Le Père Maurice HURÉ,
1874-1958.


Le P. Huré, né à Blois, le 12 décembre 1874, est décédé à Majunga le 12 décembre 1958, après 55 ans de profession et 54 ans de présence à Majunga.

Il n'est plus le Dadabé, le grand-père de Majunga ! Il manquera au panorama, ce beau vieillard, bien droit, tout blanc, d'une netteté impeccable, promenant ses dernières années de retraite dans sa bonne ville, à visiter ses nombreux chrétiens créoles, tous baptisés ou mariés par lui, dont il était le Père très aimé. Ils étaient si heureux de le voir accepter le " coup de sec ", traditionnel à Bourbon ou à Maurice, et recevoir de lui, conseils ou douces réprimandes, en créole zézayant et chantant.

Il les invitait déjà à fêter, le 12 décembre prochain, sa 84e année puis sa 85e et même plus, car, jamais malade, il ne se disait pas pressé de commencer sa vie éternelle... il s'était si bien fait à Majunga la fleurie, depuis 55 ans ! Ville si douce avec son chaud soleil qui tue les rhumatismes .... alors que la France est si pénible avec ses besoins de tricots, de cache-nez et ses poêles à charbon aux senteurs nauséabondes.

Le Père Huré devait sa vocation missionnaire au vénéré Père Brottier. Compatriotes, camarades de caserne, confrères au séminaire et au collège de Pontlevoy où ils professèrent ensemble, ils restèrent liés par une correspondance amicale. Le P. Huré le pleura à sa mort, mais ne fut pas étonné de voir la renommée attribuer des miracles à l'" aumônier légendaire " devenu le père des Orphelins d'Auteuil.

Bachelier en 1895, il fit son grand séminaire à Saint-Sulpice où il prit le pli de la dignité sacerdotale. Ordonné prêtre en 1900, il fut 3 ans professeur à Pontlevoy et rejoignit, au noviciat, le Père Brottier qui l'avait précédé de quelques mois. En 1904, ayant fait profession, il s'embarque aussitôt pour la mission de Nossi-Bé avec son jeune confrère le Père Raimbault. Ce dernier devait se faire un renom par l'implantation, dans l'île, de l'ylangylang au parfum recherché ; mais le Père Huré ne fut que le curé, rien que cela, auprès d'une population créole ou nossi-béenne, évangélisée depuis 1844 par les Messieurs du St-Esprit, puis de 1848 à 1878 par les Pères Jésuites.

La préfecture apostolique des Petites Îles Malgaches composée de l'îlot de Nossi-Bé et de l'archipel des Comores sera rattachée, en 1898, au vicariat de Diégo-Suarez, et, en 1923, à celui de Majunga. Les populations autochtones étant en majorité musulmanes, le ministère de nos Pères s'exerçait sur une nombreuse colonisation créole venue de la Réunion ou Maurice, et l'enseignement se donnait en français .... cela, je crois, a longtemps induit en erreur la maison-mère, lui laissant croire que la grande terre de Madagascar ressemblait au diocèse des Îles ; ainsi la première équipe de missionnaires qui fut envoyée à Madagascar avec le déjà très vénérable Monseigneur Corbet, était-elle composée de vétérans de 50 à 60 ans, rendus à la liberté par la fermeture de nos collèges de France !

En 1915, à son retour de congé, en pleine guerre, le P. Huré débarque àMajunga où il trouve son affectation comme curé et supérieur ; il serait resté tout seul, s'il n'eût trouvé là une petite armée de Pères de toutes les congrégations, mobilisés dans les hôpitaux ou les bureaux. Il les reçoit avec bonté dans sa vieille maison en bois, qui branle sous les gambades de ces broussards en liberté, après leurs heures de service.

Pendant 25 ans, il se dévouera à ce poste, révélant ses belles qualités de prêtre affable, simple, plein de douceur et de bonté, toujours accueillant et ne sachant rebuter personne. Ses serinons clairs, simples, mais pleins d'onction, ont répandu la lumière dans les consciences et dans les cœurs. Il a catéchisé tous les Majungais devenus pères et grands-pères, enseignement lumineux et direct, sans jamais se départir de son calme devant cette jeunesse pourtant bien remuante. Mais ici encore, il ne s'est occupé que des européens ou assimilés, les malgaches ne devant avoir que vers la fin de la grande guerre, un centre culturel à Mahabibo, dans la banlieue de la ville.

En 1927, il prit un nouveau congé et puis ce fut fini. D'ailleurs, dès 1923, Majunga ayant été élevé au rang de vicariat, il devint, comme vicaire général, le bras droit de Mgr Pichot, dont il fut le conseiller honnête et sûr, mais pas toujours écouté, comme ce fut le cas pour les affaires dites de Nossi-Bé. Il garda cette charge jusqu'en 1939, date à laquelle il fut choisi comme supérieur principal du district. C'est dire qu'en haut lieu, on appréciait son intelligence, son jugement sûr, et plus encore sa douceur, et la noblesse de son âme.

Un graphologue aurait pu découvrir quelque chose de ces qualités dans sa belle écriture, droite, normalement appuyée, aux jambages toujours proportionnés aux corps des lettres.

