Le P. Aloyse HEIDMANN,
de la Province de France, décédé à Neufgrange, le 23 janvier 1949,
à l'âge de 69 ans et après 48 années de profession.


Le P. Heidmann naquit le 28 janvier 1888, à Moosch, gros village industriel de la riante vallée de Saint-Amarin, dans le Haut-Rhin. Ses parents étaient des chrétiens fervents et convaincus; dans leur foyer on vivait en chrétien et leurs enfants, dès leur bas âge, étaient élevés dans cet esprit foncièrement chrétien qui faisait l'honneur de notre catholique Alsace, il y a cinquante ans. Bien d'étonnant alors que le petit Aloïs enten­dît déjà tôt l'appel du Maître d'aller travailler dans sa vigne, et pour cela il voulût devenir missionnaire.

En 1901 il demanda l'admission à l'Ecole apostolique de Saverne, récemment fondée. En ce temps l'école de Saverne ne présentait pas encore l'aspect qu'elle a aujourd'hui. On s'installait dans l'ancienne gendarmerie, comme on pouvait, mais cette installation de fortune contribua, pour une bonne part, à former des caractères d'une bonne trempe et des vocations solides. Les maîtres d'alors savaient inculquer à leurs jeunes élèves un amour profond de leur vocation et de la Congrégation. Pourrait-il en être autrement en cet endroit où Notre Vénérable Père a vu le jour et où les jeunes apostoliques foulent le même sol et courent les mêmes forêts, où déjà Jacob, le jeune fils du rabbin de Saverne prenait ses ébats. « Doué d'une bonne intelligence, élève très sérieux, travailleur, franc, sans affec­tation », voilà comment un ancien professeur du P. Heidmann jugeait son élève. Il va de soi qu'avec ces qualités, l'élève Heidmann poursuivait nor­malement le cycle des études secondaires à Saverne, ensuite à Knechtsteden.

En 1909-1910 il fait le noviciat à Neufgrange, puis retourne à Knecht­steden. Sans accroc il reçoit les différents ordres; en 1914 il est prêtre, l'année suivante il fait sa Consécration à l'Apostolat, en pleine guerre; ainsi son ardent désir d'aller en mission ne pouvait pas trouver de réali­sation immédiate; on lui confia une classe à Saverne. Mais l'empereur Guillaume avait grand besoin de soldats et le P. Heidmann fut mobilisé et même envoyé au front. A Reims, revolver en main, il devait garder des canons; ce métier n'était pas du goût du Père; ses mains trop inhabiles pour manier des armes, son caractère trop doux pour tuer des hommes le faisaient juger indigne de la vie militaire : il est renvoyé dans ses foyers. Sans regrets il quitte les effets militaires et revient à Saverne.

En 1920 la Congrégation ouvre la Maison de Blotzheim; dès la rentrée des classes, en octobre, commence l'école apostolique pour les basses classes; on espérait pouvoir recueillir beaucoup de bonnes vocations dans le Haut-Rhin - l'avenir a montré la justesse de ces vues - Dès le début nous y trouvons le P. Heidmann comme professeur. Mais, décidément la vie de professeur ne lui allait pas; son désir des Missions le reprend; il vent, à tout prix, se dépenser au premier front de l'Eglise. En 1923, il part pour le Kilimanjaro : il est au comble de la joie.

C'est la Mission de Garé qui l'accueille, une des plus difliciles du Vicariat. Située dans une région de hautes montagnes, fondée par les Trap­pistes de Marienhill, cette Mission n'a jamais été très florissante. Les mis­sionnaires cultivaient la terre, faisaient du jardinage; l'évangélisation proprement dite ne progressait qu'à petits pas, non par la faute des missionnaires, mais parce que la tribu de ces nobles et fiers montagnards montrait peu d'empressement à quitter ses coutumes ancestrales et à embrasser la religion chrétienne; de caractère très méfiant, elle restait à distance. Le P. Heidman, par sa bonté naturelle, tâchait de gagner ces âmes frustres et l'évangélisation eu profitait; les enfants surtout lui restaient très attachés, et quand, en 1925, il fut appelé à diriger la Mission de Mashati, on ne le voyait partir qu'à grands regrets, tant son influence s'était déjà fait sentir.

