Mgr Aloys KOBES

En me demandant de parler pendant 40 minutes seulement de celui que j’ai l’habitude d’appeler « papa » vous me soumettez là, chers Pères du Saint-Esprit, à une rude épreuve. Au téléphone, le Père KHIM me demandait entre autres « combien de temps il te faut » ? Je répondis mi-rieur mi-sérieux, que je pouvais en parler toute ma vie durant. C’est pour vous dire que le temps qui m’est imparti m’oblige à condenser cette œuvre riche et originale qu’est celle de Monseigneur Aloys KOBES.

Je vous présente d’avance mes excuses pour les raccourcis que je suis obligée de prendre pour exposer une pensée si féconde et si actuelle en un si peu de temps.

Je vous propose de cheminer avec moi à travers le plan suivant qui va guider notre réflexion.

Nous présenterons pour commencer :
1) L’enfance, le jeune étudiant et le prêtre diocésain.
2) Hasard ou rendez-vous entre KOBES et LIBERMANN : Deux personnalités unies par le même destin.
3) Le plus jeune évêque de la chrétienté du 19ème siècle.
4) Il sera question de replacer le cheminement de Mgr KOBES dans un contexte socio-politique et religieux sans merci ; avant de tenter de mettre le doigt sur sa pensée et son œuvre. 5) Nous montrerons pour terminer l’actualité de Mgr KOBES en l’intitulant « l’héritage aujourd’hui »

1) L’enfance, le jeune étudiant et le prêtre diocésain.

Le 17 avril 1820 né Aloys KOBES à FESSENHEIM, charmant petit village qui se trouve sur l’ancienne route romaine qui va de Strasbourg à Saverne en Alsace, dans le Bas-Rhin. Il est le quatrième d’une famille de 5 enfants ( 3 filles et 2 garçons) Sa mère Madeleine BRAUN, son père Jean KOBES est un brave paysan. FESSENHEIM est connu pour la fertilité de terres et l’endurance au travail de ses habitants.

Par ailleurs, le choix du nom de baptême est assez significatif : Saint Louis de GONZAGUE patron de la jeunesse, devait être protecteur et modèle de cet enfant.

Aloys est un enfant doué, un élève appliqué, zélé et exemplaire. Il fait ses études au petit séminaire diocésain. Quand il les a brillamment finies, il entre en 1840 au grand séminaire de Strasbourg. Excellent étudiant, lévite pieux et sérieux, il accède normalement aux différents ordres mineurs et majeurs. Il est ordonné prêtre diocésain le 21 décembre 1844 dans la cathédrale de Strasbourg par l’ordinaire du lieu Mgr Andréas RAESS.

De 1845 à 1846, l’abbé KOBES est vicaire à SOULTZ dans le Haut-Rhin. Il enseigne le catéchisme, visite les malades, le tout donne l’apparence du profil d’un bon futur curé de campagne. Ce profil déjà reluisant est encore affiné par la rencontre avec le V.P Libermann Assurément, il y a des rencontres qui ne relèvent pas du hasard. C’est le cas entre Libermann et Kobés.

2) Rencontre entre LIBERMANN et KOBES

Pendant son cycle vers le sacerdoce, la Providence veut que LIBERMANN se trouve au grand séminaire de Strasbourg à partir du 23 février 1841. Ce fils de rabbin fait, comme partout, la meilleure impression par ses vertus solides. On admire ses fortes connaissances en théologie, sa grande humilité, et sa volonté inébranlable de fonder une congrégation missionnaire pour l’évangélisation des Noirs. Tout un groupe de séminaristes, comme Aloys est enthousiasmé par ce haut idéal. C’est pourquoi, pendant les deux (2) ans de service dans son diocèse, Abbé KOBES continue de ressentir de plus en plus un attrait irrésistible pour les missions et sa vocation missionnaire devient plus impérieuse. Il s’en ouvre à son curé et à son évêque. Ce dernier lui donne son « exeat » c’est à dire la permission de partir du diocèse, le 14 juin 1846. Le 19 juillet de cette même année, il entre au noviciat du Père LIBERMANN à la Neuville-Les Amiens. Après l’émission des premiers vœux le 25 mars 1847, le Père Aloys KOBES se voit chargé de cours de théologie et de l’économat du scholasticat de la jeune société de LIBERMANN qui porte le vocable de « société du Saint-Cœur de Marie ».