Nous avons été plusieurs à hériter de ses plans de sermons et de retraites ; ils ont été pour notre jeunesse une vraie richesse. Tout était clair, sans prétention, mais si profond et si pratique !

Aucune éloquence à grands gestes, mais une diction parfaite, soulignant d'un demi-ton les choses à retenir ou les reproches toujours modérés, venant du cœur d'un pasteur aimant ses brebis. Le P. Huré n'a pas eu l'occasion de courir la brousse, de faire des fondations ou de bâtir de ses mains. La construction de l'église de Majunga, il la confia à un entrepreneur consciencieux .... Il fut le pasteur tout à ses brebis, et les malades de l'hôpital le virent tous les jours, parcourant les salles, adressant à chacun un mot d'encouragement, ne laissant mourir personne sans son ministère .... Et puis, de son pas toujours égal, mais en longues enjambées, il allait prendre son bain dans une crique de mer toute proche et arrivait toujours le premier à l'examen particulier, car il fut toujours lecteur de prières.

En 1944, il laisse sa place de supérieur principal au P. Guelle et s'en va, à Analalave, tenir compagnie au P. Samuel, un vétéran aussi, son aîné de cinq ans. Le poste n'était pas pénible, la plage ensoleillée, et il faisait bon vivre et plaisanter, en jeux de mots fusants, dont tous deux avaient le secret.

Au bout de quelques mois, une furonculose tenace l'ayant pris, il alla se soigner sur les hauts plateaux, à Antsirabé, le Vichy malgache, et il obtint d'y être détaché pendant neuf ans, comme aumônier de la maison de retraite des vieux colons, tenue par les Sœurs Franciscaines de Marie. Il rendit d'inappréciables services par les récollections, les retraites qu'il donna aux Pères de la Salette, aux Frères Maristes et aux diverses congrégations de religieuses. En 1954, il vint fêter à Majunga ses 50 ans de présence à Madagascar et demanda à finir ses jours au milieu de ses confrères, s'y préparant par une prière continuelle, mais très gaiement, car il n'était pas morose.

De caractère enjoué, il admettait facilement la bonne plaisanterie et savait y répondre gentiment et pertinemment, mais ses réparties spirituelles étaient toujours empreintes de charité.

Ce qui frappait le plus en lui était sa profonde piété ; jamais, sauf indisposition, il ne manquait les exercices communs, et, que de fois dans la journée, il revenait passer de longs moments devant le saint sacrement. Tous les jours, il disait son bréviaire à la chapelle et faisait son chemin de croix, auquel il s'était obligé par vœu, depuis de très longues années.

Au début de 1958, une forte dysenterie fit craindre pour ses jours, mais devant le médecin venu pour le soigner, le Père déclara qu'il n'avait eu recours au médecin qu'une seule fois dans sa vie. Et il ajouta en souriant : " Vous ne m'aurez pas encore cette fois. " Il se remit en effet, se déclarant prêt à aller jusqu'à cent ans. A mon départ en tournée, le 21 novembre, le Père était toujours vaillant ; aussi quelle ne fut pas ma surprise, à mon retour, le 1er décembre, d'apprendre qu'il était cloué au lit par une très forte dysenterie.

Sur sa table, la liste de ses messes, soigneusement mise à jour, portait la date du 25 novembre, ce fut sa dernière messe. Le malade s'affaiblissait, le cœur usé ne fonctionnait plus normalement, il ne pouvait plus s'alimenter, le liquide même passait difficilement.

Se laissant soigner aisément, le malade semblait ne vouloir être à charge à personne. Il n'eut ni plainte, ni réclamation, ni murmure, et sa mort aurait échappé à tous, si l'on n'était allé le voir fréquemment.

Le mardi 2 décembre, le voyant décliner, on lui proposa les derniers sacrements ; il accepta en toute simplicité et suivit les prières avec ferveur. Un peu prostré l'après-midi, il gardait pourtant toute sa lucidité et répondait à nos demandes par un signe de tête, s'unissant jusqu'au bout ànos prières. A 9 heures du soir, la respiration un peu haletante fit place àun léger hocquet ; nous disions encore le chapelet, quand il rendit son âme à Dieu, mais si doucement que nous nous en aperçûmes à peine.

Dès que sa mort fut connue, les européens, le s créoles et les malgaches vinrent, très nombreux, revoir une dernière fois leur Dadabé ; durant la veillée funèbre, la salle de communauté où il était exposé ne désemplit pas et chacun de s'étonner que même sur sa couche funèbre, le Père gardait le teint rosé qu'il avait toujours eu.

Le 4 décembre, tout Majunga le conduisit à sa dernière demeure en le pleurant. Le Président de l'Assemblée Provinciale le salua, une dernière fois, au nom de la récente République Malgache.

C'est une belle figure de missionnaire qui disparaît, ayant passé, heureux de son sacerdoce et dans son sacerdoce, une vie de prière et de paix, dans le labeur sanctifiant, sans avoir jamais peiné personne, mais ramenant à Dieu, d'une main toujours douce, la brebis errante et souvent meurtrie aux épines du chemin. Sur la corniche de Majunga, sa tombe regarde le grand large et sa dépouille mortelle, bercée par la plainte incessante des filaos, attend la joie de la Résurrection.
P. Maurice AUBREY

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