Maintenant le P. Heidmann a eu le temps d'apprendre le kiswahili et d'étudier la mentalité et les coutumes des Noirs : il est à même de donner sa mesure. Sous son impulsion constante et intelligente, la Mission de Mashati prenait de l'essor et, en quelques années, devenait une des plus belles du Vicariat. La population de Mashati avait, du reste, bien vite remarqué les qualités du Père; une population simple, attachée au prêtre comme une bonne paroisse de sa chère Alsace; les gens de Mashati et d'Useri - l'annexe - aimaient beaucoup leur Père, ce prêtre zélé, affable, toujours à son poste, toujours abordable, prêt à écouter leurs interminables « shauris »; excellent prédicateur, pratique et avant tout surnaturel, c'est là qu'il faut chercher le secret de son succès : le P. Heidmann était, avant tout, un prêtre surnaturel qui aimait les âmes et qui, par tout moyen, voulait les diriger dans la bonne voie du ciel.

A côté du spirituel le Père ne négligeait pas le matériel,, il cultivait un jardin potager avec raisins et fruits; il ne cachait pas son méconten­tement quand, après une absence assez prolongée, son remplaçant laissait pousser, probablement à dessein, chiendents et mauvaises herbes dans ce domaine qu'il estimait, à bon droit, indispensable an fonctionnement nor­mal d'une Mission, sans oublier l'apport appréciable pour la caisse. Tout en travaillant à Mashati, il construisit la première église à l'annexe Saint­Jean-Baptiste d'Useri. S. Exe. Mgr Munsch, ancien vicaire apostolique du Kilimanjaro, vint lui-même bénir cette église, au milieu d'une chrétienté en liesse.

Survint la guerre en 1939 et avec elle un bouleversement dans nos ,Nlissions de l’Afrique orientale. Les Anglais, pendant tout le temps des hostilités, ne toléraient pas qu’un sujet allemand soit directeur d'une Mission dans leur Tanganyika Territory. Or, dans le Sud, à Peramiho, à Lindi, les Bénédictins bavarois dirigeaient des Missions très florissantes, et ces Missions il fallait les tenir à tout prix. Le Délégué apostolique faisait donc appel à la bonne volonté des Pères spiritains d'origine alsacienne, irlandaise, hollandaise; le P. Heidmann fut du nombre de ceux qui durent quitter leur chrétienté pour aller continuer l'oeuvre des Pères allemands et développer leurs Missions, pour la plupart assez ferventes et nombreuses, il passa ainsi sept ans parmi la tribu des Wagogoni à la Mission de Magu­gura.

Mais quelle joie pour les chrétiens de Mashati lorsque, en 1947, leur « Padri » revint au milieu deux! Elle fut de courte durée. Un an plus tard, le Père disait adieu à ses chers chrétiens et revenait en Alsace pour prendre un congé bien inérité. L'obéissance cependant l'envoya à Neuf­grange, où l'oeuvre des Frères - Triennat-Postulat - attendait un directeur expérimenté; sans hésitation il accepta et se mit résolument an travail, tout en gardant l'espoir de revoir son cher Mashati. Et de fait, l'assurance lui avait été donnée qu'il retournerait an Kilimanjaro à la fin de l'année scolaire. La Providence en décida autrement.

Le climat un peu rude de notre Lorraine n'allait pas à sa santé déjà ébranlée par le long séjour dans les pays chauds; vers le milieu du mois de janvier la grippe le guettait; le Père garda la chambre tout en vaquant a ses occupations les plus urgentes; le vendredi 21, vers le soir, une forte crise cardiaque se déclare; le médecin, mandé en hâte, ausculte le malade, prescrit des médicaments; le samedi 22, sentant ses forces décliner, le Père demande les derniers sacrements, qu'il reçoit en pleine lucidité d'esprit; lui-mème répond à toutes les prières.

Vers 9 heures, une nouvelle crise, le docteur tente encore une dernière piqûre, mais dix minutes après le coeur s'arrête et le Père rend sa belle âme a Dieu. Selon le témoignage d'un de ses amis qui l'a connu de près, la Congrégation a perdu en lui « un missionnaire magnifique, un excellent religieux ».

Puisse l'Alsace catholique nous en donner encore beaucoup de mission­naires de cette trempe et de la valeur du P. Heidmann 1

Une vie, en somme, sans grande histoire, ni même sans grandes histoires, mais an fond, ces vies, faites tout entières de simplicité, d'obéis­sance, de dévouement, de travail obscur, ne sont-elles pas à ranger parmi les meilleurs d'entre nous ?
F. A.

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