Une complicité, au niveau des idées et de la vision des choses, se noue entre les deux (2) hommes: deux personnalités unies par le même destin.

KOBES assiste, en témoin impliqué et secourable, à tout ce que LIBERMANN endure pour mettre en place la jeune société. La question d’une possible fusion avec la congrégation du Saint Esprit aboutit enfin. KOBES se réjouit de la nomination, en novembre 1848, du Père LIBERMAN à la tête de l’union qui porte le nom de « Congrégation du Saint-Esprit et de Saint-Cœur de Marie », mais la dénomination « Congrégation du Saint-Esprit » est gardée pour conserver l’approbation du gouvernement.

3) Le plus jeune évêque de la chrétienté du 19ème siècle.

La mort prématurée le 23 novembre 1847 de Mgr TRUFFET, premier vicaire apostolique des « Deux Guinées » oblige le Vénérable Père LIBERMANN à se séparer de son bras droit, le Père KOBES. Il le propose comme évêque coadjuteur à Rome. Voici comment il le présente dans sa lettre du 2 mars 1848 au Préfet de la Sacré Congrégation : « Si la Sacré-Congrégation daigne accorder un coadjuteur au futur vicaire apostolique, je proposerai à sa bienveillance l’Abbé KOBES. C’est un des prêtres qui sont ici avec moi pour m’aider dans la direction de la communauté. Il est rempli de zèle et de vertus sacerdotales. Il a un excellent esprit, une très grande rectitude de jugement, il est calme, réfléchi et modéré. En un mot, je lui crois toutes les qualités nécessaires pour bien s’acquitter des fonctions épiscopales et pour prendre de l’ascendant sur ses coopérateurs… ». Malgré toutes ces qualités, il y a une difficulté : le jeune prêtre n’a que 28 ans. Rome demande des explications sur ce choix. Le VP LIBERMANN élabore un véritable plaidoyer en faveur de l’Abbé KOBES dans sa lettre du 15 juillet 1848 ; vous me permettrez de le citer longuement : «

…Je m’empresse de donner à votre Éminence les explications qu’il me demande. Je dois d’abord expliquer pourquoi j’ai de préférence à Monsieur BOULANGER, proposé à la Sacré-Congrégation, Monsieur KOBES malgré sa jeunesse. La pensée qui me préoccupait depuis la mort de Mgr TRUFFET était l’interruption continuelle de la mission par les malheurs fréquents que nous y avons éprouvés, et par suite de cette continuelle interruption et de ces malheurs, l’absence d’organisation. Je sentais, avant tout, le besoin d’un esprit capable et administrateur. J’ai trouvé ces qualités dans Monsieur l’Abbé KOBES plus que dans aucun des missionnaires qui sont sur la côte d’Afrique. Je l’ai trouvé jeune, il est vrai, et n’ayant pas toute l’expérience désirable, mais sachant que l’Église accorde dispense d’âge dans le cas d’utilité sérieuse pour le bien d’une mission, j’ai cru que cet obstacle de la jeunesse était levé. Pour l’expérience et la connaissance de la mission, j’ai pensé qu’il faudrait peu de temps pour qu’il l’acquit sous Monsieur l’Abbé BESSIEUX. Quoique jeune, il pouvait acquérir une grande influence sur ses coopérateurs par son calme et sa réserve, par la solidité de son esprit et ses connaissances théologiques. Il est d’ailleurs plein de zèle, de dévouement et de piété. Comme dans le moment actuel toutes les nécessités de la mission se résument dans l’organisation générale, j’ai cru que c’était une raison suffisante pour donner la préférence à celui qui donne plus d’espérance sur le point de vue administratif.
Tel était, Éminence, l’unique motif de ma proposition »

Enfin Rome accepte le candidat KOBES. Il est sacré le 30 novembre 1848 à Strasbourg par l’évêque du lieu, celui-là même qui l’avait ordonné prêtre 4 ans plus tôt. Et voilà, l’Abbé KOBES devient à 28 ans, le plus jeune évêque de la chrétienté de 19ème siècle.

