Le Père Paul HERRY,
1879-1907


Cette notice biographique a été rédigée par le Père Amet Limbour, originaire de Pont-Aven (1841-1915).

1) - Les débuts.

- Le P. Paul Herry naquit à St-Pol-de-Léon le 31 mai 1877. Privé dès son bas âge des soins affectueux de la famille, le petit Paul s'attira, par sa piété et sa physionomie douce et intelligente, la bienveillance d'âmes charitables qui le placèrent vers l'âge de onze ans à l'école de St-Michel-de-Priziac, près de Langonnet.

Les mêmes indices heureux qui avaient frappé ses bienfaiteurs de St-Pol attirèrent aussi l'attention de ses maîtres de Saint Michel ; ils n'eurent garde de les négliger. Le bon Frère Agathange lui donna les premiers principes de latin, et le Père Juillard le fit admettre dans l'école apostolique des Clercs de StJoseph à Seyssinet, en octobre 1891. Il y fait ses classes de sixième et de cinquième, et passe au scolasticat de Blackrock (Irlande). Concurremment avec les classiques latins et grecs, il se familiarise avec les auteurs anglais, dont la connaissance lui sera si utile pour se dévouer aux Missions de langue anglaise en Afrique. Dans sa lettre de demande d'admission dans la Congrégation, il déclare formellement que le mobile qui l'y porte, c'est de se dévouer tout entier au salut des pauvres âmes abandonnées du continent africain.

Il désire prendre en religion le nom de Joseph, pour le double motif et de sa qualité de clerc de St-Joseph, et du fait que saint Joseph a le premier porté le divin Jésus en Afrique, lors de la fuite de la sainte famille en Egypte. Sa demande fut exaucée. Paul fut admis à l'oblation le 23 mars 1893, à Blackrock, et reçut en religion le nom de Joseph.

Après avoir terminé ses études littéraires, M. Herry demeura encore à Blackrock, en qualité de "préfet", c'est-à-dire d'employé au collège, tant à la surveillance des élèves qu'à des cours spéciaux. Il ne laissa ces fonctions que pour rentrer en France et satisfaire à la loi militaire, et, son année de service accomplie à Brest (1898-99), il entra au noviciat de Grignon d'Orly, où il fit la profession le 11 octobre 1900.

Au noviciat succède le scolasticat, avec la réception des saints Ordres. Ordonné prêtre par Mgr Augouard, le samedi de la Passion, 28 mars 1903, il fit sa consécration à l'apostolat le 12 juillet suivant,. et partit en octobre pour la mission de Bas-Nïger, Nigérie anglaise

2). -Dékina.

A son arrivée en Nigérie, novembre 1903, le Père Herry reçut pour destination la nouvelle Mission encore en état de fondation sur la Bénoué, à Dékina, la Mission de Ste-Croix, vocable prophétique qui se devait trop littéralement réaliser. Les PP. Lejeune et Joseph Lichtenberger se dévouaient à cette création, dans le dessein de porter la foi chez les tribus sauvages des Bassas, des Isangas et des Okpotos. Ces derniers surtout s'étaient acquis une réputalion trop méritée de férocité et de cannibalisme incorrigibles.

Un certain prédicant anglais leur envoya un jour son catéchiste indigène pour leur annoncer sa visite prochaine : "Bientôt, leur dit-il, vous honorera de sa visite le grand chef de la religion des Blancs."

Et voici quelle réponse lui fut faite: " Si ton grand chef tient à garder sa grande tête sur ses grandes épaules, qu'il se garde avant tout de mettre ses grands pieds dans la grande forêt. Il se le tint pour dit. Mais le P. Lejeune n'était pas homme à se laisser effrayer par ces menaces, ni par aucunes menaces. Il projeta une Mission dans la Haute-Bénoué, au coeur même des plus féroces tribus. Des conseils de prudence l'amenèrent à créer au préalable des postes échelonnés le long de l'immense cours d'eau, Dékina sur la rive gauche parut convenir pour la première station ; les chefs pressèrent les missionnaires catholiques de s'établir au milieu d'eux ; ils leur bâtirent même deux cases rondes; on s'y établit dans l'été de 1903. Le P. Herry reçoit avec joie sa destination pour cette station. Sa connaissance de l'anglais lui servira sans doute, mais fort peu auprès des indigènes. Il faut apprendre leurs langues, le haoussa, l'okpolo, et il s'y met.

