Le R.P. James HEARNE[3] de la Congrégation du St Esprit – 1910 - 1962 Le Mauricien Mardi 31/7/1962
Né le 28 / 08 / 1910 à Stockport, diocèse de Salford (England) ; premiers vœux à Neufgrange, le 08 /09 / 1932 ; vœux perpétuels à Chevilly, le 05 / 10 / 1935 ; diacre à Chevilly, le 04 / 07 / 1937 ; prêtre à Chevilly, le 03 / 10 / 1937 ; Il a travaillé à Maurice du 09 / 11 / 1946 jusqu’à sa mort : le 28 / 07 / 1962, âgé de 51 ans, après 29 ans de Profession ; il est enterré à Ste Croix .

Le plus grand hommage que l’on puisse rendre à un être cher qui s’en va pour toujours, n’est-ce pas celui-ci : « il a été bon ? »

Ceux qui ont assisté aux obsèques grandioses du Père Hearne, à la Cathédrale de Port Louis, le samedi 28 juillet 1962 ont pu se demander qui était ce prêtre accompagné à sa dernière demeure par 40 prêtres, ses confrères et porté triomphalement par des disciples dont le chagrin ravageait les visages. Nous allons essayer d’en esquisser la physionomie .

Le Père Hearne arrivait à l’île Maurice, jeune prêtre de 23 ans en l’année 1938 et après un vicariat de quelques mois à la paroisse de l’Immaculée, il fut placé à celle de la Cathédrale de Port Louis . C’est là qu’il devait donner, en quelques années, toute sa mesure . Une infirmité le gênait beaucoup : une myopie extrême qui l’obligeait à porter de très grosses lunettes en défigurant son visage un peu vieilli, mais si rempli de bonté native .

Tout de suite, il demanda à son curé la permission de s’occuper des enfants pour lesquels, disait-il, il avait du goût et des dispositions particulières . C’était vrai . Durant son séminaire à Chevilly, près de Paris, il avait été appliqué à des heures de patronage groupant des élèves des écoles laïques de Villejuif, issus d’un milieu communiste et anti-clérical .

Le Père avait même pris un certain accent parisien et parlait l’argot des écoliers de la capitale avec virtuosité . Il se montrait un prêtre pieux, docile et un bon confrère dans la communauté des prêtres de la Cathédrale . Jamais on n’eut le moindre reproche à lui faire .

Au bout de quelques mois, il avait formé des groupes de Cœur Vaillant et Ames Vaillantes, les premiers qu’on eut fondés à Maurice . Les terrains de jeu faisaient défaut . Il installa ses garçons au Champ de Mars, quêtant inlassablement pour leur procurer des ballons de football, des filets, des poteaux de but, aidé par la complaisance des Port-Louisiens .

Son cœur généreux était attentif à toutes les misères physiques et morales qu’il rencontrait . Il fut, entre autres, sensible à la faim qui travaillait l’estomac de ces petits pauvres qui ne mangeaient pas à leur satisfaction . Pour eux, il inventa le dîner des petits pauvres . On servait ce dîner à «l’Union Catholique», rue du Gouvernement . Toute la paroisse de la Cathédrale s’intéressa aux « petits pauvres » . On installa une cuisine, on fabriqua des tables et des bancs, et des servantes bénévoles venaient travailler « gratis pro Deo », fières de se mettre au service des pauvres, les membres souffrants de Jésus-Christ . Plusieurs de ses servantes volontaires appartenaient parfois au meilleures familles de l’île qui étaient en séjour en ville pendant la saison . La générosité gagnait tout le monde, animée par ce petit prêtre bégayant dont le grand cœur se répandait par contagion . Le Maire, l’honorable Edgar Laurent, donna toutes les autorisations nécessaires . Des boîtes cadenassées furent entreposées dans tous les magasins avec l’inscription : «Pour le repas des petits pauvres .» Chacun savait ce que cela signifiait, et Raoul Rivet l’expliqua un jour dans «Le Mauricien . »

La grande âme de Mgr Leen ne pouvait rester insensible à une si noble entreprise . Le Père James lui dit un jour : « Ah, si j’avais un local pour un orphelinat ! » Or, l’ancienne résidence des Pères Jésuites, rue Mgr Gonin, grande bâtisse désaffectée, ne servait guère, sinon de pied-à-terre, au Missionnaire de la Mission Indienne . Par suite d’un arrangement avec le Père Lapeyre, Supérieur des Jésuite, la maison de la Rue Mgr Gonin fut attribuée au Père Hearne . Des lits furent trouvés, avec de vieux placards, des armoires boiteuses, quelques tables, et d’un seul coup vingt orphelins furent logés presque convenablement .

