Le P. Eugène GROETZ
de la Province de France, décédé au District D’Onitsha-Owerri, le 30 septembre 1948 ;
âgé de 65 ans et après 44 années de profession.


Le 30 septembre dernier, vers 9 heures mourait à l’hôpital catholique de Emekuku un des plus saints et des plus zélés apôtres de la Nigeria. Le cher Père Groetz était dans sa 66e année quand lez Maître de la vigne rappela son dévoué serviteur pour recevoir la récompense et le repos bien mérité. Kla couronne, n’en doutons pas, a du être une des plus belles. Le Père, en effet, a besogné longuement –39 ans au Niger – et il abesogné durement en ce coin de vigne que son obédience lui avait assigné en 1909

La Nigéria était alors réputée comme une mission particulièrement billicile. Nombreux étaient les jeunes et ardents apôtres qui, partis de France, et plus récemment d'Irlande, se virent obligés de rentrer en Europe au bout de quelques années ou de quelques mois à peine, pour refaire une santé déjà bien compromise. D'autres mouraient, hélas trop tôt pour avoir vu lever la moisson semée au milieu de difficultés extra­ordinaires. Le climat était peu favorable au séjorr et à l'activité, prolongée des Blancs. D'autre part, une opposition acharnée et puissante se manifestait du côté protestant : la Church Missionary Society tout d'abord, et une multiplicité de sectes ensuite. o

Le P. Eugène Groetz, âgé alors de 26 ans, faisant résolument le sacrifice de sa vie, disait adieu à sa mère, qu'il ne devait d'ailleurs plus revoir,adieu à soit frère, à sa soeur, à ses amis d'Isenheim et de Guebwiller, à son pays d'Alsace, à la douce France, et s'embarquait pour son nouveau pays d ' adoption, la Nigéria. Il était alors loin de se douter quelle longue et fructueuse activité le divin Maître allait lui permettre; tout au plus, éspérait-il tenir quelques années, convertir quelques âmes an prix de mille souffrances, et se reposer ensuite eu compagnie des Jeunes héros Engasser, Ritter, au cimetière d'Aguleri ou dOnitsha.

C'est à Onitstsha qu’il arriva le 27 octobre 1909. Mgr Shanahan dut avoir sans doute bien de la peine pour brider d'abord ce jeune missionnaire pleind'entrain, qui ne désirait entendre du chefde la Mission que ce mot d’ordre : « Allez en avantt! Voici cette immense brousse du district d'Onitsha qui vous attend et qui vous appartient. »

Le Père dut s'initier d'abord à la méthode d’enseignement suivie dans les écoles catholiques Ce lui fut une occasion de se perfectionne dans les rudiments de l’Ibo, la langue indigène parlé par trois millions et demi de Noirs. Pour ce qui est de la langue anglaise, il trouva d'éminents professeurs en la personne du F. Adelme et des PP. Bish, Ward et Th. O'Connor. Sous leur direction, il fit de rapides prorès et parvint à une connaissance approfondie de l'anglais. Bientôt, au dire des confrères qui s'y connaissaient, il parla et écrivit l'anglais très correctement. Pour la langue indigène, il titilisa les grammaires des PP. Vogler et Duhazé et le dictionnaire du P. Gannot, et bientÔt encore il put s'entretenir avec les enfants de l'école. Ceux-ci comprirent bien vite que le jeune Père était non seulement un homme qui ne pouvait, souffrir ni désobéissance, ni mensonge, mais qui ne voulait aussi que leur bien. Il entendait en faire des élèves bien élevés, capables de devenir instituteurs et catéchistes, et auxquels on pourrait confier non seulement l'enseignement de l'école, mais surtout la tenue et la charge d'un poste. Le Père suivit ses enfants et les suivit de près. Ceux qui s'absentaient pouvaient s'attendre à une visite à domicile, et ceux qui manquaient à la messe les dimanches et jours de fête pouvaient s'attendre à une punition saliitaire. Constatant un jour l’absencc à l'école de l'un de ses élèves, il se rendit immédiatement chez les parents du garçon. Le frère de l’enfant l'avait retiré de l'école catholique pour le faire admettre chez les protestants. La démarche du Père fut couronnée de succès : l'enfant revint à l'école, fuit baptisé en son temps, devint insttuteur quelques années plus tard, et entra même lu Séminaire, et, depuis quatre ans, il est à la tète d'une mission importante : c'est l'abbé indigène Obebagu, qui dirige la Mission d'Agulcri.

