M. Gabriel HUBSCHWERLIN
décédé à Chevilly, le 3 février 1985, à l'âge de 27 ans


Gabriel HUBSCHWERLIN est né le 30 septembre 1958 à Altkirch, dans le Sud de l'Alsace ; il avait donc vingt-six ans. accomplis. Ses parents étant établis à Lindsdorf, c'est là qu'il recevra sa première éducation, tant humaine que chrétienne.

Il entre en 1967 à l'école apostolique spiritaine de Blotzheim. si proche de chez lui et qui joue un si grand rôle dans le sens missionnaire de celle région. Après cinq années, il poursuivra ses études à l'école apostolique d'Haguenau. puis au foyer spiritain de Colmar qui vient d'être créé. Après une année comme éducateur à Blotzheim (en 1978-79), confirmant son projet de vie spiritaine, il entre dans la communauté de Vanves et suit le cursus normal du premier cycle du grand séminaire d'Issv-les-Moulineaux.

Selon le schéma ordinaire de notre formation supérieure des Spiritains français, il part en stage en septembre 1980 pour le Sénégal oriental, à la mission de Salémata, dans la Préfecture apostolique de Tambacounda. Comme !a grande majorité des jeunes stagiaires, il s'attache à la terre bassari, apprend quelques rudiments de la langue et apporte un grand soin à comprendre les coutumes.

En 1982, nous le retrouvons en France où il entreprend ses études du C.E.R.M. (Centre d'Études et de Recherches Missionnaires) : l'avenir semble clair, bien que Gaby m'ait alors confié que cette année devait être pour lui une année de discernement. Où le Seigneur l'appelle-t-il ? Est-ce vraiment dans la vie spiritaine ? C'est alors que, en même temps que ses compagnons d'études se posant honnêtement ces graves questions d'avenir, le Seigneur lui signifie que sa vie est ailleurs, la voie de la croix, de la souffrance, de la maladie.

Cela fait exactement deux ans, en février 1983, il me demande de le rencontrer un soir, « brièvement » me dit-il. Je savais qu'il avait vu un médecin, mais faut-il s'inquiéter chaque fois que quelqu'un rencontre un médecin ? Avec la calme assurance qu'on lui connaissait, il me regarda droit dans les yeux (guettant sans doute ma réaction) et me dit ce que le médecin pensait de son mal, avec l'éventualité, même la probabilité, que ce fut un cancer. J'ai béni Dieu ce soir-là de me trouver déjà assis sur une chaise. Lui proposant alors de l'annoncer à la communauté (il y avait alors six étudiants du C.E.R.M., quatre novices, le Père FERRON et moi même), il me signifia, n'attendant du reste aucune protestation de ma part, qu'il l'annoncerait lui-méme : ce qu'il fit. Inutile de vous décrire l'effet produit à cette réunion de communauté.

L'encourageant à se battre contre la maladie, à employer tous les moyens pour cela, lui affirmant (un peu naïvement) que je connais personnellement des cas étonnants de réussite, il me répondit très calmement qu'il était parfaitement résolu à " se battre il ne négligerait absolument rien pour cela, mais savait aussi que du cancer ... on en meurt. Ce qu'il tint encore absolument à me signifier alors, c'était son désir absolu que les autres n'aient pas à porter le poids de sa maladie ; de fait, il suivra le déroulement normal de sa formation, le mieux qu'il put.

Deux opérations successives et la chimiothérapie l'empêchèrent toutefois de terminer normalement le C.E.R.M. A cette époque, il demanda l'entrée au noviciat, mais en hésitant : " On n'entre pas cancéreux dans une congrégation religieuse ", me dit-il tout de go. Je lui répondis sur le même ton que c'était à la Congrégation de l'admettre ou non dans" l'état où il était, et que son problème à lui était de savoir si oui ou non il pensait que le Seigneur l'appelait à la vie spiritaine, avec nous, dans le service de la mission, quel que soit ce service. Cette réponse l'a satisfait, d'autant plus que d'autres voix plus autorisées que la mienne lui ont dit des choses équivalentes.

Son noviciat, commencé en septembre 1983, sera marqué au début par une lourde chimiothérapie et une nouvelle opération. Puis peu à peu les symptômes de la maladie s'estompent : il nous a appris qu'ils n'étaient qu'en sommeil. Noviciat normal, dirai-je, mais peut-être ramené pour nous aux réalités essentielles ; il y a des choses avec lesquelles on ne triche pas. Chacun de nous portait au fond du cœur l'angoisse du lendemain, mais aussi tant d'espoirs, peut-être d'espoirs fous ! Mais pourquoi pas ?

Une nouvelle alerte très sérieuse, en mai dernier, nous amena à envisager une fin prochaine : c'était une fausse alerte, du moins dans l'immédiat. C'est alors qu'on lui connut ce regard interrogateur et profond qui vous interdit toute réponse, mais qui est peut-ètre la porte d'une autre forme de communication : les mots sont dérisoires au jeu de la vie et de la mort. L'été dernier, je le définirai comme le temps de la veille, de l'attente : Gaby est tout entier vers sa profession religieuse à venir. Il sait que ce sera pour lui le sommet de sa vie terrestre. Ceux qui étaient avec nous dans cette chapelle de Chevilly, le 8 septembre dernier, l'ont senti jusqu'au fond d'eux-mêmes : chez Gaby, faire profession "pour trois ans dans la Congrégation du Saint-Esprit avait un goût amer pour nous, une saveur d'éternité pour lui. Qu'il me soit permis ici de rapporter un souvenir que je n'ai dévoilé à personne avant ce jour : le soir même de la profession. il me dit, avec sa franchise habituelle " Tu ne trouves pas que lorsque j'ai dit "pour trois ans", c'était un peu ridicule dans ma bouche ! ". Tout, dans cette célébration du 8 septembre avait eu une telle importance pour lui, le choix des textes liturgiques (que nous avons repris à ses obsèques), des chants, des signes.

Puis ensuite, je pense que l'on peut parier de la montée au calvaire, lente et inexorable. Si proches et si loin de lui, nous avons vécu ses révoltes, ses espérances, ses angoisses, sa soumission : souvent nous étions pantois ; que faire ? Il n'y avait précisément rien à faire, sinon d'être là, simplement, délicatement, fraternellement.

Sa mort nous a surpris par la rapidité des progrès de la maladie, dans les derniers jours. Au petit matin de dimanche, il s'est endormi doucement dans le Seigneur. Je pense alors au psaume 39 que les novices avaient choisi pour leur profession : " D'un grand espoir, j'espérais le Seigneur, il s'est penché vers moi pour entendre mon cri ! "
Jean-Pierre GAILLARD

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