3) - Soulèvement des Okpotos.

- Les Anglais avaient un fort à Dekina, avec une cinquantaine de soldats commandés par le lieutenant Burney. L'administrateur résident est le capitaine Riordan. Ils ont formé une colonne qui a remonté la Bénoué, dans le but de régler des difficultés survenues chez les Bassas et les Okpotos. Ces derniers se sont rendu compte de l'infériorité de la colonne, l'ont assaillie et massacrée. Les deux officiers anglais Riordan et Burney tombent les preriiiers. Cependant un policeman de l'expédition a pu s'échapper et courir à Dékina, où il répand l'alarme, en annonçant que les Okpotos sont en marche sur la ville. Sur ces nouvelles du policeman, les deux PP. Lichtenberger et Herry tiennent conseil et décident que le premier demeurera dans Dékina, pendant que le second, bravant la mort, s'en ira à travers les pays revoltés faire appel à la colonie anglaise de Lokodja. "Voilà deux héros " dit le P. Lejeune.

Une seconde colonne formée à Lokodja sous les ordres du major Méric, forte de 500 hommes, se porte en avant, atteint à temps Dékina, et marche contre les Okpotos. Dans une première rencontre le 23 janvier 1904, elle perd 30, hommes tués et compte un grand nombre de blessés. Le 31, elle repart d'Ida, et revient sans avoir pu pénétrer. Enfin elle se remit en marche une troisième fois, et détruisit la ville d'Aupka : ces représailles parurent suffisantes. La constitution du P. Herry n'était pas à la hauteur de telles secousses. On craignit, non sans raison, les prodrômes de la tuberculose. Le Père Brey fut envoyé de France pour prendre sa place. Hélas! ils allaient ensemble assister à la ruine de leur chère Mission.

4) -Après la guerre, l'incendie.

- L'une des plus désastreuses conséquences de cette insurrection des Okpotos fut le complet incendie de la ville et de la Mission de Dékina. Le dimanche 31 janvier 1904, à 10 heures du matin, le feu prend dans les hautes herbes sèches, à un kilomètre est du village, par quelles mains coupables, on ne le saura jamais. Le vent souffle avec violence et pousse les flammes sur les maisons aux toits de chaume. En vingt minutes, elles ont dévoré leur proie, et Dékina ne présente plus que quelques pans de murs d'argile, quelques poteaux qui fument encore et un monceau de cendres. " Nos huttes furent si vite consumées, écrit le P. Herry, que nous n'en pûmes sauver que l'autel portatif, la malle du P Brey et la mienne. Nos bréviaires, papiers, provisions et effets, tout, absolument tout, a été détruit. Nous nous assîmes tristement sur nos malles, et là, en plein soleil, on délibéra sur le parti à prendre. Nous étions trois, les PP. Lichtenberger, Brey et moi. Dépourvus de tout, sans abri et sans provisions, on ne vit qu'un parti possible, descendre à Onitsha. Nous allâmes voir le chef pour lui annoncer notre départ, et le prier de nous fournir quelques porteurs, à quoi il accéda sur le champ. Au moment du départ, il vint lui-même nous dire au revoir, insistant de son mieux pour notre prochain retour. On confia à sa garde une ou deux chèvres, avec quelques poules qui avaient échappé au désastre, lui donnant ainsi la preuve de nos bonnes intentions de revenir, dès que la Providence nous le permettrait.

A 5 heures du soir, nous nous mettons en route pour Mosouni, sur la Bénoué. Le voyage fut très pénible, surtout pour le P. Lichtenberger et moi qui avions perdu nos chaussures dans Pincendie. Vers 10 heures et demie de la nuit, nous arrivons à Oudougbo, à sept kilomètres en amont de Mosouni. La fatigue nous oblige à faire halte, et nous nous installons sur la place du marché. A jeun depuis le matin, nous nous sentions l'appétit aussi fort que nos provisions étaient nulles. Le chef du village vint à notre secours. Il nous fit apporter du bois pour faire du feu, et quelques ignames. Le P. Lichtenberger se chargea de faire la soupe. Mais comment la manger ? Nous n'avions qu'une seule assiette : on la donna au P. Brey ; je pris le couvercle de la casserole, et le P. Lichtenberger la casserole elle-même.