En une autre occasion, le Père devait reprendre un garcon de l'école protestante tandis qu'il traversait le territoire de la mission pour ramasser du bois de chauffage. J'imagine un peu quelle fut la remontrance; mais si elle produisit un certain effet, elle ne fut cependant pas aussi salutaire que la précédente, car cet enfant est devenu aujourd'hui Auxiliary Bishop to the Bishop of the Niger et réside à Aba. Se rend-il bien compte à présent que c'est le prêtre catholique romain de la Mission d’Aba qui, dans le passé, l'a remis sur la bonne voie?

A Onitsha, le Père recevait les conseils du P. A. Bisch, un excellent missionnaire lui aussi, et qui connaissait des moyens efficaces pour la conquête des âmes. Sa bonté et sa patience l'inspiraient dans la conduite à suivre auprès des âmes malheureuses, les chrétiens faibles, pauvres on tombés; pour eux, il était la charité personnifiée.

Le P. Groetz visitait régulièrement les malades à l'Hôpital du Gouver­nement, les bénissait, les consolait, leur administrait les derniers sacrements. Il trouvait encore des moments libres pour visiter les prisonniers, et, jusqu'à sa mort, il resta l'inspecteur officiel de la prison d'Aba.

Plus tard, à Ogoja, il fut souvent appelé auprès des condamnés à mort pour les préparer, par le saint baptême, à paraître devant le Juge suprême. Son apostolat auprès de ces infortunés fut très consolant, mais il payait aussi de sa personne pour les arracher aux tourments éternels. Il lui est arrivé plus d'une fois de parcourir à bicyclette la distance d'Ogoja à Aba­kaliki (200 km. aller et retour), pour assister aux pendaisons. Sa peine ne fut pas inutile, et jamais je ne l'ai entendu se plaindre qu'on ait refusé son ministère.

A l'arrivée du P. Groetz, la Préfecture du Bas-Niger ne comptait que cinq résidences avec quelques rares postes de brousse. Bientôt la contrée devait s'ouvrir. Les indigènes ayant à traiter avec le Gouvernement ou les agents des maisons de commerce, se rendaient compte qu'il leur était impossible de se passer d'éducation; il fallait savoir écrire et parler anglais. Où l'apprendre si ce n'est à l’école du Gouvernement on d la Mission ? Le Gouvernement, dans l'impossibilité de faire face à toutes les iwinandes, laissa le champ libre aux missions catholiques et protestantes. Les protestants bénéficiaient d'une sensible avance sur les catholiques et jouissaient de la faveur du Gouvernement qui leur allouait des secours financiers assez considérables. Mais le pays Ibo ne devait pas devenir une réserve exclusive des protestants. Des missionnaires prévoyants et extrèmement actifs, tels Mgr Shanahan, les PP. Bisch, Ward, Bubendorff, Poliazé, Bindel,Groetz et leurs successeurs immédiats ne se croisaient pas les bras en disant : « Il n'y a rien à faire, l'opposition est trop sérieuse. » Tous se mirent à l'oeuvre et ce fut une véritable course engagée entre catholiques et protestants. Les premiers n’en sortaient pas toujours vainqueurs , mais finissaient cependant en bonne position.

Le P. Groetz parcourait en tous sens le district d'Onitsha pour ménager des entrevues avec les chefs et les notables des villes et des villages. Quand il réussissait à devancer les protestants ou du moins à enrayer leur progrès, son coeur exultait. De retour de la brousse, où souvent il couchait sur la dure il airnaît conter ses exploits au P. Bisch ou au P. Ward, et tous ensemble célébraient la victoire en buvant une bouteille de stout ou de bière.

Cette activité extraordinaire devait être momentanément arrêtée par la déclaration de la première guerre mondiale. Quelqu'un se rappela que le P. Groetz était né en Alsace et donc sujet de l'empereur. Le P. Groetz, iencompagnie des PP. Treich et Muller, fut conduit, avec escorte de police, jusqu'à Lagos. Mais au bout de quelques jours, tous trois furent relâchés pour ne plus être inquiétés par la suite. Le Père gardait jalousement le document attestant le fait de son arrêt le constituant prisonnier de guerre. Ce voyage à Lagos, fait aux frais du Gouvernement britannique, valait aux Pères un repos bien doux.