Le V.P LIBERMANN doit donc se séparer de son jeune disciple, dont il apprécie pourtant la valeur, pour la cause de l’Afrique. Sa lettre du 20 décembre 1848 annonçant la nouvelle aux communautés de Dakar et du Gabon en dit long sur les capacités de l’Abbé KOBES :

Après avoir rappelé que Le Père BESSIEUX est nommé Vicaire Apostolique des deux Guinées, Mgr KOBES est son coadjuteur, il poursuit :

« Mgr KOBES est un homme d’une très grande portée, d’un jugement exquis et d’un esprit supérieur ; c’est, sans contredit, le membre le plus brillant de la congrégation. En le proposant, j’ai du faire un immense sacrifice, car il eut été très utile pour la Maison Mère. Oui, nous avons fait un des plus grands sacrifices en faveur de la Guinée. Cette mission nous est trop chère pour ne pas faire avec joie tous les sacrifices possibles pour son bien… »

Soulignons au passage, pour marquer la priorité donc l’importance des « Deux Guinées » aux yeux du Père Libermann, que ce dernier avait trois ans auparavant dit au Père BESSIEUX dans sa lettre du 4 mai 1845 : « Je n’abandonnerai la Guinée qu’à la dernière extrémité … »

Et dans celle du 17 décembre 1848 adressée à la communauté de Dakar, LIBERMANN disait : « Mgr KOBES est un des membres les plus remarquables de la congrégation sous tous les rapports ; il eut été difficile de faire un meilleur choix… » Ecce homo ! Voilà pour l’Afrique l’homme qu’il fallait.

4) Des réponses tous terrains dans un contexte socio-politique et religieux sans merci.

Les deux évêques à la tête d’un convoi quittent Toulon le 12 février 1849 et débarquent à Gorée le 15 mars. Le lendemain, ils regagnent Dakar. Pourquoi quitter Gorée rapidement ? C’est que Mgr TRUFFET et le Père LIBERMANN étaient conquis aux idées du vice-préfet ARLABOSSE qui affirmait : « Pour qu’on puisse solidement implanter le christianisme, il faut que l’évêque soit indépendant du gouvernement »

a) L’heure des fondations urgentes :
Les premiers jours les deux évêques s’entendent pour s’occuper chacun selon ses compétences d’un secteur. Mgr KOBES, plus administratif que BESSIEUX, sera à Dakar pour être en relation avec la métropole, la propagation de la foi dont le centre est à Paris ; il est aussi en relation officielle avec Rome.

KOBES va sans tarder se rendre compte de la lourde tâche qui l’attend. Il trouve les deux pouvoirs, spirituel et temporel, une fois de plus en désaccord. Les relations étaient tendues.

Nous sommes en pleine époque coloniale où l’idéologie ambiante était d’exploiter au maximum les colonies aux seuls profits de la métropole. Mis à part quelques privilégiés de Saint-Louis, Rufisque et Gorée, les habitants du pays ne sont que des « sujets » taillables et corvéables. Pour eux, point de droits seulement des devoirs.

Beaucoup de préjugés planent sur le nègre qui a, comme une fatalité, commis l’erreur de venir au monde avec la peau noire. Le pays est par ailleurs morcelé en une poussière de petits royaumes qui vivent au rythme d’incessantes guerres et de paix éphémères. Voilà le lot de Mgr KOBES, voilà le champ qu’il est appelé à labourer ! Il donnera un coup de boutoir à l’animosité des colons, des rois et aux oppositions de quelques missionnaires à la vue courte.

Dès lors, complétant la Mère A.M. JAVOUHEY en la dépassant quelque peu, Mgr KOBES aura été le premier à donner à ce peuple la possibilité de faire re-connaître la valeur de sa « négritude », pour parler comme le poète, en jetant les bases fondamentales pour une société plus humaine.

KOBES le visionnaire, KOBES l’organisateur, KOBES l’homme pratique :

Ces trois dimensions du Prélat se traduisent au travers de son entreprise hardie : Saint Joseph de Ngasobil.

