Le P. Emile KOHLER profès, décédé le 24 mai 1928, à l'âge de 66 ans,
après 49 années passées dans la Congrégation dont 34 ans et 9 mois comme profès.


A la génération qui fit avec lui ses études, le P. Emile Kohler a laissé le souvenir d'un heureux caractère; il permettait qu'on le plaisantât et acceptait avec une naïveté, plus feinte peut?être que réelle, les espiègleries de ses ,jeunes confrères. Ce qu'il fut à ses débuts, il le resta jusqu'au bout; l'âge cacha à peine sous une discrète réserve sa tendance à se jouer de tout et à prendre la vie par son beau côté. Il sut aussi l'envisager sous son aspect austère, car il supporta avec courage de rudes épreuves.

Né à Neubourg (Bas-Rhin), le 28 mai 1862, il fit à Belfort, au collège des Frères de Marie, ses premières classes secondaires, vint ensuite à Langonnet (1er novembre, 1878), gagné à .la Congrégation par le P. Joseph Lutz. Ces débuts furent, pénibles; il était, de bonne conduite, mais ses succès ne répondaient pas aux exigences de ses professeurs; plusieurs fois proposé à la prise d'habit, il n'y fut pas admis parce que ses places en classe ne permettaient pas d'espérer qu'il fit jamais de progrès suffisants. Enfin, après trois ans et sept mois de postulat, lorsqu'il avait déjà atteint l'âge de 20 ans, il fut compté parmi les Scolastiques titulaires, mais à l'essai et comme simple encouragement. On sent bien qu'on l'eut écarté pour un peu et on lui déclara nettement ce que sa position avait d'indécis. I1 persévéra pourtant. Il était en troisième, en 1884, quand vers la fin de l'année scolaire il fit une chute et se cassa le bras et la jambe gauche. Jusque?là, on l'avait estimé pour sa grande activité dans les travaux manuels: il rachetait en partie par là ce qui lui manquait ailleurs; désormais i1 perdait donc ses dernières chances d'entrer définitivement dans la Congrégation, puisqu'il risquait en restant infirme pour la vie, de rendre même ces services matériels auxquels il paraissait très apte.

Après les premiers soins à Langonnet, on l'envoya chez lui pour qu'il essayât de se remettre, en décembre 1884; dix-huit mois plus tard il constatait que la ,jambe fracturée était de six centimètres plus courte que l'autre, due le genou était ankylosé, mais, au lieu de se retirer, comme on s'y attendait, il demandait à essayer ses forces en maison : l'expérience montrerait de quoi il était capable. En conséquence, pendant trois ans il fut surveillant à Cellule, il s'acquitta de cet emploi avec assez de dextérité pour qu'on l'admit en 1889 au Grand Scolasticat. Dès lors, tout marcha régulièrement pour lui; il reçut les Ordres Sacrés, au temps fixé et avec duel soupir de soulagement, son avenir étant enfin assuré.

Il fit profession à Grignon, le 15 août 1894. Un mois après, le 18 septembre, il s'embarquait pour le Counène; d'un mot, il a résumé, sa vie de missionnaire : " Je n'ai fait, disait-il, que du ministère auprès des Noirs. Pendant 25 ans, en effet, il travailla à la station des Gambos, se contentant d'ordinaire de la tâche qui lui était fixée sans la dépasser; au moral, il procédait comme au physique par une habitude qui s'explique très bien; infirme, il marchait avec précautions, sans jamais se hâter; de même dans son action près des âmes il y mettait le temps, allait lentement de l'avant et entreprenait peu par lui-même.

En 1919, il revint en France, estimant qu'après 25 ans de Travail il avait bien mérité sa retraite, résultante assez curieuse de cet état d'esprit qu'il avait porté clans tous les détails de sa carrière : amoindri par son infirmité, il posait volont,iers des limites à son activité. Ainsi le comprirent les Supérieurs majeurs qui l'autorisèrent à séjourner à Langonnet. I1 y resta sept ans, avec les charges successives de bibliothécaire et de préfet, de culte auxquelles il s'efforçait de prêter de l'importance pour se donner l'illusion d'être occupé.

Mais en 1926, malgré ses 64 ans, il se sentit revivre et accepta d'aller à la Martinique dépenser ses dernières forces. Vicaire à la cathédrale de Fort?deFrance, il se dévoua, en effet, sans réserve. C'est ce qu'exprime très bien, en annonçant sa mort, le journal La Paix de Fort-de-France.

" On ne verra plus à Fort-de-France la barbe blanche et la bonne figure du P. Kohler auquel on était si bien habitué. On ne le verra plus arpenter vigoureusement les rues de son pas alerte et claudicant. Et c'est un regret pour tout le monde. Presque tous sur son passage se retournaient et le saluaient; et lui, répondait d'un geste de la main et d'un paternel bonjour. Ses nombreuses pénitentes ne le trouveront plus au saint tribunal où il passait de si longues heures avec une inaltérable patience. Il n'a pas passé bien longtemps parmi nous et il s'était pourtant acquis d'innombrables sympathie.

" IL n'était, arrivé que depuis deux ans à peine et il était resté à peu près tout, le temps à Fort-de-France, sauf un court intérim à Grand'Rivière. Il était venu ici pour être auxiliaire à là Cathédrale et surtout rendre service pour les confessions. Mais la pénurie des prêtres obligea à le nommer vicaire. C'était un service un peu chargé pour son grand âge et il ne put guère en prendre qu'une partie. II le fit cependant courageusement et vaillamment et, il ne recula, jamais devant là besogne.

Il mourut le 24 mai. " Ce cher Père, écrit le R. P. Janin, avait été pris il y a trois semaines de coliques hépatiques très douloureuses. I1 s'était remis, mais pas complètement; il se traînait et continuait de souffrir par intermittences. Cependant rien d'inquiétant ne se manifestait dans son état. Il eut une nouvelle crise mardi dans la nuit et elle l'emporta. Le Docteur croit, que l'un des calculs dut perforer le foie, car la bile se répandit rapidement dans tout l'organisme. Jeudi matin, le voyant perdu, je lui proposai les derniers sacrements, qu'il accepta. Il mourut environ une heure après, vers 8 h 1/2. Fort-de-France lui a fait des funérailles magnifiques comme il sait en faire à tous ses prêtres.

" Le P. Kohler, vu son âge et sa fatigue, ne pouvait pas faire grand chose, mais il rendait quand même lien des services pour les confessions et les enterrements. "

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