De retour à Onitsha, la course reprit de plus belle pour l'ouverture du pays. La ville de Newi fut le premier objectif. Le P. Groetz avait trouvé un ami, bien dévoué en la personne du chef Nwosu, encore païen et polygame. Grâce à lui, une douzaine de postes allaient être ouverts, et tous les villages dotés d'une école catholique. Après quoi, le Père s'engagea vers le sud, et ce fut-lui qui s'installa le premier en pays Ndi­zuogu, terre riche et peuplée d'un clan très populeux.

Enfin, en 1921, il rentra une première fois en France pour régler des affaires de famille. Il ne lui fut pas donné de revoir celle qu'il avait tant aimée sur cette terre : sa bonne maman était morte en effet an cours de guerre. La séparation de ses fils, dont l'un se trouvait sur le front russe l’autre dans l'armée coloniale et Eugène en Nirgéria, l'avait par trop affectée.

Le P.Groetz, rendant visite au caveau familial, eut bien de la peine à s’arracher de la tombe où reposait celle qui avait tant contribué, à sa formation chrétienne. Le Père disait souvent qu'il était né pour ainsi dire en état de grâce et donc tenu à une sainteté pas ordinaire. Et il donnait une explication à ses paroles le fait que sa mère s'étant confessée un Vendredi Saint pour satisfaire à son devoir pascal, c'est en rentrant à la maison qu'elle mit au monde un garçon bien robuste. Son père, comme pour le préparer à une vie dure, força le nouveau-né à absorber quelques gouttes de vin avant même d'avoir goûté le lait maternel.

Le petit Eugène fut toujours l'enfant préféré de la maman et elle l'entoura de pieuses et délicates attentions. Grand fut le sacrifice quand le petit Eugène, âgé de treize ans, manifesta ses désirs de vie religieuse et missionnaire.

En 1897, il entra à l'Ecole apostolique des Petits Clercs de Saint-Joseph, à Seyssinet. Il ne s'y trouvait nullement dépaysé car les petits Alsaciens étaient alors nombreux parmi lespetits clercs. Mais Eugène ne put cepen­dant s'empêcher d'être tourmenté par un violent mal du pays. Sa mère reçut en effet une lettre de son fils lui réclamant de l'argent pour le voyage de retour. Elle sut immédiatement découvrir là une simple tentation. Par retour du courrier, elle envoya cependant de l'argent au P. Directeur. Elle lui demandait de dire des messes pour sauver la vocation de son fils. Ces messes furent dites, et l'aspirant-missionnaire, non seulement changea davis, mais commença à se faire à son nouvel entourage, à l'atmosphère si douce et si pieuse du sanctuaire de Saint-Joseph. Le P. Groetz aimait là redire avec quelle confiance les jeunes aspirants à la vie religieuse recou­raient à leur puissant Patron et continent leurs prières obtenaient de vrais miracles.

Après son congé en Europe, le P. Groetz ne fut placé à Onitsha que quelques mois . Un champ d'apostolat autrement plus vaste allait s'ouvrir à son activité, à son zèle missionnaire. Toute une province de deux millions d’âmes attendait l'ouvrier apostolique qui devait s'occuper d'Ogoja et des Munchis.

Le P. Douvry, rentré en Europe pour raison de santé, avait commencé, récemment une mission à Ogoja : la Mission de Saint-Benoit n'en était qu'à ses débuts. A son arrivée, le P. Groetz trouvait la caisse vide et des insti­tuteurs qui réclamaient un salaire non encore payé. Il en renvoya quelquesuns, quitte à les reprendre plus lard, quand les finances le permettraient. Situation dangereuse. Les Supérieurs majeurs durent se demander s'ils avaient été bien inspirés en envoyant un Père aussi expéditif. Mais bientôt le P. Groetz parcourait la contrée et trouvait des chefs bieuveillants pour l'ouverture d'églises-écoles et pour payer instituteurs et catéchistes. Les affaires du Bon Dieu reprenaient et la situation semblait sauvée. Des relations de voyage publiées en Amérique attirèrent quelques secours pécuniers On commença par se loger pauvrement à 0goja. Une hutte de paille élait la résidence du Père; une autre, celle du Bon Dieu ; et une troisième, celle du P. Mellet, qui était dailleurs plus souvent dans les marécages de la Cross-Biver en quête d'âmes et aussi de moyens de subsistance... Pauvre logement et extrêmement malsain! A la saison des pluies, l’eau traversait la paille et inondait tout : pour tout refuge, le Père n'avait plus que celui de son parapluie. Les indigènes étaient mieux logés que lui, car ils s'entendaient à construire de solides toitures; mais le Père, sans ressources d'abord, ne pouvait les engager pour un semblable travail. Avec quoi les aurait-il payés? Sans tarder, les indigènes apprirent à connaître davantage le Père, et c'est bien volontiers qu'ils lui préfèrent leur concours. Le Bon Dieu et le Père furent alors logés d'une manière plus convenable.