Toutefois les locaux de «l’Union Catholique» continuaient à être mis à réquisition, grâce à la bienveillance des messieurs de «l’Union Catholique», MM Jean Hein, de la Giroday, Marcel Rault . Le Père Hearne ayant rassemblé des professeurs bénévoles, non rétribués, y organisa des cours du soir, où des dizaines d’apprentis, de chômeurs et d’ouvriers venaient compléter leur instruction primaire. Puis ce fut des cours techniques de menuiserie et de charpenterie, jusqu’au jour où les ateliers durent être transférés à la rue Mgr Gonin .

L’orphelinat Père Laval était crée . Le 14 septembre 1941, aux fêtes du Père Laval, une plaque fut inaugurée à l’entrée de la porte d’entourage, plaque ainsi conçue : Orphelin apprentis du Père Laval .

Pour commémorer l’arrivée du Père Laval à Port Louis le 14 septembre 1841. Plaque apposée par l’Honorable Dr Edgar Laurent, Maire de Port Louis, sous la Présidence de sa grâce Mgr Leen, Archévêque, Evêque de Port Louis le 14 septembre 1941 .

La cérémonie revêtit un certain faste et M. Edgar Laurent prononça un très beau discours . Le Père Hearne, effacé dans l’auditoire, jubilait de tout son cœur, après avoir été si souvent à la peine . L’Orphelinat est devenu depuis le Foyer Père Laval .

Les activités du Père Hearne ne se comptent plus . Il était naturellement chargé des enfants de chœur de la Cathédrale . Voici comment l’un de ses anciens enfants de chœur parle de lui : « Le Père Hearne est l’homme qui a eu vraiment de la patience pour enseigner aux enfants de chœur le service de la messe, non seulement de la messe basse, mais aussi de la Messe Pontificale » .

« Je n’oublierai jamais ces rencontres matinales du prêtre et de l’enfant de chœur que j’étais, rencontres qui m’ont donné le goût de la messe quotidienne et de la vie liturgique de l’Eglise . A la veille d’une grande cérémonie, il était très présent pour les enseigner comment servir sans la moindre faute, et le jour de la fête, il veillait encore à l’exactitude . Je ne travaillais pas encore, et le Père Hearne n’hésitait pas à me donner une paire de chaussures pour que je ne marche pas pieds nus . Je n’oublierai jamais le geste de charité, de cet apôtre des pauvres . En quittant sa tombe, hier, j’ai offert au Bon Dieu, mon fils unique qui n’a pas encore six mois, pour que, lui aussi, il remplace un jour le prêtre qui meurt . »

Depuis la création de l’Orphelinat Père Laval, Le P. Hearne devait trouver une collaboratrice dévouée en Melle Thérèse Espérance, qui depuis n’a jamais cessé de quêter en faveur de l’Orphelinat .

Un enfant du Père Hearne écrit ce qui suit : « Le Père a connu de durs moments dans la fondation de son orphelinat, et quand ses enfants venaient se plaindre qu’il n’y avait pas le sou pour acheter quelque chose au marché, il répondait : « La Providence est là » . Et la Providence, en effet, ne l’a jamais abandonné . Bien des veuves trouvaient dans le Père Hearne conseil et consolation . Il ne craignait pas de recommander les orphelines qui avaient passé le stage primaire au directeur ou à la directrice d’un collège, afin de leur permettre, malgré leur pauvreté, de poursuivre leurs études . Quand, un jour, quelqu’un lui conseillait de partir pour l’ Angleterre pour se faire soigner, il répondit : « En Angleterre, je n’ai plus de parents, excepté une sœur religieuse . Ici, j’ai toute ma famille » . Et sa famille, c’était ses anciens orphelins . C’était pour lui un réel plaisir quand il rendait visite à tel ou tel orphelin et il se réjouissait du bonheur de celui-ci ou de celui-là . Pour nous, les anciens, sa disparition est vivement cruelle . Les souvenirs trop nombreux sont gravés dans nos cœurs . Comment l’oublier ? C’est une chose impossible . Cependant, il nous faut signaler la bonté avec laquelle il fut accueilli par certains directeurs d’établissements . Le Collège Bhujoharry et la Grammar School de Mr Luchman recevaient les enfants du Père Hearne et les admettaient gratuitement. Un autre bienfaiteur des orphelins, Mr Emile Desvaux, de l’Albion Dock, acceptait ses enfants dans la grande firme si connue des Mauriciens . Ils y sont actuellement au nombre de huit, dont six pères de famille . D’autres garçons sont partis pour l’Angleterre avec, de lui, une recommandation . Une dizaine travaillent dans le département de la Police, au Secrétariat, chez Blyth Brothers, à la Douane, un peu partout » .