Le lendemain matin, ler février, à 6 heures, nous étions de nouveau en route, et à Mosouni avant 8 heures. Après bien des péripéties nous pouvions quitter cette localité vers 1 heure, et à 6 heures du soir, nous étions à Lokodja. La Niger Company nous offrit l'hospitalité pour la nuit. Le lendemain, le Gouvernement nous donna le passage gratuit sur son bateau-poste, et le 4 février, à 3 heures, nous étions dans les bras de nos confrères à Onitsha. . Après les premiers épanchements et l'accueil le plus prévenant, vint le récit de nos malheurs. Puis se tint un nouveau conseil de Mission, dans lequel, tout découragement écarté, il est résolu que l'on reprendra la station.

5) - On restaure Dékina.

- Dès les premiers jours de mars, le Père Joseph Lichtenberger est à Dekina, où les officiers anglais s'empressent de lui faire le meilleur accueil et de lui prêter assistance. Sir F. Lugar, haut commissaire qui réside à Zoungourou, lui envoie ses plus énergiques félicitations et ses encouragements.

Samedi matin, écrit le P. Lichtenberger, j'ai été prié par le Résident de faire la cérémonie d'inhumation du pauvre capitaine Riordan, qui était catholique. Le soir, à 4 heures, tous les officiers m'attendaient dans la cour de justice. Les cercueils du capitaine Riordan et du lieutenant Burney étaient- là, recouverts du drapeau national, sur deux affûts de canon. J'avais une vingtaine de jeunes gens catholiques autour de moi, la plupart d'Onitsha. Surplis et étole noire, rituel et eau bénite, rien ne manque. Nous chantons le Libera et le Benedictus. Le profond recueillement de l'assistance atteste combien est touchante cette majestueuse simplicité.

Le ministre protestant a procédé à l'inhumation du lieutenant Burney. C'est à grand'peine que l'on a pu recueillir quelques restes, les os sans doute, de ces malheureux officiers. Leurs chairs ont été, suivant l'opinion générale, la proie des cannibales Okpotos.

Le 28 avril, le P. Herry put aller rejoindre le P. Lichtenberger. Les cases ont été rebâties, avec le concours du chef du village, et voici que les Pères font de nouveau appel aux indigènes, Bassas, Igaras, Okpotos, pour venir entendre la parole de Dieu. Le P. Shanahan, qui a succédé au P. Lejeune à la tête de la Préfecture apostolique, est monté à Dékina en vue de prendre la place du P. Herry, qui doit retourner en France. C'est alors que des ordres supérieurs leur arrivèrent d'avoir à abandonner, au moins pour un temps, la station de Ste-Croix. Le P. Shanahan va nous dire leurs sentiments en un rapport où il rend témoignage aux qualités du Père Herry et lui paie en même temps le tribut de ses regrets.

6) - Derniers Adieux.

- La Mission perd dans le P. Herry, non seulement un missionnaire zélé, mais encore le modèle du saint prêtre et du fervent religieux. Nul n'a jamais entendu tomber de ses lèvres une parole contraire à la charité; jamais une plainte en face des mille épreuves et misères dont la vie du missionnaire est sans cesse traversée. A Dékina, où il passa près de deux ans, on vivait dans une pauvreté extrême. Il nous fallait nous-mêmes laver notre linge, faire la cuisine, le nettoyage, le service d'eau... A 7 heures du matin, chacun s'armait de ses outils pour aller, jusqu'au déjeuner, défricher la brousse. Le semainier rentrait à 11 heures pour préparer le repas, un repas d'anachorètes, bien entendu, qu'arrosait en guise de vin une fermentation de mWfs. Les heures brûlantes de la journée, de midi à 3 heures, étaient consacrées à l'étude des langues indigènes, haoussa et okpoto. Deux fois la semaine, on s'aventurait en courses apostoliques pour prendre contact avec la population. Au milieu de ces occupations, le P. Herry ne perdait nullement sa gaieté toujours enjouée, qui charmait ses confrères. Il aimait le soir, aux beaux clairs de lune de ce ciel si pur, à nous chanter les mélodies de Botrel entremêlées aux cantiques bretons, qui produisaient toujours sur son âme celtique de si profondes impressions.

