Mgr Firmin GUICHARD,
décédé à Corps-Nuds, le 27 avril 1936,
à l'âge de 51 ans.


Né à Corps-Nuds (diocèse de Rennes), le 19 novembre 1854. Etudes secondaires au petit séminaire de Saint-Méen. Philosophie et première année de théologie au grand séminaire de Rennes. Entre au scolasticat de Chevilly en juin 1906. Après son service militaire et son année de noviciat, il fait profession le 6 octobre 1908. Ordonné prêtre le 28 octobre 1910. À la consécration à l'apostolat du 9 juillet 1911, il reçut son obédience pour le vicariar apostolique de Brazzaville.

Lorsque Mgr Augouard, après 44 ans de vie de mission, connut les premiers affaiblissements de la vieillesse, la question de son remplacement agita bien des esprits parmi nos stations d'AÉF, et parmi les personnages du monde colonial.

C'est que Mgr Augouard s'était élevé à un rôle qui avait beaucoup dépassé les limites de sa charge de vicaire apostolique. Et, même à s'en tenir à cette importante charge, il avait rempli celle-ci d'une manière si prolongée, si personnelle, si active, si combative même, et il y avait pris un tel ascendant, que presque tous estimaient sa succession difficile à prendre. Tellement difficile qu'on se demandait si tout l'avenir du vicariat connu jadis sous le nom d'Oubangui et appelé ensuite Brazzaville du nom de son chef-lieu, n'allait pas être remis en cause. Autre signe qui, à lui seul, révélait la gravité de la situation : on ne voyait aucune candidature épiscopale prendre une vraie avance.

Mgr Augouard disparu, en 1921, le sort providentiel tomba sur un missionnaire encore jeune qu'on avait fait revenir de la brousse pour aider le P. Procureur dans son service des expéditions et des comptes. C'était le P. Firmin Guichard : il n'avait que 38 ans d'âge, mais c'était alors l'âge moyen auquel se choisissaient les évêques d'Afrique. Et comme cela se passait en juin 1922, il n'avait, par le fait, qu'onze ans de présence au Congo.

Il était né le 19 novembre 1884, au diocèse de Rennes, à Corps-Nuds, dans une famille et une paroisse l'une et l'autre très chrétiennes. Il avait fait ses études au petit séminaire d'abord, au grand ensuite, et il avait trouvé dans ces établissements très prospères des condisciples à qui parler. Il s'était classé dans une bonne moyenne, mais, à Rennes, la bonne moyenne était plus qu'honorable. Peut-être aussi fut-il de ceux dont les qualités de fond ne prennent tout leur développement qu'avec le temps et l'action.

Fait à noter : jusqu'à cette époque qui se situe au tournant du siècle le diocèse de Rennes n'avait donné que relativement peu de sujets aux missions du Saint-Esprit. Alors qu'il envoyait beaucoup de vocations à d'autres sociétés apostoliques et que les autres diocèses bas-bretons étaient si largement représentés dans nos listes, Rennes ne nous connaissait guère lorsque le jeune abbé Guichard vint au noviciat de Chevilly. Vocation mûre, déjà affermie, capable de persévérance calme, plutôt qu'emballée. Vertu faite de sens du devoir et de conscience, mais sociable, ne donnant jamais d'inopportunes leçons et gardant volontiers une pointe d'humour. En récréation, M. Guichard était un des bons conteurs d'histoires, des histoires de séminaire ou de presbytère dont il avait un lot inépuisable.

Prêtre en 1910, il reçut en juillet 1911 son obédience pour Brazzaville où Mgr Augouard le garda près de lui, à l'œuvre des écoles. Il n'y passa pas bien longtemps et peut-être ne s'y plut-il guère, car ces postes en ville gardent, aux yeux des jeunes surtout, trop de points communs avec la vie d'Europe et l'existence en grande communauté. Du moins eut-il dès le début ce mérite de se mettre immédiatement aux langues indigènes : le ba-congo du bas fleuve qui lutte, à Brazzaville, avec le sabir bangala que déposent là à la manière d'une alluvion linguistique tous les Noirs venus de l'immense pays franco-belge d'Afrique centrale. Ce premier stage ne dura guère. Le P. Guichard se vit peu après désigné pour l'Alima et partit pour la mission de Boundji.