Toujours inlassable, le P. Hearne fonde, lui le premier, un groupe de J.O.C., une section de garçons et une autre de jeunes filles . Des manifestations sympathiques marquent la J.O.C. de cette époque, peut être rudimentaire, mais si pleine d’entrain . On se souviendra du mariage de M. F.S. à une messe solennelle à la Cathédrale où tous les assistants communièrent pour les nouveaux époux.

Peu à peu, le P. Hearne devient un homme de la Cité très apprécié d’hommes publics comme MM. Edgar Laurent et Gabriel Martial . Il fait partie de la Commission des Pauvres, du Probation Committee chargé de juger les jeunes délinquants . Il est encore aumônier des prisons et il va dire la messe à la Pointe aux Canonniers, siège du Réformatoire des jeunes délinquants .

Sait-on qu’il créa, encore lui le premier, le premier Présidium de la Légion de Marie ? Lorsque Edel Quinn vint chez nous en 1939, elle trouva à la Cathédrale un Présidium qui marchait sous sa direction, celui de Notre Dame de Victoires, encore vivant. C’était un groupe exclusivement composé d’hommes, chargé comme principale activité de mettre de l’ordre dans l’église avant et pendant les Offices . Les jeunes gens qui s’attardaient sur le perron à fumer une dernière cigarette étaient priés fermement et très courtoisement d’entrer et ils étaient conduits à une place réservée dans la nef . La police du culte avait comme consignes d’être ferme mais bienveillante, d’autant mieux qu’elle était exercée par des messieurs comme MM. Constantin, notaire, Camal Boudou et d’autres dont les noms nous échappent . Miss Quinn les félicita et les donna en exemple .

Derrière toutes ces activités, on sentait l’impulsion de quelqu’un qui restait plus ou moins clandestin . La modestie fut toujours la caractéristique du cher Père . Il était l’homme de l’obscurité et il en avait conscience . A cause de sa myopie qui l’empêchait parfois de reconnaître son partenaire, à cause d’un bégaiement natif, parce que, surtout, il n’accordait aucun intérêt aux mondanités, il passait parfois pour mépriser les conventions qui ont ici, à Maurice, tant d’importance . Lui, il s’en moquait . Aussi il vit des bourses se fermer et il en éprouva du chagrin, en pensant à ses petits pauvres et à ses orphelins . Il n’ambitionna jamais de devenir un personnage de premier plan . Ses supérieurs n’y pensaient pas davantage, et ils semblaient ignorer autant que lui ses qualités . Tout le temps, il fut un homme humble et effacé . Il ressemblait à St. Vincent de Paul et à St. Jean Bosco .

C’est ce qui fut dit, au soir de ses obsèques, dans l’école de Sainte Croix, où ses amis intimes se réunirent dans une salle de classe pour évoquer son souvenir une dernière fois, et donner chacun un élément pour sa notice nécrologique . Il y avait parmi ses disciples des hommes parvenus à des situations respectables qui disaient : « Le Père nous a formés . C’est à lui que nous devons tout . Il faut le dire » . Une femme dit : « Moi j’étais guide et mon mari fut scout . Notre mariage s’est fait tout seul, grâce au Père Hearne . » Un autre : « Après le Père Laval, y a-t-il un autre qui eut davantage son esprit ? »

Terminons par ce mot décisif : le Père Hearne fut un apôtre à la mode du Père Laval .

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