Toute la conception de sa pastorale se trouve dans la lettre qu’il adresse au V.P LIBERMANN le 28 juin 1849, quatre mois après son arrivée en Afrique. S’adressant à son « Bien aimé Père en Jésus Christ », il tentait de le convaincre que le site de

Ngazobil qu’il a trouvé était propice à l’agriculture et à l’élevage. Son exploitation aurait permis d’assurer l’auto-suffisance alimentaire aux missionnaires. Les noirs perfectionneraient aussi leur culture et leur industrie et augmenteraient leur niveau de vie par l’introduction de nouvelles productions et métiers. De plus, une telle initiative aiderait ceux parmi les élèves « qui n’ont pas de dispositions pour l’étude» de les mettre « au travail manuel et à l’apprentissage du métier exclusivement, excepté qu’ils apprendront à lire et écrire, les autres, à côté des études, auront quelques occupations manuelles en forme de récréation. Ils acquerraient de cette manière une connaissance des principaux travaux d’agriculture et des principaux métiers… Car il faut renoncer à l’idée de vouloir faire apprendre tout le métier aux enfants qui s’occupent de l’étude. »

Par ailleurs, un personnel propre et en nombre suffisant à l’œuvre de Ngazobil aura à charge « la culture des champs et de la vigne en particulier et les métiers les plus indispensables tels que ceux de tailleurs, cordonniers, menuisiers, maçons, tisserands, imprimerie etc. » ; il poursuit impatient de mettre en place ce vaste chantier : « Cet établissement, je compte le faire immédiatement après la mauvaise saison… »

Au sujet du clergé indigène, soulignons que ce n’est pas une innovation de Mgr KOBES. L’idée première est de la Mère A.M. JAVOUHEY. Cependant, la formation se faisait en France. Mgr KOBES, pédagogue chevronné y apportera une rectification. Il voudrait qu’elle se fasse sur place. Écoutons-le exprimer sa pensée dans cette même correspondance au vénérable Père LIBERMANN:

« Je suis convaincu plus intimement que jamais que le clergé indigène nous est nécessaire, j’ai vu par Monsieur FRIDOIL qu’un bon prêtre noir fera plus de bien dans un an que trois blancs dans trois ans…Je suis convaincu aussi que l’éducation cléricale des prêtres indigènes devra être faite non pas en France mais dans le pays même…Ils iraient habituellement s’exercer dans les fonctions de catéchistes sous la direction de leurs professeurs… »

KOBES conclut cette lettre par une supplication très émouvante en sa faveur :

«Je vous prie, bien aimé Père, de réfléchir sur cela devant Dieu et de ne pas oublier que la responsabilité qui pèse sur moi par rapport à ces pauvres âmes pèse aussi en partie sur vous ; puisqu’en connaissant la faiblesse de votre enfant, vous n’avez pas pu vouloir lui imposer ce lourd fardeau, sans vouloir en même temps l’aider à le porter par tous les moyens qui sont en votre main. Je suis toujours en Jésus et Marie, votre tout dévoué et affectionné fils ».

En effet, le 15 mars 1850, Mgr KOBES ouvre le centre d’étude et d’agriculture de Ngasobil. Le VP LIBERMANN fera tout ce qu’il peut pour satisfaire les demandes de Mgr KOBES. Il le soutient de son mieux : on se prive et on répond par quatre envois successifs dans la seule année 1850 d’une vingtaine de missionnaires.

Le prélat a des vues vastes. Il tient à établir le long du littoral un cordon de postes parce que, insiste-t-il le pays n’est pas ouvert, pas de chemin de communication, et pour assurer l’existence, le ravitaillement des missionnaires, il faudrait rester au littoral ou le long des fleuves. Pour faciliter les relations grandement utiles d’aides fraternelles, aucune station ne sera séparée de sa voisine de plus d’une journée de marche : Dakar, Ndiangol, Mbour, Joal, Sainte-Marie(Gambie).

b) Difficile commencement

Cette grande entreprise, après avoir donné les plus belles et les plus légitimes espérances, du succomber peu de temps après sous une affreuse invasion, trois fois répétée, de sauterelles. En cette année 1850, les deux missions de Ndiangol et Mbour sont détruites par des bandes armées du Cayor. Saint Joseph de Ngasobil est resté, mais en octobre 1851, les 25 internes quittent les lieux et s’installent à Hann dans la propriété de Monsieur De Saint-Jean avant de venir à Dakar. Joal est menacé.

Dans l’espace d’une année, cinq missionnaires meurent, plusieurs sont rapatriés en France. Devant une telle situation, Mgr Kobès propose de prendre un temps de réflexion ; ce qui aboutit à un recentrage des activités.. Pendant 10 ans, Ngasobil reste à l’abandon.

c) La reprise de Ngasobil.