Les soucis matériels n'empêchaient nullement l'évangélisation propre­ment dite qui se trouvait compliquée par le fait que de nombreuses tribus aux langues différentes se partageaient le pays. Il fallut donc apprendre une langue véhiculaire Dans toute la contrée. Le Père étudia le chibore et traduisit le catéchisme en cette langue. Une autre épreuve devait ralentir la conquête du pays.

Un jour de printemps, comme les indigènes brûlaient la brousse des fermes le vent s'éleva soudainement en changeant de direction; les flammesmontèrent haut dans le ciel, et embrasèrent les régimes de palmes; les noix en feu emportées par le vent, incendièrent la toiture de paille (le l'église. Les Pèrescre et les enfants de la mission eurent beau accourir pour éteindre le brasier, leurs efforts furent vains et en un clin doeil la chapelle n'était plus qu’un brasier. Tout avait été détruit : la construction elle-même, le mobilier de la sàcristie, l'autel, les bancs de l'église, les vêtements et le calice, rien ne fut épargné.

Cette rude épreuve ne vin[ pas à bout du courage du Père, qui se mit à l'oeuvre et fit sortir des cendres une chapelle plus digne que la précédente.

En pleine construction, une autre obédience l'attendait. Depuis 1862, les protestants avaient occupé le sud du pays Ibo; ils régnaient en maitres incontestés de la côte, dans une zone de 100 à 150 kifomètres de profondeur. Il fallait se remuer de toute urgence pour s'établir encore dans quelques villes et sauver quelques villages. On avait tenté un essai de fondation à Aba, à 100 kilomètres du port fluvial de Pout-Harcourt, sur le delta du Niger. Cette nouvelle station attendait l'organisateur qui la développerait et lui assurerait une existence durable. Le choix de Mgr Shanaan se porta sur le P. Groetz, qui y arriva le 23 novembre 1925 et qui devait s'y dépenser le restant de sa vie.

La maison d'habitation était inachevée et le Père allait ail plus pressé il installa portes et fenêtres, remonta le rez-de-chaussée et mit le plancher.

Il ne trouvait pas sur place les ressources nécessaires, mais Port-Harcourt dépendant alors d'Aba venait à la rescousse. Les installations portuaires, travaux du chemin de fer avaient attiré de l'intérieur une main-d’œuvre nombreuse. Parmi ces ouvriers se trouvaient beaucoup de baptisés et de catéchumènes aussi. La Procure avait avancé une certaine somme pour la construction d'une église-école et d'une maisonnette pour le Père visitant la station, ainsi que pour les Pères de passage à Port­-Harcourt. Ces installations furent rapidement terminées sous la directiondu vailland F. Armand qui, plusieurs mois durant, partagea avec le P. Groetz les peines et les soucis d'une double fondation. C'est alors que le Père put compter sur la générosité des chrétiens de Port-Harcourt, et cela lui permit de terminer les installations nécessaires à Aba.

En 1929, quatre ans à peine écoulés, l'église-école d'Aba était trop petite et dut être remplacée par une bâtisse plus spacieuse et plus confortable aussi.

