Le Père Eugène DE JAHAM
décédé à Fort-de-France, le 29 janvier 1953,
à l’âge de 74 ans et après 39 années de profession.


A l'occasion du décès du P. de Jaham, S. Exc. Mgr de la Brunelière adressa à tous ses prêtres une lettre circulaire que nous reproduisons.

« Le diocèse vient de perdre un de ses prêtres les plus remarquables et les plus méritants, en la personne regrettée de notre cher collaborateur, le R. P. Eugène de Jaham.

Né au François, le 8 novembre 1878, d'une ancienne et honorable famille martiniquaise, Eugène-Antoine de Jaham se prépara au sacer­doce sous la direction d'un prêtre auquel il conserva toujours une grande vénération, l'Abbé Maillard, curé de St Etienne du Centre, à St Pierre. Ordonné prêtre en 1903, l'abbé de Jaham fut vicaire au Vauclin et au Lamentin, puis il assura le service des trois paroisses du Nord : Basse­-Pointe, Macouba et Grand'Rivière.

Après avoir fait profession dans la Congrégation du St-Esprit, il entra dans l'administration diocésaine; il devait lui consacrer ses qua­lités remarquables et un dévouement sans bornes.

Secrétaire de Mgr Malleret, il fut ensuite associé pendant vingt-six ans à la bienfaisante administration de Mgr Lequien qui dotait le diocèse d'un clergé plus nombreux, de nouvelles paroisses, et de la bonne orga­nisation que nous avons trouvée lors de notre nomination en 1941.

A notre arrivée à l'Evêché, le P.de Jaham, qui avait administré le diocèse comme Vicaire Capitulaire, se mit à notre disposition, prêt à se rendre au poste, n'importe lequel, que nous lui aurions assigné. Con­sidérant comme une grâce de la Providence d'avoir trouvé dans une tâche qui nous était jusqu'alors inconnue un tel collaborateur, nous l'avons, bien entendu, prié de nous continuer le dévouement éclairé qu'il, avait accordé à notre prédécesseur, et dix ans de travail commun nous ont permis d'apprécier les qualités de cet excellent prêtre, modèle des vertus sacerdotales et religieuses.

Doué des plus belles qualités de l'intelligence et du cœur, instruit cultivé et rempli de bon sens, le P. de Jaham connaissait à fond de diocèse et son administration; il donnait toujours son avis en toute franchise et défendait vigoureusement ses vues, car ce prêtre parfaitement droit et sincère, ignorait la flatterie ou la dissimulation, mais ce qui était admirable, il se soumettait sans aucune arrière pensée à la décision quelle qu'elle fut, de l'autorité, et il s’appliquait, de toutes ses forces à sa mise en pratique.

On reste confondu en pensant au travail administratif que le P. de Jaharn assura seul pendant de longues années à l'Evêché. Il y passait parfois des nuits, ce qui ne l'empêchait pas le lendemain de consacrer comme à l'habitude de longues heures au soin spirituel des malades à l'Hôpital Civil dont il fut l'aumônier pendant quarante ans. Il aimait cette charge éminemment sacerdotale où s'offrent au zèle d'un vrai prêtre tant d'occasions de faire le bien. Que de dizaines de milliers d'enfants baptisés par ses soins, que d'ignorants instruits, préparés à la pre­mière Communion et au mariage, à combien de mourants le bon Père a véritablement ouvert la porte du ciel!

Tous les jours, les premières heures de la matinée et la fin de l'après midi étaient consacrées à l'hospice; le Père y était souvent rappelé jour et nuit pour un cas urgent, quelques minutes parfois après son retour Si l'appel d'un malade lui était porté au réfectoire, le P. Eugène interrompait immédiatement son repas et, sans mot d'impatience, allait aussitôt remplir son ministère. Tout, chez le P.de Jaham, cédait devant l'accomplissement du devoir, que ce fût dans sa tâche administrative ou directement près des âmes. Le secret d'un dévouement aussi constant, d'un zèle aussi infatigable est à chercher dans l'esprit de foi et la vie intérieure de ce prêtre profondément pieux.

Une terrible maladie, un cancer, fut décelé en 1950. Le mal était trop avancé pour être traité avec un succès durable; deux opérations succesives et des soins très dévoués ne purent obtenir qu'une prolongation de vie.... Les derniers mois furent un martyre. Tant qu'il le put, malgrés des souffrances de plus en plus vives, le cher Père célébra la saint imesse. Le 13 juin, il dut y renoncer définitivement, puis ce furent l’immobilisation totale, une douleur continuelle, souvent terrible, toujours supportée sans aucune plainte. Seule, dans la ruine progressive de son organisme, la lucidité restait entière, augmentant les souffrances, morales du pauvre infirme, mais lui permettant de gagner d'amples mérites et de continuer son apostolat, cette fois par le sacrifice. Ce fut lui qui, sur notre demande, composa la prière prescrite pour le succès de la Mission dans les paroisses. Le 29 janvier, à 17 h. 45, entouré des membres de sa famille, de son évêque, de ses confrères, notre vénéré Vicaire Général rendit son âme à Dieu.

Au verso d'une petite image donnée à son frère, le P. Charles de Jaham, notre cher défunt avait inscrit ces quelques lignes extraites d'un livre qu'il avait beaucoup goûté: l'« homme de l'offrande».

« En s'étendant sur les dalles du sanctuaire, il s'est séparé, le prêtre, des buts terrestres. En laissant joindre ses mains par celles de l'évêque, il s'est offert aux divines servitudes. En touchant le calice, il a mis dedans le propre contenu de son âme et de son corps, sa santé, sa vie, tout ce qui constitue la richesse d'un être. Il est devenu l'homme de l'offrande. Un seul absolu est de mise pour lui désormais: l'oubli de soi. Pureté, détachement, solitude intérieure, préoccupation du divin, piété, souffrance, courage. Comme force, le St-Esprit, comme tendresse, la Sainte Vierge seule capable de relever et de soutenir nos cœurs d'hommes sans amoindrir nos cœurs de prêtres. »

Tous ceux qui ont connu le cher P. de Jaham savent combien il a réalisé, pendant toute sa vie cet idéal de vrai prêtre de Jésus-Christ.

Henri
Evêque de la Martinique

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