Mgr KOBES n’était pas homme à reculer devant les difficultés. Il est toujours prêt à payer de sa personne sous un climat délétère. L’œuvre de Ngasobil n’a pu progresser que vers les années 1860-1865 quand le général FAIDHERBE après de multiples victoires fit de la côte de Dakar à Joal une possession française. C’est alors que Mgr KOBES songe à reprendre l’initiative de l’entreprise de Saint Joseph de Ngazobil. Il étudie plus à fond la question. Son plan était de construire de forts bâtiments en pierre de manière à abriter convenablement les missionnaires, de transporter à Saint Joseph tous les ateliers de Dakar ainsi que le noviciat des Filles du Saint cœur de Marie, de regrouper autour de l’établissement les habitants des environs pour les instruire et, enfin, de les amener à la foi chrétienne tout en leur inspirant l’amour du travail.

Mgr KOBES avait la pensée de les occuper à cultiver le coton sans négliger la culture du mil et du riz, leur nourriture de base. Il communiqua son dessein au gouverneur du Sénégal Pinet LAPRADE puis au ministre de la marine te des colonies qui approuvèrent hautement sa résolution.

Une concession de 1000 hectares lui fut accordée à des conditions peu onéreuses. Grâce à monsieur HERZOG, un industriel d’Alsace, il put avoir les premiers fonds à titre de remboursement en nature : du coton. Il suffit d’avoir connaissance de la situation critique de l’industrie qui menace de devenir une véritable crise sociale en Europe pour comprendre l’actualité de cette entreprise. Par suite des guerres, la famine a forcé les habitants du Saloum à se réfugier à Ngasobil près du Prélat qu’ils nomment Moussa. Ceux qui échappèrent à la mort formèrent peu à peu quelques villages : Saint Joseph, Sainte Marie, Saint Antoine à la Pointe Sarène, Saint Benoît de Mbodiène, Saint Michel de la Fasna.

Tout le pays entendait parler de ce que faisait le « Grand Moussa » de Ngasobil. Des familles entières venaient se présenter pour travailler ou s’installer définitivement dans l’un des 6 villages éparpillés sur 25 km et peuplés d’environ 2000 âmes. Les habitants vivaient en paix du salaire des travailleurs et du produit de leur propre champ. Ngasobil était l’école nouvelle avant la lettre.

d) Les années d’épreuves :

Toutes les œuvres de Dieu sont marquées par la croix et les tribulations. La mission de Ngasobil devait avoir les siennes. Tout annonçait une récolte exceptionnelle quand par trois fois les terribles criquets s’abattaient dans le domaine, dévastant pendant trois jours plantations, pépinières et arbres fruitiers. On veut chasser par le feu ces voraces dévastateurs : imprudence ! Les flammes s’attaquent aux cotonniers, des étendues considérables étaient anéanties. Un mal plus pernicieux, la fièvre jaune, va décimer la petite-côte. Comme le pauvre Job, Mgr KOBES a confiance en la miséricorde divine.

e) Les derniers moments :

Fin 1869, Mgr KOBES est père du concile de Vatican. Il hésite d’abord à s’y rendre tant il s’estimait nécessaire à son cher diocèse en ces temps difficiles.

Il se décide cependant et va offrir en hommage au Saint-Père sa grammaire wolof récemment terminée et imprimée à Ngasobil. Il fut l’un des premiers à signer le postulatum pour la définition de l’infaillibilité pontificale. Il quitte rapidement Rome à cause de la situation de son diocèse. Le désastre de Ngasobil avait réduit à néant un projet capable d’assurer au vicariat et au pays un essor important.

Voyant la volonté de Dieu dans toutes ces épreuves, il s’y soumettait de tout cœur. Mgr KOBES faiblissait de jour en jour. On sent le Grand moment venir. Lui-même en est conscient. Il est sujet à migraines qui bloquent ses activités. En juin 1872, il revient à Ngasobil épuisé d’une tournée de confirmation à Bakel. En début octobre, en route vers la France, il est obligé de s’arrêter à Dakar. Les journées passent sans apporter d’amélioration. Le vendredi 11 octobre 1872, il se confie au Père LOSSEDAT qui le veille: « Il n’y a plus de vie en moi. Je brûle intérieurement… » le même soir, pendant qu’on récite les prières des agonisants, il rend le dernier soupir. Son dernier mot résonne encore en nous ; il est toujours d’actualité : « Ah pauvre Afrique ! On ne sait guerre ce que sait : on ne la connaît pas ». Ses restes reposaient d’abord dans le jardin de la mission avant d’être transférés au cimetière de Bel Air.

