Voulant devenir missionnaire, Emile se présenta chez les Pères Blancs qui le
reçurent mal. Encouragé par les Spiritains, il entra au petit séminaire de
Saint-Ilan. Il fit ses premiers vœux en 39, mais la seconde guerre mondiale qui
venait d’éclater l’empêcha d’entrer à Chevilly-Larue. Fait prisonnier, il se
retrouva au camp de Fallingbostel, à l’est de Hambourg, où il eut froid et faim.
Un jour, la Gestapo débarqua au camp pour l’arrêter. On lui demanda s’il
connaissait Maurice Bavaud. Il passa plusieurs jours dans un cachot sans lit ni
chaise. Après tous les interrogatoires, il fut relâché, car on constata qu’il ne
faisait pas partie d’un complot avec Maurice Bavaud, un de ses anciens
condisciples, pour tuer Hitler à Munich le 9 novembre 38.
Après la
libération, il regagna Chevilly et fut ordonné le 2 juillet 1950, puis affecté
en 1951 en Haïti. Son premier poste fut le Centre de Rééducation de Carrefour,
où les spiritains accueillaient les enfants des rues. Avec le Fr. Jean-Marie
Alliot et le P. Pierre Déjean, il en fit une école modèle, accueillant 350
enfants. Son sens pratique fit merveille. L’école avait son propre élevage de
cochons, de poulets, etc. et elle marchait tellement bien que Duvalier et ses
tontons-macoutes en chassèrent les spiritains. Très peu de temps après, l’école
était fermée.
Émile et Jean-Marie furent réaffectés à Saint Martial, et
Pierre Déjean fonda la «bibliothèque des jeunes». Émile était aumônier de la section
primaire. La catéchèse était sa passion.
En 1969, Papa Doc essaya de diviser
les Spiritains haïtiens et les étrangers, en expulsant seulement les Haïtiens.
Refusant de nous désolidariser de nos frères haïtiens, nous sommes partis le
mois suivant. Émile fut réaffecté en Guadeloupe, au Raizet puis à Marie Galante.
Mais il tomba gravement malade et rentra en France où l’on trouva la cause de sa
maladie. Il se rétablit et devint supérieur régional de l’Ouest, mais il gardait
la nostalgie d’Haïti.
Il vint nous rejoindre au service des exilés haïtiens
à Brooklyn, le P. Adrien et moi-même, ainsi qu’un prêtre du diocèse des Cayes,
le P. William Smarth. Là, il fut notre économe et continua à se dévouer pour les
Haïtiens qui ont apprécié sa douceur et son sourire. Il travailla à la
publication de missels pour les trois années liturgiques et les fêtes des
saints, ainsi qu’au rituel des sacrements et des enterrements. Plein de détails
sur cette période se trouvent dans son livre «Les Spiritains en Haïti
(1843-2003); d’Eugène Tisserant (1814-1845) à Antoine Adrien (1922-2003)», qui
fut publié par Karthala en 2010 (il avait 92 ans!).
Quand Baby Doc Duvalier
tomba, il retourna en Haïti où il dirigea le chantier de construction du
scolasticat spiritain, dans un quartier pauvre de Port-au-Prince appelé Solino,
ainsi que l’aménagement d’une autre maison qui était alors notre maison
principale.
En 1993, il fut obligé de rentrer définitivement en France pour
raison de santé. Il devint économe de Bordeaux, mais on dut l’opérer d’un cancer
- avec succès puisqu’il reprit le travail. Il prit enfin sa retraite à
Piré-sur-Seiche. Même là, il rendait encore beaucoup de services. Avant notre
départ de Piré, il tria méthodiquement des milliers de livres. Jamais il n’a
causé de soucis ; il était un retraité modèle. Malgré son âge, il continuait à
se ressourcer, en lisant des journaux, des livres de théologie et d’exégèse.
Depuis le dimanche 9 juin 2013, il est au ciel. Nous ne prions pas pour lui,
mais avec lui. Que son intercession nous aide à l’imiter.
Jean-Yves URFIé