Le P. Alfred HERZ,
décédé à Diégo-Suarez, le 20 juillet 1954,
à l'âge de 43 ans
BPF n° 69 p. 309-311


Le P. Alfred Herz, né le 16 janvier 1911, à Oberkirch (diocèse de Fribourg-en­Brisgau> de père badois et de mère alsacienne, fut naturali français après le traité de Versailles.

Il fit ses études secondaires à Saint-Florent de Saverne de 1924 1929 et fut admis au noviciat de Neufgrange où il fit profession, le septembre 1930. Ordonné prêtre à Chevilly, le 3 octobre 1937, il fit sa consécration le 3 juillet suivant et fut désigné pour Diégo-Suarez. suite de la tension internationale provoquée par l'occupation de Tchéco-Slovaquie, il ne put s'embarquer qu'à la fin de l'année.

Arrivé en janvier 1939 à Diégo-Suarez, il fut affecté à Antalaha il resta jusqu'à la mobilisation. Bien doué et plein de bonne volonté, se mit bien vite à l'étude de la langue, et au bout de six mois, il était capable de faire sa première tournée en brousse.

Bien que d'une constitution robuste, athlétique même - il fut toujours grand amateur de foot-ball et de tennis - il avait déjà dû fait soigner son foie en Europe; il eut donc à souffrir du climat tropical dès son arrivée, il subit plusieurs accès de fièvre sans être soulagé la quinine. Il était aussi affligé d'un abdomen qui lui donna parfois inquiétudes. Il aimait à raconter, avec de grands éclats de rire, une aventure qui lui advint à ce sujet. A Chevilly, il était allé un jour consul le docteur et lui demander un remède pour maigrir. « Prenez ces pi pilules lui dit l'homme de science, et revenez me voir dans une quinzaine jours ». « Ces pillules, raconte de P. Herz, me donnaient un appétit féroce, je mangeais, je mangeais tant et plus. Au bout de quinze jours il retourne chez le docteur et lui dis piteusement : « Vous savez, docteur, j'ai encore pris trois kilos. . . Ah! me répondit-il en riant, cessez de prendre les pilules, alors ! » C'est ce même abdomen qui fit croire à ses confrères, alors qu'il allait à Paris soigner une sinusite, qu'il se faisait pomper l'eau en excédent. Cette réputation le précéda si bien à Madagascar qu'à son arrivée quelqu'un lui dit : « Comment ferez-vous ici pour vous soigner ? »

Démobilisé définitivement après l'armistice de juin 40, il fut désigné pour la fondation de la mission d'Andapa. 11 devait rester à la été de cette station jusqu'en décembre 1945. Il continua à se perfectionner dans la langue malgache, étudia avec intérêt toujours accru les coutumes indigènes et se livra avec zèle à un ministère fructueux. Bien doué au point de vue musique, il apprit à cette jeune chrétienté, non seulement les chants malgaches, mais des messes en plain-chant et en nasique. Les enfants l'attiraient; il avait le don de les amuser, de les instruire ensuite et de les faire prier. Chaque matin, à la seconde messe, e nombreux enfants du catéchisme venaient réciter le chapelet pour a paix et la propagation de la vraie foi. Il faut croire que la formation qu'il leur donnait était bonne, car plusieurs de ces enfants entrèrent par ii suite soit au séminaire, soit comme postulantes chez les Soeurs

Le P. Herz aimait ses chrétiens et ses chrétiens l'aimaient; aussi, ce fut un coup dur pour lui comme pour eux quand un télégramme lui envoyait de e rendre à Maroantsetra. Si son coeur souffrit, son ministère e s'en ressentit cependant pas. Il s'adapta bien vite à sa nouvelle mission et s'y dépensa. sans compter, d'abord comme second, puis comme directeur.

La rébellion survenue en avril 1947 l'affecta passablement car quelques uns de ses chrétiens s'y trouvèrent impliqués. Mais le calme revenu, un son mouvement de conversions se dessina, de nombreuses chrétientés nouvelles furent fondées : le Père en parlait avec ravissement. Aussi, c'est presque à regret qu'il se décida à partir en congé en avril 1951, sachant qu'il ne reviendrait plus dans cette mission (qui est actuellement une des lus florissantes du Vicariat). Mais il y avait douze ans qu'il n'était pas venu en Europe, et il avait sérieusement besoin de repos. Bien soigné ai sa mère (qui devait mourir du cancer six mois avant lui) et sa soeur anne (que bien des confrères d'Alsace connaissent pour son dévouement à la cause des. missions, il se remit très rapidement et revint avec une mine des plus florissantes, en avril. 1952. Il fut nommé Ampanefena, récemment détaché de Vohémar, et où tout était à réer. Résolument il se mit à l'oeuvre, faisant des tournées très fréquentes formant des catéchistes et des inspecteurs, préparant des matériaux, pierres, parpaings, planches, pour la construction de l'église, 1 , pensionnat des Soeurs et la maison des Pères. Sa soeur Jeanne, quêtant (11 à droite et à gauche, l'aidait beaucoup, ainsi que sa paroisse d'origine de Strasbourg-Neuhof. A ce moment-là, personne, surtout pas lui, ne pensait que la mort le guettait et que le Bon Dieu s'apprêtait à le cueillit en plein travail.

