Mgr Louis KEILING,
profès des vœux perpétuels, Préfet apostolique du Coubango,
décédé à Nova­Lisboa, le 30 novembre 1937, à l'âge de 69 ans, après 48 ans passés dans la Congrégation, dont 43 ans et 3 mois, comme profès.


Parmi nos chefs de Mission, Mgr Keiling était devenu une des personnalités prépondérantes et il partageait avec son compatriote Mgr Vogt, l'évêque du Cameroun, le privilège d'avoir, sous le signe du Saint-Esprit, la mission numériquement la plus importante : 262.437 catholiques, dans son dernier compte rendu. Lui-même, d'ailleurs, avait assisté à cet accroissement progressif de sa Mission presque d'un terme à l'autre, puisque, à son arrivée en 1894, cette même Préfecture du Coubango ne chiffrait guère qu'un total de 12.000 fidèles.

Alfred Louis Keiling était né à Fort-Louis, en Alsace, le 27 octobre 1868 et il avait fait ses classes au Petit Scolastiscat de Mesnières en Bray, au dio­cèse de Rouen, où les Pères du Saint-Esprit eurent longtemps une Résidence. De là, il passa à Langonnet et à Chevilly pour ses études de philosophie et de théologie : il fut ordonné prêtre en 1893. Un an après, suivant la coutume spiritaine, il partit pour cette mission de l'Afrique portugaise qu'on appelait alors la Cimbébasie: on dit aujourd'hui le Coubango.

On dit aussi la côte de Benguella, ou, d'une façon plus générale, l'Angola, dont le Coubango forme la zone centrale, comprise entre l'Atlantique d'une part et la Rhodesia de l'autre. Pays qui n'est déjà plus équatorial, tropical pourtant puisque la ligne du Capricorne passe en dessous de sa frontière Sud, mais heureusement tempéré par l'altitude moyenne de ses plateaux, oscillant entre 1.400 et 1.700 mètres. A ces hauteurs, surtout en climat sec, on peut tra­vailler comme en Europe, mais on n'y est pas exempt de la fièvre ni des autres fâcheuses influences spéciales à l'Afrique.

Lorsque Mgr Keiling y débarqua en 1894, cette Préfecture sortait à peine de l'ère de l'enfance, une enfance extraordinairement difficile, où tout s'était conjuré pour faire échec à son développement. Il y avait même eu persécution ouverte et massacre de missionnaires. Le Préfet d'alors, le P. Ernest Lecomte, avait risqué plusieurs fois sa vie et, une fois même, il avait été lié à un arbre où l'on se pro­posait de le tuer à coups de fusil.

Ce P. Lecomte était un fameux homme et une âme de chef. C'est par lui que la Préfecture sortit peu à peu de ses misères, mais il mourut à 46 ans, en 1908. Dès novembre 1909, le P. Keiling fut appelé à lui succéder.

Il avait ce qu'on est convenu d'appeler « un bon ensemble ». A Che­villy, on en avait vu de plus diserts, de plus savants, de plus brillants, mais dès ses premières années en Angola, le P. Keiling avait montré d'excellentes qualités d'organisateur étayées sur de solides vertus surnaturelles. Il eut, du reste, de bonne heure l'occasion de donner toute sa mesure, car, en 1910, le Portugal renversait sa mo­narchie séculaire et se mettait en révolution. Et, dès le début, cette révolution revêtait le caractère violent que prennent si volontiers les choses dans le monde ibérique : spoliations brutales, assassinats, débor­dement de fanatisme antireligieux. Le mouvement s'étendit aux Colonies. En plein Angola nous eûmes des missions occupées et des Pères mis en prison...

Par bonheur, la bourrasque se calma assez vite, la raison revint, et tout en gardant sa forme répu­blicaine, le Portugal se purgea peu à peu de ses éléments d'anticléricalisme maçonnique. Nos mis­sions d’Angola respirèrent - l'ère de la violence fit place à celle de la neutralité et celle-ci à une équité bienveillante bientôt accrue par le danger que fai­saient courir aux possessions portugaises certaines menées étrangères, intéressées à une captation plus ou moins déguisée. Dans ces conjonctures le gou­vernement de Lisbonne comprit que le loyalisme des missions catholiques était une de ses forces et il les encouragea de son appui moral et matériel.