Cette Mission d'Aba fuit dédiée au Christ-Roi, car le Père se rendit compte qu'en face de l'opposition acharnée d'une vingtaine de sectes protestantes, , Dieu seul pouvait vaincre. Pour assurer le règne du Christ-Roi, il n'épargna rien. Il décupla la demi-douzaine de-postes de brousse construisit de belles et spacieuses chapelles a Mbutu, Owerrnta, Amisi. Toutes ces constructions en dur ont un cachet spécial et font la gloire du pays. Le P. Groetz se révéla bon dessinateur et parfait architecte. Une de ses dernières bâtisses, unique en son genre, fut l'école des garçons,à Aba même. Et tout cela fut exécuté sans aucune aide du Gouver­nement. Tout est dû à la charité et ait dévouement des indigènes que le Père était heureux de solliciter. An début, pour élever l’école, le Père avait demandé du secours à la Procure, quelques centaines de livres sterlings. A sa mort, les dettes étaient payées, et son successeur peut tirer largement sur les économies réalisées par le Père. Ce fut utile surtout au courant de la dernière guerre pour la construction d'une grande église permettant à 3.000 personnes d'y trouver place; car tels sont les besoins du moment. A son grand regret, le Père ne put cependant pas réaliser îui-même ce rêve qui aurait été comme le couronnement de son travail apostolique. Les forces lui manquaient et nous n'avons pas en Nigéria des Frères constructeurs.

La confiance du Père au Christ-Roi fut pourtant bien récompensée. En 1925, l'école d'Aba ne comptait que 60 élèves; aujourd'hui 750 garçons et 450 filles reçoivent à la mission même la formation élémentaire, et les soeurs du Saint-Rosaire sont en train de construire une école normale pour y former des institutrices. Il y a vingt ans, les familles chrétiennes pouvaient se compter sur les doigts d'une main et, au dernier rapport ecclésiastique, elles se chiffraient à plus de mille.

En 1931, Port-Harcourt fut détachée d'Aba et ce fut le P. Groetz lui­même qui demanda aux autorités cette séparation. En 1945, la Mission d’Aba se vit amputée de vingt postes de brousse qui ont' été attribués à la Mission de Mbasi. Mais telle qu'elle est, Aba est encore assez grande pour absorber le dévouement de deux jeunes Pères irlandais.

C'est avec un coeur bien reconnaissant que le P. Groetz a assisté à toutes ces transformations. Ses peines, sa patience, ses prières, sa charité ne furent pas vaines, et il en rendit grâce à Dieu.

Sa caractéristique spéciale fut en effet sa grande charité, Il fut toujours pour ses confrères le bon Père, toujours prêt à aider, à comprendre, à conseiller avec à-propos. Les confrères qui venaient en ville pour affaires on achats savaient pertinemment qu'ils seraient bien reçus à la mission. En effet, dès que le P. Groetz pouvait exercer l'hospitalité, il se trouvait dans son élément : il donnait et donnait généreusement. Il savait se priver pour donner de la joie. D'aucuns ont pu penser que le Père menait toujours bon train de vie, ce en quoi ils se sont trompés, car le Père, dans la solitude, vivait très sobrement et savait se mortifier. Les dernières années de sa vie il s'est même refusé le plaisir de fumer la pipe, sans qu'il y ait eu pour cela intervention du docteur. Le seul reproche qu'il adressait à ses visiteurs c'était, au moment de se mettre à table, de n'avoir pas averti de leur visite. S'il fut hospitalier, ce n'était pas avec cette arrière-pensée qu’on pourrait éventuellement lui rendre le même service. D'ailleurs, il ne quittait guère sa mission que pour la retraite annuelle ou pour régler qualque affaire en banque.

Hier, en route pour Aba, je venais de parler du P. Groetz à un indigène, et voici ce qu'il me dit : « Le Père était aimé de beaucoup. » - « He was a inan of God, a holy priest. » Que pourrait-on dire de mieux et de plus vrai? Le P. Groetz fut vraiment l'homme de Dieu. Sa journée commençait à 4 heures du matin. C'est à cette heure matinale qu'il se rendait à l'église pour la prière et l'oraison. A 5 heures, il offrait la sainte messe, pour per­mettre ainsi aux ouvriers et employés d'y assister et d'y recevoir la sainte communion avant de se rendre à leur travail. Après la messe, il baptisait les nouveau-nés et récitait son bréviaire. Avant le salut du Saint Sacre­ment ou tout autre exercice à l’église, on pouvait être sûr de trouver le Père en adoration devant le tabernacle au moins une bonne demi-heure avant cet exercice. Il y égrenait des chapelets et se rendait compte si tout était en ordre, si les enfants de choeur se préparaient à temps et se présentaient à l’autel dans une tenue convenable. Il ne quittait jamais l'église sans s’être agenouillé devant la statue de sainte Thérèse. Cette dévotion constantelui valut la grâce insigne de quitter ce monde le jour anniversaire de la mort de la petite sainte de Lisieux.

