Le Père Charles de JAHAM,
décédé au Morne-Rouge, le 19 avril 1969,
à l'âge de 85 ans et après 61 années de profession. BPF n° 154 p. 203-205


Le dimanche 20 avril ont eu lieu les obsèques du Père Charles de Jaham. L'église de Balata s'est révélée trop petite pour contenir la foule des parents, des amis et des paroissiens venus rendre un dernier hommage d'affection à celui qui fut pendant 45 ans leur « Bon Pasteur ».

Un clergé très nombreux entourait Son Excellence Mgr l'Archevêque. Après la levée de corps faite par le P. L'Hostis, curé de Balata, le R. P. Aine, Supérieur Principal des Antilles, a concélébré la messe entouré du P. Webster, prieur des Bénédictins, et du Père de Reynald, curé de Saint-Christophe.

Avant l'absoute, S. Exe. Mgr l'Archevêque a tracé le portrait du défunt. Homme de Dieu au service de ses frères, confrère serviable et discret, pasteur zélé et pieux, le P. de Jaham laisse derrière lui le souvenir du prêtre modèle. Sa vertu n'avait d'égale que son humilité qui lui a valu la confiance et l'estime de tous ceux qui Pont approché.

Le P. de Jaham a été inhumé dans l'église de Balata auprès des tombes de Mgr Lequien et du P. Eugène de Jaham, ancien vicaire général.

« Un grand serviteur, de Dieu »

Le P. Charles de Jaham a été rappelé à Dieu le matin du samedi 19 avril. Depuis environ trois ans, il s'était retiré en la villa de l'Évêché, au Morne-Rouge. Né le 27 septembre 1883, il avait donc plus de 85 ans.

Appartenant à une famille originaire du Poitou, arrivée à la Martinique dès le XVIIe siècle, Eugène et Charles de Jcham furent dirigés vers le sacerdoce par un -prêtre zélé de Saint-­Pierre dont ils conservaient un vivant souvenir, l'abbé Maillard. Les études durent être bonnes, car les deux frères de Jaham avaient une excellente culture littéraire. Entrés au Séminaire de la rue Lhomond destiné à la préparation du Clergé des Antilles, ils y furent ordonnés prêtres. Charles entra au noviciat de la Congrégation du Saint-Esprit, tandis qu'Eugène, le futur vicaire général, était retourné dans son diocèse comme prêtre séculier; il y fut vicaire au Lamentin. au Vauclin, avant d'être chargé des trois paroisses du Nord : Basse Pointe, Macouba, Grand'Rivière, en parties abandonnées par leurs populations après l'éruption volcanique de 1902; il entra ensuite dans la Congrégation du Saint-Esprit.

Le P. Malleret, ancien supérieur du Collège de Saint-Pierre, et futur évêque de la Martinique, était alors supérieur de l'école apostolique de Suse, en Italie du Nord, école qui fut transférée plus tard à Allex (Drôme) où elle se trouve encore. Il demanda au P. Charles de venir à Suse comme professeur; le jeune religieux espérait rentrer dans son île natale, mais il se rendit à la première demande du P. Malleret autorisée par Monseigneur Le Roy, alors Supérieur Général. « Je ne suis pas devenu religieux pour faire ma volonté » , disait-il plus tard en parlant de cette première obédience.

Vient la première grande guerre mondiale. Le P. Charles, mobilisé comme fantassin, fut envoyé au 20ème corps d'armée, une troupe d'élite dont faisait partie la fameuse « division de fer » . Charles passa trois ans sur le front, eut la chance de s'en tirer sans blessures malgré les pertes énormes de son régiment; .modeste, il ne se vantait pas de sa décoration, « une bêtise » , ainsi la qualifiait-il.

Démobilisé et revenu à la Martinique, Charles de Jaharn fut pendant quelques mois curé de l'Ajoupa-Bouillon, puis, en 1920, curé de Balata où une paroisse était en formation; il devait y rester 45 ans ! Le nouveau curé s'intéressa fort aux travaux de construction, mais surtout à ses paroissiens. Ayant une grande dévotion au Sacré-Coeur de Jésus, il s'appliqua à la propagande dans le diocèse par un bulletin qui eut le mérite de subsister longtemps, le «Montmartre Martiniquais » . Enfin, il s'ingénia à diriger régulièrement des pèlerinages vers sa chère église.

La fête du Sacré-Coeur était, chaque année, le plus beau jour du dévoué curé, comme aussi la fête de la Rénovation En ces occasions, il recevait l'aide du Père Eugène qui cumulait avec un dévouement extraordinaire les fonctions de vicaire général et d'aumônier de l'hospice civil. Rendre service à Balata était ses seules vacances. Alors, à la procession, le Père Charles entonnait avec sa voix légèrement nasillarde le cantique : «Quand les méchants diront. . . » et il invitait son frère à chanter le refrain par un traditionnel « à toi, Eugène » !

Bricoleur, le Père Charles était toujours en quête d'inventions. Il avait imaginé un plan incliné pour passer de la galerie extérieure au toit du presbytère; il y avait de merveilleuses machines pour accrocher les images du catéchisme et pour faciliter les projections. Les confrères en souriaient, mais sans malignité, car tous aimaient le curé de Balata; il méritait bien cette affection et cette estime - pieux, d'une régularité exemplaire, consciencieux et dévoué, le Père Charles était aussi un confrère charmant, délicat, attentif à remercier, à souhaiter un anniversaire. Ajoutons enfin qu'il eut le mérite de discerner et d'encourager d'excellentes vo­cations sacerdotales dont celle de Monsieur le vicaire général Marie-Sainte.

Vint le moment où il fallut se rendre à l'évidence: le bon curé n'avait plus la force d'exercer un ministère; il fut donc invité à prendre sa retraite et ce fut pour lui, qui était identifié à Balata, un sacrifice très dur... Pendant quelques mois, il demeura avec son successeur, le P. Liénord, qui eut pour lui les attentions les plus délicates. Enfin, la maladie s'aggravant, le Père 'Charles se retira au Morne-Rouge, en la villa Saint-Joseph, propriété de l'Évêché. Il était, comme son frère Eugène, atteint d'un cancer. il eut longuement et durement à souffrir, soigné, de jour et de nuit, avec un dévouement admirable, par Elisa, son ancienne et fidèle ménagère de Balata. Dans les derniers mois, le malade ne pouvait plus dire la messe; la plupart du temps, il était lucide, priait, offrait ses souffrances; elles viennent de prendre fin.

Que Dieu nous donne de nombreux prêtres comme les deux Pères de Jaham; par leurs belles qualités humaines et sacerdotales, ils sont un honneur pour le Clergé Martiniquais.
+ Henri VARIN de la BRUNELIERE,
Archevêque de Fort-de-France

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