Un autre avantage pour la mission du Coubango fut ce qu'on appelle en style colonial, l' « ouverture » du pays. Tant qu'une région en reste aux sentiers et aux pistes indigènes, elle demeure bloquée, soumise au caprice et à la toute puissance du chef, du sorcier, aux vieilles coutumes dans lesquelles la simplicité de la vie n'excuse pas tout. De très bonne heure, le Coubango fut traversé d'Ouest en Est par une voie de chemin de fer aboutissant au Katanga belge près du lieu qui servit de terminus aux voyages de Livingstone. Cette artère principale donna de suite naissance à un réseau de routes où les automobiles remplacèrent les anciens chars à boeufs. Mais le plus remarquable encore ce fut le pullulement des sta­tions nouvelles et l'accroissement foudroyant du chiffre des catholiques. Le Coubango, en des condi­tions différentes et avec des méthodes également dif­férentes, rivalise aujourd'hui avec notre célèbre mission du Cameroun.

Nous avons donné le nombre des baptisés : plus de 260.000. Celui des catéchumènes inscrits est de 69.000.

Une autre moyenne fort suggestive établit que la fréquentation des sacrements - confession et com­munion - est pour toute la Préfecture de douze à seize fois par an et par chrétien adulte.

La station de Baïlundo, au nord de la Préfecture, a été dédoublée quatre fois en dix ans sans que son chiffre de fidèles ait diminué, les conversions nou­velles comblant à chaque coup les coupes pratiquées.

Pour suivre un tel mouvement ou, plutôt, pour le conduire, il fallait en bonne place une tête vrai­ ment capable : ni un conservateur coriace, ossifié, regimbant à tout changement et bon à faire sauter les freins ; ni un illuminé épris de mots et de formes nouvelles et confondant « son idéal avec sa propre faculté d'illusion »; ni un doctrinaire dénué de sou­plesse, ni un sensible prompt au découragement, ni un homme vain ni un homme faible. On voit très bien ce qu'il ne fallait pas être et on se dit que pour éviter tant de causes d'échec une grande sagesse était nécessaire. Si l'on songe que Mgr Keiling a tenu ce poste pendant vingt-huit ans sans que le bon mouvement se soit ralenti ni dévié, ceux mêmes qui l'ont le moins connu soupçonnent chez ce chef de Mission encore beaucoup plus de qualités que de chances. Les premiers à le reconnaître furent les fonctionnàires de l'importante Colonie d'Angola aux­quels ce Français d'Alsace montra un loyalisme si sincère et si persévérant qu'on crut devoir le récom­penser par les distinctions les plus flatteuses.

Une seule chose, au cours de ses longs travaux, était restée en retard au Coubango: l’œuvre des Séminaires et du Clergé indigènes. Mgr Keiling, qui en souffrait, s'en expliquait aisément. Lorsque les Stations, disait-il, se mettent toutes à la fois à tripler ou quadrupler d'importance, le simple fait d'assurer leur vie accapare toute l'activité du Chef, toutes les réserves de personnel et de ressources. La réalisation se fit pourtant un jour et, là encore, le progrès de cette oeuvre consola les dix dernières années de la vie du Préfet. En 1934, il eut la grande joie de voir ordonner son premier prêtre indigène, le P. Antonio Pinho dont il avait autrefois baptisé lui-même le père en son poste de Catoco. Autour de ce premier prêtre s'alignaient déjà 12 grands Séminaristes et le'Petit Séminaire de la Préfecture compte actuellement 64 élèves.

Les Annales Spiritaines ont révélé plusieurs fois à leur publie une touchante tradition du Coubango. Toutes les églises et Stations de cette division ecclé­siastique sont vouées à un seul et même Patron : la très Sainte Vierge Marie, honorée sous tous ses divers titres, Notre-Dame du Rosaire, des Sept ­Douleurs, de Lourdes, des Victoires, etc. C'est le résultat d'un vœu fait par le R. P. Ernest Lecomte lorsque, prisonnier des guerriers kwanyamas, il se trouvait attaché à l'arbre qui devait être le témoin de son supplice. Il promit à la Vierge Marie de lui consacrer toutes ses fondations si Elle le tirait de là.

La Vierge Marie l'entendit. Elle s'est, pour sa part, exécutée de telle manière qu'aujourd'hui les Pères du Coubango voient s'épuiser la litanie des vocables. Si le progrès, là-bas, continue à l'allure que lui imprima Mgr Keiling, bientôt les Pères devront introduire près de leur céleste Patronne une requête en commutation de vœu.

(Extrait des Annales, février 1938.) /

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