C'était le moment où le pays d'Oubangui subissait, comme les autres missions l'avaient fait avant lui, la révolution qui substituait les œuvres de catéchistes disséminés par la pays aux grands internats des premières tentatives. La nouvelle forme d'évangélisation avec ses voyages continuels, ses périls même, enchantaient les missionnaires jeunes, mais l'enchantement n'empêchait pas la vie d'être dure et, en Alima, parmi les sables du pays mbochi, elle l'était particulièrement. Un de ses prédécesseurs, courageux pourtant et fortement bâti, le P. Edouard Épinette y était mort en quatre ans de séjour.

Le nouveau venu jugea sainement de ses obligations. La langue était nouvelle pour lui : il l'apprit sans faire de façons et se mit vite à même de prendre sa part des tournées de ministère. Il se tailla une influence, arbitra les palabres, poussa ses catéchistes, sans rêver ni d'absolu ni d'impossible.

D'autres furent peut-être plus brillants, mais le bien qu’il faisait portait l'aloi d'une marque solide. Si solide que cela se remarqua : quand, de là, on le rappela à Brazzaville pour des fonctions qui le mettait en rapport avec le vicariat apostolique entier, il y avait peut-être déjà chez Mgr Augouard l'arrière-pensée de l'associer plus tard à son administration. Quant à lui, il se borna à faire exactement son service de vice-procureur à sa façon discrète et dévouée, joviale dès que cela se pouvait, cordiale en toute rencontre.

C'est là, nous l'avons vu, que l'épiscopat vint le surprendre (1922). L'éclat de cette désignation ne le séduisit pas, car cette belle médaille avait, au lendemain de la guerre, un revers impressionnant. Il accepta cette tâche comme il avait accueilli les autres avec simplicité, sagesse et esprit surnaturel. Le sacre eut lieu à Brazzaville même et on eut l'honneur inattendu d'y voir assister le célèbre ministre Augagneur qui fut peut-être plus sincère en cette circonstance-là qu’en beaucoup d'autres.

Dès les premières semaines, on s'aperçut que le nouvel évêque était parfaitement égal à sa tâche. Supérieur à Mgr Augouard par la possession des langues et la pratique du ministère, il se montra, comme lui, un chef d'une rare autorité et un vigilant gardien de la discipline religieuse. On sait que le ministère assidu a ses dangers : c'est pourquoi il voulut que dans les communautés on réalisât une intense vie monastique. Sa propre maison de Brazzaville donnait le ton.

Mais il n'était nullement pour cela un homme de véranda et l'apostolat le préoccupait d'autant plus qu'il y avait pris une part active. C'est sous son épiscopat que se fondèrent successivement les stations de Kindamba (1924), de Makoua (1930), de Mindouli (1933) et, plus récemment encore, celle de Voka, à l'extrême sud du pays. Il avait pris son vicariat au chiffre de 18 à 20 mille chrétiens : il l'a porté à 52 000. Cela aussi signifie quelque chose.

D'autant plus que ce progrès coïncidait avec un mouvement dont les premiers missionnaires n'auraient jamais imaginé l'éclosion, ni l'ampleur : le ngouzisme, c'est-à-dire la déviation en ardente xénophobie de l'instruction religieuse et profane donnée aux Noirs par les missions, surtout par les missions protestantes où l'orgueil de l'esprit est si mal endigué par le fameux principe de libre examen. Il a fallu à Mgr Guichard une rare diplomatie pour préserver son troupeau, pour l'accroître si notablement, en face d'un danger devant lequel l'administration elle-même se trouva un moment désemparée.

