Il continua à être le Père Germann, et c'est pourquoi son peuple l'aima d'un élan unanime, rapide et fidèle.

A l'annonce du malheur, à la nouvelle de la mort, tout le peuple atterré s'attacha au presbytère, à l'église, à la tombe, oubliant les heures, avec l'espoir désespérément vaincu que le défunt allait se lever pour reprendre sa place de pasteur, de bon pasteur.

Pour terminer, citons encore les paroles d'un Inspecteur des Contributions, M. Joseph Hamot:

« Le P. Germann se révéla à Capesterre un administrateur accompli, un pasteur zélé sachant concilier tous les partis. Il pratiquait la charité au plus haut point. Jamais on n'eut à frapper en vain à sa porte. Il menait une vie austère, édifiante, dont la population de Capesterre sut tirer le plus grand profit; c'était un saint prêtre.... »

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