Cependant tout le zèle et l'esprit de persuasion des missionnaires ne venaient pas à bout d'entamer l'âme cristallisée des Haoussas musulmans. Une heure vint où il fallut, sur des ordres formels, replier sa tente pour regagner Onitsha.

Il n'est rien qui puisse égaler la douleur du missionnaire, lorsqu'il se voit dans la nécessité de quitter une station où il a beaucoup travaillé, beaucoup souffert. On dirait que chaque goutte de sa sueur tombée sur le sol, chaque larme, chaque prière, y projettent autant de racines qui fixent l'apôtre à son poste. On comprend alors que le coeur lui saigne lorsqu'il lui faut le quitter. Plus que bien d'autres, ce jeune missionnaire au coeur si sensible, qui sentait déjà ses forces épuisées sur ce premier champ de son apostolat.

Je n'oublierai jamais cet instant pénible où, s'arrêtant sur le sommet de la colline de Roko, le P. Herry se retourna pour jeter un dernier regard sur Dékina, et lui adresser un dernier adieu... Pendant les longues heures de marche qui suivirent, nul ne proféra une parole, tant chacun avait le coeur gros.

7) - Retour en France et dernière maladie.

Le 16 mai 1906, le P. Herry rentre en France avec le P. Shanahan ; il consulte à Paris les médecins en renom sur l'affection qui le mine, sans recevoir d'aucun d'eux l'espoir de sa guérison. Il fait alors le pèlerinage de N.-D. de Lourdes, où il puise des grâces de consolation et de pieuse résignation à la volonté du bon Dieu. Un voyage en changement d'air, au pays natal de St-Pol-de-Léon, n'eut pas de résultats meilleurs; au contraire, on remarqua que le voisinage de l'Océan était plutôt favorable au développement de la tuberculose. Encore qu'il fût sans doute bien tard, on voulut essayer une cure au sanatorium de Bligny (Seine-et-Oise). Les soins du Dr Guinard et de ses dévoués collaborateurs purent bien prolonger quelque peu celle frêle existence, mais demeurèrent impuissants à vaincre l'inexorable mal.

L'un de nos supérieurs l'étant allé visiter en février 1907, le cher P. Herry lui dit avec une courageuse simplicité : " 0 mon Père, je sens que c'est fini. Que je vous serais donc reconnaissant de me prendre avec vous ! Je désire ardemment mourir au sein de ma famille religieuse. "

Ce pieux désir fut exaucé. Sans trop de fatigue, le cher malade put revenir à Chevilly. Là il recouvra même un mieux qui lui permit d'entreprendre le voyage de la Bretagne, jusqu'à N.D. de Langonnet.

C'est dans ce pieux asilc que le cher P. Paul Herry a vu terminer ses souffrances. Voici en quels termes le Père Hassler rend compte de sa mort:

Le P. Herry a succombé le 5 août, à 6 heures et demie du soir, en la fête de N.-D. des Neiges, après une longue mais paisible agonie, sanctifiée par la prière et l'amoureuse soumission au bon plaisir de Dieu. La tuberculose qui l'a emporté lui a laissé sa parfaite connaissance jusqu'au dernier soupir. Il répétait fréquemment et avec une profonde piété les saints noms de Jésus, Marie, Joseph.

Je lui demandai s'il offrait sa vie pour les pauvres Noirs et pour les oeuvres de la Congrégation : Oh ! oui, de tout coeur, me répondit-il, surtout pour ma chère Mission du Bas-Niger, où j'aurais été si heureux de mourir. Mais je suis content aussi de mourir à N.D. de Langonnet, à côté de St-Michel-de-Priziac, où le bon Dieu m'a fait connaître ma sublime vocation. Qu'il en soit à jamais béni ! Et maintenant que sa sainte volonté soit faite ! Je m'abandonne entièrement à sa miséricorde.

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