Pour bien ancrer au coeur des chrétiens un saint respect des sacréments , il faisait lui-même la préparation au baptême, à la première commu­nion, à la confirmation, et, à l'occasion de ces cérémonies, il voulait que tout fut parfaitement exécuté. Le soin religieux qu'il apportait à tout ce qui était du Bon Dieu suscita des vocations sacerdotales : sur les douze prêtres indigènes du district d'Oiiitsha-Owerri, il y en a au moins un bon tiers qui doivent leur vocation et leur persévérance au cher P. Groetz.

La souffrance fut sa compagne inséparable.. Ce qui peinait parfois le Père, cétait de croire les autorités mal renseignées sur les difficultés rencontrées dans un pays à prédominace protestante et païenne. Il ne pouvait pas ouvrir d'écoles et de postes autant'et aussi vite qu'on le croyait nécessaire ou désirable. Mais devant Dieu, il avait la conscience tranquille : il priait, peinait. Que demander davantage?

Depuis une quinzaine d'années il souffrait de rhumatismes. Cela ne durait tout d'abord qu'une ou deux semaines par an, puis ce fut plus fréquent, au point que le Père devait garder le lit. Il supporta l'épreuve avec résignation e une sainte patience. Il fut toujours un bon malade, ne réclamant que les soins absolument indispensables. Vers le mois de mai dernier, il avait grand'peine à marcher; ses pieds lui refusaient ce service, et le Père tombait parfois lourdement. A la fin du mois d'août le médecin déclara que l’état du malade était assez grave. Je lui en fis part au début .de septembre et, en bon religieux, il mit en ordre ses affaires avec le Bon Dieu, se contentant de dire : « Alors, cette fois-ci, c'est sérieux? » Il reçut

l’Extrème-Onction le même Jour. Des soins médicaux continus étaient nécéssaires et on transporta le Père à l'Hôpital. catholique d'Emekuku. ;les soins du docteur, pas plus que ceux des soeurs . qui veillaiem nuit et jour ne purent enrayer la maladie : le Père baissait rapidement. La veille de son départ pour l'éternité, il me parla encore péniblement, puis perdit connaisance. Durant un éclair de lucidité,il dit à la soeur qui le veillait :
« Take me home, I want togo home » Ce furent ses dernières paroles.

La soeur lui fit comprendre que c'était pour elle un honneur insigne de soigner un Vetéran de la mission, de l'avoir à leur hôpital. Le Père sourit et fit signe de se soumettre à lq volonté du Bon Dieu.

Le 30 septembre au matin, le R. P. Cloorian, supérieur d'Emekuku reitera l’Extrème-Oncrion et donna au Père l'indulgence de la bonne mort.
Vers 9 heures du soir, sans aucune souffrance, le Père s'éteignit doucement.

Toute la nuit, soeurs et infirmières se relayèrent pour prier aux pieds la dépouille mortelle. Très tôt le lendemain matin, Aba fut avertie du décès de son supérieur. Les autorités civiles ne firent aucune objection à ce que le Père fût enterré à la Mission d’Aba et nous l'avons ramené vers 5 heures du soir. La mission était bondée de monde, et quand le cercueil fut porté à l'église, ce ne fut, de la part des paroissiens, qu'un cri de douleur. Tous comprenaient qu'ils avaient perdu leur Père.

L’absoute fut donnée par S. Exe. Mgr C. Heerey, en présence de nombreux spiritains, de Frères de Saint-François, de Soeurs du Saint-Rosaire, de Pères de Saint-Patrice et de Soeurs des Medical Missionaries of Mary. Le P. Groetz fut enterré à l'endroit même qu'il s'était choisi une quinzaine d'années auparavant, au pied de la croix, en face de la maison d'habi­tation. C'est ainsi que nous avons pieusement exécuté la première partie de son testament. La construction d'une belle église en l'honneur du Christ, Roi de la Paix, en sera l'autre partie.

Du haut du ciel, notre cher Père priera pour que ce travail important soit commencé sous peu et mené rapidement à bonne fin.

Les chrétiens d'Aba, gardent de leur Père un souvenir inoubliable, et journellement on en voït agenouillés sur sa tombe. Nombreuses sont les messes qu'ils font dire ou chanter, et cette pieuse gratitude n'est pas encore à la veille de tarir.

Oui, longtemps encore on se rappellera du bon P. Eugène Groetz.
Antoine STIEGLER, de la Mission d'Aba.

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