Par ses œuvres de prédilection : les Filles du Saint-Cœur de Marie, les Frères de Saint Joseph et le clergé sénégalais, nous pouvons avancer que Mgr KOBES était le véritable fondateur de l’Église de la Sénégambie.

5) L’héritage aujourd’hui :

Les héros sont fatigants : « Ils forcent ceux qui les aiment à se montrer à la hauteur de leur vie, et plus encore, de leur mort. »

C’est dans ce sens qu’il ne faudrait pas retenir dans l’œuvre de ce bâtisseur que l’aspect pratique de sa pensée. Mgr Kobès est aussi, un homme de réflexion, un penseur. Ses œuvres en linguistique et sa vision de l’éducation le montrent.

Des travaux remarquables en linguistique :

« D’un travail ignoré, les fruits demeurent. » disait Eugène ANDLER

« Mgr KOBES est le premier des missionnaires d’Afrique qui se soit occupé sérieusement de la langue indigène », nous affirme le Père Charles SACLEUX, distingué linguiste. KOBES réunit les notes de ses devanciers prêtres, laïcs français et mis tous ses soins à trouver les règles qui gouvernent la langue wolof . Il a le mérite, apprécié à sa juste valeur par les spécialistes, d’avoir contribué à réhabiliter la culture africaine en initiant un alphabet phonétique, méthode scientifique d’écrire les langues du terroir. Il a conçu une transcription accessible à tous, par les signes diacritiques et en se conformant aux principes : « On écrit comme on parle.» Les successeurs n’eurent pas grand chose à changer à sa grammaire. IL fit apparaître plusieurs manuels d’instruction religieuse en cette langue : Évangile, catéchisme, cantiques, histoire sainte, etc. Il publie, dès 1865, des Principes de la langue wolof par un missionnaire. En 1866, il publie son Dictionnaire Français-Wolof et Wolof-Français. La Grammaire de langue wolof sera enfin publiée sur l’imprimerie de mission de Saint Joseph de Ngasobil en 1869 et dédiée à Pie IX.

Tout ce travail est plus qu’une œuvre de science, il est une œuvre de dévouement pour les Noirs dont la langue n’était encore que parlée.

Une philosophie de l’éducation :

Mgr Kobès avait aussi une philosophie de l ‘éducation. Au début de cet exposé nous avons fait allusion à sa vision de l’éducation axée essentiellement sur l’aspect pratique, technique et professionnelle de l ‘éducation. La question reste actuelle et les débats suscités par le Programme de développement de l’éducation et de la formation (PDEF) sont là pour nous le rappeler. Il perçoit ainsi le rapport consubstantiel de l’éducation et de la société. Une certaine idée de l’éducation est inséparable de la société où elle s’exerce.

Au travers de sa vie et de son œuvre, une attitude susceptible de transformer le monde parce qu’elle aura réconcilié l’homme avec lui-même et avec la vie. C’était là sa manière de concevoir la mission dans l’exacte mesure où, en ayant fait son métier, il voulait faire œuvre de vie et non de mort.

Mgr KOBES avait pris au sérieux le souci de l’homme sénégambien, ce qui impliqua pour lui, un mode de présence, d’engagement et un combat en vue d’une réorientation de son acte éducatif. Il jetait ainsi les premières bases de toute vraie éducation. La question de l’homme était vitale pour KOBES. Pour lui, l’essentiel était d’inculquer cet enthousiasme communicatif la vie vaut la peine d’être vécue ad majorem gloriam Dei.

Conclusion

Nous allons terminer cet exposé qui a été assez long. Mgr Aloys KOBES est plus qu’actuel. Parcourir l’histoire ou le cheminement de Mgr Aloys KOBES, c’est d’abord remonter à la source et relier aujourd’hui à hier. Aujourd’hui plus que jamais se posent dans notre pays les problèmes de l’enseignement technique et professionnel et celui des l’introduction des langues nationales dans notre système éducatif. Le ministre de l’éducation nationale aurait dû avoir comme premier conseiller technique Mgr Aloys KOBES.

Sœur Marie Hervé TINE, Fille du Saint-Cœur de Marie
NGASOBIL 24 février 2002

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