Depuis mars dernier, il se plaignait de l'estomac; il ne digérait plus, il continua quand même ses tournées; c'était la période de Pâques, il ne pouvait s'arrêter. Mais bientôt les jambes enflèrent et force fut l'ère de venir consulter le médecin de Vohémar. On crut que c'était béribéri et on le soigna dans ce sens. Effectivement, l'enflure des jambes diminuait mais le teint demeurait terreux et le Père se sentait sans force

Le jour de la fête du Sacré-Coeur, se sentant plus mal, il se décida à prendre l'avion pour aller à Diégo-Suarez consulter un médecin européen. Celui-ci reconnut immédiatement la gravité de son cas : c'était l'hydropisie. Le P. Herz fut aussitôt hospitalisé et soumis à une médication énergique qui amena une certaine amélioration. Au bout de trois semaines d'hôpital, nous nous apprêtions à fêter le retour du Père; mais Di en avait décidé autrement. Le 20 juillet, vers 8 heures, le médecin téléphona à Monseigneur pour lui annoncer que le Père venait d'avoir u hémorragie. Le P. Carles partit aussitôt. Arrivé à l'hôpital, une infirmière l'attendait sur le pas de la porte et lui faisait des signes désespérés : le p. Herz venait d'avoir une seconde hémorragie et, déjà, il ne reconnaissait plus son confrère qui lui donna immédiatement une absolution générale et courut chercher les saintes Huiles. Quand il revint - moins de cinq minutes plus tard - tout était fini : le P. Herz avait expiré.

Un confrère, malade lui aussi, avait passé plusieurs semaines avec lui, et était sorti de l'hôpital quelques jours avant sa mort. « Même s na pu recevoir à temps les derniers sacrements, disait-il, je crois po voir dire que le P. Herz était prêt, car durant ces trois semaines q nous avons passées ensemble, ce fut un modèle de religieux. Étant seul dans la chambre, nous disions la messe chaque matin sur notre table, nous pouvions faire tous nos exercices religieux ensemble. Le P. Herz a pu dire sa messe tous les jours, sauf le dernier puisqu'il a eu son hémorragie juste au moment où il se préparait à célébrer. Nous récitions ensemble le rosaire, et lui-même avait la délicatesse de me lire l'évangile en ni gauche; on sentait qu'il connaissait bien cette langue et qu'il aimait parler. Nous lisions des livres de héros, « La guerre des femmes », jetais loin de me douter alors que lui disparaîtrait si vite comme héros caché, s'étant usé au jour le jour, pour ses malgaches qu'il affectionnait tant ».

L'annonce de cette mort plongea les chrétiens dans la plus profond tristesse, et bien des larmes coulèrent. Les confrères, eux aussi, étai Consternés en apprenant ce départ si inattendu. C'est que le P. H était doué du plus heureux caractère. Partout où il a passé, il a lai le meilleur souvenir. Il était sans égal pour égayer une conversation dérider les fronts soucieux. Il avait le don de retenir toutes les histoires drôles qu'il trouvait dans les journaux et revues; son répertoire était bien garni et il savait raconter de la façon la plus comique. Il est vrai qu'il commençait par rire lui-même, bien souvent avant de par-er, et son rire était irrésistible : il fallait rire avec lui. Il avait même traduit 11H malgache quelques-unes de ses histoires et il était intéressant d'écouter leurs commentaires. Mgr Fortineau connaissait bien cet heureux tempérarnent et dit un jour à un confrère « Il doit faire bon vivre avec un confrère pareil! »

Malgré cette gaieté, le Père eut lui aussi ses moments de tristesse. Il eut a souffrir de divergences de vue. d'incompréhensions de susceptibilités, et même de la méchanceté (car il fut bassement calomnié); mais Jamais il ne manifesta son chagrin : très rapidement, sa légendaire bonne humeur reprenait le dessus.

Pour terminer, signalons un talent du Père fort apprécié de ses confrères : celui de cuisinier. Dans nos pays, les cuisiniers de métier sont rares et d'un prix inabordable; on est obligé de se contenter de ce que l'on trouve. Le P. Herz s'était formé auprès de sa mère, connue comme l'in cordon bleu. Il avait retenu les leçons et était capable de préparer un menu varié avec gâteaux et crèmes, tout comme une bonne maîtresse de maison. Tous, nous apprécions un bon repas, mais quant à le préparer c est une autre histoire.

Le P. Herz n'a passé qu'une quinzaine d'années à Madagascar, trop peu de temps à notre gré, mais sa vie comme sa mort sont pour nous une leçon précieuse. Ce fut un bon religieux, pas triste du tout, un missionnaire zélé qui s'est donné tout entier à ses chrétiens. Puissions-nous, quand viendra notre heure dernière, regarder la mort en face, comme lui et, comme lui, disparaître sans bruit et sans ennuyer personne
D. S. et A. B.

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