Le Père Joseph GUÉNANTIN,
décédé en mer, le 1er avril 1935,
à l'âge de 59 ans.


Né le 16 novembre 1875, à Sauzon (Belle-Ile-en-Mer, Morbihan). Profession à Orly, le 27 octobre 1898. Prêtrise, à Chevilly, le 28 àctobre 1900. A la consécration à l'apostolat du 11 juillet 1901 il reçoit son obédience pour le vicariat apostolique de Brazzaville. Embarquement à Bordeaux, le 15 août 1901. Affecté à la mission de Lékéti. Mort en mer, au large du Cameroun, le 1er avril 1935. Inhumé au cimetière de la mission, à Douala.

Trente-quatre ans de séjour au Congo. Mieux que cela, trente-quatre ans de séjour dans une seule station, sans en avoir jamais connu d'autres, voilà qui, à sa façon consacre une destinée. Il s'agit ici de celle du P. Guénantin qui vient de mourir en mer le 1er avril dernier, alors qu'il rentrait en France et qui est allé prendre au ciel la retraite qu'il redoutait sur la terre.

C'était un bien digne homme qu’une popularité de bon aloi avait entouré dès le temps de sa jeunesse. Breton de Belle-Ile, c'était au physique un beau marin, haut de taille, carré d'épaules, avec un reste de roulis dans la démarche et un tic du nez, qui venait peut-être de la prise, lui donnant sans cesse l'air de humer le vent. Au moral, un homme simple en toute chose ; sans complications, sans grandes curiosités, un cœur extraordinairement bon et une âme secrètement timide. L'absence de rouerie rend timides les natures franches que le mal surprend et étonne : l'isolement n'en guérit pas toujours. On pourrait dire : au contraire.

Après des études à Sainte-Anne et au grand séminaire de Vannes, mais non sans obstacles ni alternoiements, la vocation de missionnaire l'amena en 1896 au noviciat d'Orly et le conduisit à la profession religieuse en 1898. En 1901, il reçut sa désignation pour ce qu'on appelait alors l'Oubangui ou encore le Haut-Congo français, titre bizarre puisqu'il s'appliquait au bas fleuve. On dit aujourd'hui le vicariat apostolique de Brazzaville, ce qui constitue une autre singularité géographique puisque les limites de cette subdivision ecclésiastique montent au Nord jusqu'à Ouesso et que ses limites Ouest se trouvent aux sources de l'Alima.

C'est précisément vers ces sources de l’Alima que le P. Guénantin fut envoyé dès ses débuts. Sa résidence, Lékéti, n'avait alors que quatre ans de fondation ; à si grande distance et avec les pauvres moyens de communications de ce temps-là, cela ne représentait pas un développement considérable.

D'ailleurs, on ne disait pas grand bien ni de l'emplacement, ni de la population vers lesquels l'avait mené son étoile. L'emplacement était une plaine de sable. La population était celle des plaines de sable, ces Batéké (qu'une orthographe plus soigneuse appelle Tégués) chétifs, instables, gueux et méfiants, assez courageux toutefois et réussissant à vivre sur un sol des plus ingrats.

Vivre, simplement vivre, était, dans ce temps-là, et dans ces conditions-là, tout un problème pour les jeunes stations des frontières et c'est ce qui fit accomplir aux missionnaires ces miracles de débrouille qui tranformèrent les champs de sable en bananeraies et en jardins. Mais quelle patience ! Pour constituer un sol là où il n'y en avait pas il a fallu, pendant trente ans, tous les jours, enfouir l'herbe aux mêmes places. Le P. Guénantin s'astreignit à cette tâche de trappiste défricheur. Aujourd'hui les voyageurs disent de Lékéti que c'est une vaste ferme gloussante, bêlante, grognante et qu'on y mange les plus beaux fruits d'AÉF.

Il y a un danger dans ces entreprises agricoles et ces industries créées par le besoin de vivre. L'apostolat peut en souffrir. C'est parfois vrai, mais il est dans la vie de chaque missionnaire une précaution de début qui, si l'on veut, sauve infailliblement l'avenir : à savoir la possession de la langue indigène. Sans elle on reste un homme muré ; avec elle, on a le contact des âmes et on sent battre les pulsations de la vie du milieu. Ajoutons que l'Alima a été longtemps le champ-clos de discussions philologiques témoignant chez les missionnaires d'un vaste effort linguistique. Le P. Guénantin ne se mêla guère à ces longues controverses, mais il considéra que savoir la langue était simplement son devoir d'état. Il la sut de manière à faire honnêtement ses catéchismes et à régler en connaissance de cause les palabres de son peuple.

Par ailleurs, il en resta là et se borna à agir par la durée. La durée, dans tous les pays, donne un ascendant extrême ; là-bas surtout. Il est certain que dans la solitude de Lékéti, le P. Guénantin vécut un peu en oublié du monde, mais sur place il se classa parmi les patriarches des jeunes Églises. Une telle destinée fait penser aux vieux saints d'Armorique, Gildas et Corentin, Patern, Guénolé, Tugdual, portés au ciel par le souvenir de leurs chrétientés.

Celle de Lékéti sort des mains du P. Guénantin avec 6 000 âmes vivantes, baptisées ou catéchumènes. Que le christianisme, en Haute-Alima, ne s'allie pas à un degré de civilisation comparable, même de loin, à celle de nos provinces françaises, c'est possible, il n'en est pas moins vrai que 6 000 chrétiens forment partout une forte paroisse, et que le mérite est grand de l'avoir créée.

Après trente ans et plus du métier, le P. Guénantin sentit le déclin de ses forces. Sans être atteint du sommeil, il dormait partout, dominé par l'anémie et l'usure. Il aurait voulu mourir, comme le souhaitent tous les misionnaires, sur son champ d'action, mais, d'autre part, il savait combien il est dur de ne plus travailler lorsqu'autour de soi les auttes se donnent tant de peine !

Un matin que le bateau de Brazzaville était à l'appontement de Lékéti, le vieux Belle-Ilois se rembarqua pour la France, pour revoir la Bretagne, se guérir peut-être…

Il n'acheva pas la traversée : ce fils de marin mourut en mer, au large de la côte du Cameroun. Du moins repose-t-il en terre chrétienne et c'est l'un de ses amis d'enfance, Mgr Le Mailloux, qui a pieusement déposé ses restes dans le cimetière de Douala, au voisinage de plusieurs autres sépultures spiritaines.

Le P. Joseph Guénantin, a pu dire excellement un des ses amis, avait modestement restreint sa mesure : du moins l'a-t-il comblée. -
Maurice Briault - A., novembre 1935.

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