Mais cette notice ne dirait pas toute la vérité si elle omettait de relater que l'évêque de Brazzaville fut admirablement secondé : nommer le P. Jaffré, le P. Dréan, aujourd'hui disparu, le P. Le Duc, les PP. Moysan, Le Bail, Monnet, dont on a su récemment la mort tragique, Hirlemann, Ramaux, pour ne citer que ses collaborateurs immédiats, et pour ne rien dire des frères ni des sœurs, c'est évoquer une équipe de première valeur dont il pouvait être fier.

Lorsqu'on était l'hôte de cette grande mission devenue une vraie cité, avec ses annexes semi-paroisses, avec ses deux villages surpeuplés de gens du haut et de gens du bas, avec ses deux églises pleines de monde au moindre salut de semaine, on songeait que peut-être Mgr Augouard lui-même n'avait pas, de son vivant, escompté si proche une pareille moisson.

Brazzaville est une cité de quelques 800 Européens dont bons nombres sont des chefs de services, de hauts fonctionnaires, des officiers supérieurs… D'où relations mondaines, égards obligés, réceptions fréquentes. Se tenir à l'écart eût été pour la mission une erreur de manœuvre presque aussi grave que la politique du pied de guerre et des couteaux tirés. Mgr Guichard non seulement sut aller dans le monde, mais il y brilla par son aménité, son information très sûre, sa finesse, ses dons de conteur et, lorsqu'il le voulait, d'ironiste de bon ton. On envia souvent son succès. En 1933, un officier, lui-même fort distingué, disait à l'un des pères de la mission : « Votre évêque ? C'est l'homme le plus représentatif que je connaisse. Il est prélat de la tête aux pieds, sans un effort, sans une fausse note. Dans les réunions les plus huppées, il nous tue tous. »

Et avec tout cela, il était jeune : moins de cinquante ans. Mais, à son dernier voyage en Europe, il avait été très fatigué et il était reparti pour le Congo sans s'être guéri. Même, il y avait du côté du cœur, des reins, du foie, d'alarmants symptômes d'usure. Il fit confiance à la Providence et il put ainsi gagner quelques années contre son mal, en s'arrangeant même pour n'en laisser rien voir.

Au cours de 1935, il fut obligé de capituler : il rentra amaigri, la démarche traînante, les épaules voûtées, la santé générale attaquée de quatre ou cinq côtés à la fois. Il s'accrochait à la vie : l'air de France a fait chez nous tellement de miracles que sur le sol de notre pays un peu d'espoir revient toujours.

Hélas ! l'évêque de Brazzaville était trop profondément touché et il y avait en lui des ruines qui ne pouvaient plus se refaire. En dépit des soins les plus dévoués et des traitements les plus compétents, il ne fit plus que baisser progressivement au milieu de douleurs physiques qui le martyrisaient.

A l'automne, il démissionna de sa charge, la confiant au P. Le Duc, qu'il fit nommer administrateur intérimaire et il ne voulut plus songer qu'à la mort, mais celle-ci fut cruelle et lente. Personne n'aurait cru qu'il vivrait jusqu'aux Pâques de 1936 : les bons offices qu'il reçut dans sa propre famille, à 7 kilomètres de nos confrères de Piré, prolongèrent ses jours et lui permirent de connaître avant de quitter cette terre deux ultimes joies. la première fut celle de se voir, en janvier, remettre la Croix de la Légion d'honner par son ancien condisciple et ami, Mgr Serrant, l'évêque de Saint-Brieuc. La seconde lui fut ménagée deux mois plus tard et ce fut de saluer en la personne de Mgr Biéchy le nouveau titulaire du siège qu'il avait occupé quatorze ans.

A bout de forces et de souffrances, il est mort près de sa mère, dans sa maison de Corps-Nuds, le 27 avril 1936, pieusement, en un acte de suprême patience et en une surabondance de douloureux mérites. -
Maurice Briault - A., juin 1936.

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