Le Frère Sigismond Kribs,
décédé à Paris, le 20 février 1926,
à l’âge de 66 ans.


François Kribs naquit en Lorraine, à Walscheid, le 17 mai 1859. Son père était sabotier ; le petit avoir de la famille avec les gains journaliers mettait à l’aise ces braves gens. Cinq enfants vivaient sous leur toit, occupés, dès que l’âge le leur permettait, aux travaux de culture et de jardinage.

François Kribs entra au noviciat de Chevilly le 30 juillet 1874 ; on décida qu’il serait instituteur. C’était le temps où la congrégation venait d’être reconnue d’utilité publique comme association vouée à l’enseignement primaire ; par cette reconnaissance, on pouvait arracher les jeunes frères au service militaire de cinq ans et on les poussait le plus possible dans cette voie.

Notre jeune homme, qui devint F. Sigismond à sa prise d’habit le 19 mars 1875, s’appliqua à l’étude et réussit. On l’admit à la profession le 8 septembre 1876, bien qu’il n’eût que dix sept ans, et on le destina aussitôt à la mission de Landana. Il y débarqua en décembre 1876.

Landana était fondé depuis quatre ans dans une région qui n’appartenait encore à aucune puissance européenne et sur laquelle la France et le Portugal exerçaient quelque autorité, sans en imposer aux indigènes. Au commencement de 1876, la mission avait été attaquée par le Matenda du pays, aidé de tous ses Mambouques et n’avait dû son salut qu’au prompt secours que lui avaient porté les Européens des environs. Un traité solennel avait été conclu par la suite avec les chefs et les représentants des deux puissances pour assurer la sécurité des missionnaires. La paix était faite quand arriva le F. Sigismond.

On le mit à faire l’école. « Toujours gai et content, disent ses notes, il fait bien la classe ; il sait y mettre de l’entrain. » Il n’était pas sans défaut : « Il est un peu trop vif avec les enfants, un peu léger, pas toujours assez respectueux dans ses paroles. Cependant, il faut dire qu’il se corrige peu à peu de ses imperfections. »

Il avait grand mérite à se confiner dans ses fonctions d’instituteur, monotones et fatigantes, quand, autour de lui, se manifestaient de fougueuses impatiences de conquête. Stanley, Brazza et, à leur suite le P. Carrie, le P. Augouard, rêvaient d’un immense pays à attribuer, les uns à une puissance politique, les autres à l’Église de Jésus-Christ. Chacun vivait sa petite épopée à soi. On fondait des stations : à Saint-Antoine de Sogno, à Boma, à Nemlao, avant d’atteindre au Stanley-Pool.

Les expéditions se préparaient à Landana ; à Landana parvenaient tous les échos de l’arrière-pays ; là se formaient les grands desseins : ceux des explorateurs avides de se précéder l’un l’autre, ceux des missionnaires comptant toutes les étapes des protestants pour les dépasser.

Le F. Sigismond ne semble pas s’être laissé distraire de son école. Il eut même l’occasion de s’y dévouer plus largement. Une grave épidémie sévit sur ses enfants pendant plusieurs mois en 1882 et 1883, puis encore en 1884. Il les soigna sans trêve. L’œuvre des enfants était alors l’œuvre importante des stations : on comptait sur elle pour établir des villages chrétiens, former des catéchistes, préparer de loin des frères et des prêtres indigènes ; et l’on sait si Mgr Carrie y tenait !

Mgr Carrie, sacré vicaire apostolique de Loango, vint faire ses adieux à Landana en janvier 1887 ; le mois d’après, le F. Sigismond rentrait en France. La propriété de l’enclave de Cabinda avait été reconnue au Portugal ; le F. Sigismond qui n’était pas préparé à enseigner en portugais, fut rappelé.

Il commença par se reposer ; puis, il fut nommé à Mesnières en septembre 1887 ; il y remplit les fonctions de portier et au besoin de linger, pendant sept ans, de 1887 à janvier 1895. À cette date, il vint à Paris pour le service de la Procure générale. Pendant trente ans, il a rempli, à la grande satisfaction de tous, les fonctions de commissionnaire.

Il ne prenait guère de distraction au dehors ; il ne sortait que pour affaires ; et quand il rentrait, c’était pour se mettre à la disposition d’autrui, son travail personnel achevé. Il avait acquis une parfaite connaissance des divers services de la maison mère ; à la chapelle, au réfectoire, dans les cours, il était à tous les travaux de surcharge et volontiers remplaçait les absents.

On le savait pieux, d’une piété sans étalage, peu expansive, mais profonde, qui le portait à faire régulièrement ses exercices spirituels, comme les autres exercices, aussi bien dans son élément à la prière qu’ailleurs ; en un mot, un homme de devoir, condescendant par dessus tout, et pour tous également, capable de s’oublier toujours pour se dépenser pour autrui.

Une grosse épreuve lui était réservée dans ces dernières années : sa vue baissa tout d’un coup, au mois de mars 1923, à la suite de la grippe dont il avait été atteint. Les meilleurs docteurs consultés conclurent que le cas était très grave : l’œil gauche était déjà affaibli depuis longtemps, et l’œil droit frappé d’apoplexie rétinienne. Le F. Sigismond ne parut pas affecté de ce malheur ; il accepta qu’on fit à son intention des neuvaines au Vénérable Père ; il se présenta aux médecins, sans espoir de guérir et ingénieux à régler sa vie de façon à rendre service. Il pouvait encore se guider dans les rues, il continua donc à faire des commissions, et, quand on l’eut peu à peu déchargé, il se contenta, dernier reste de son activité d’autrefois, de porter au cordonnier les souliers à racommoder.

Le samedi 20 février dernier, il se leva à l’ordinaire, éveilla ses confrères, car il était excitateur, et descendit à la chapelle. Il parut fatigué pendant la prière et l’oraison ; il assista à la messe assis, refusa de communier à son banc, sans se déranger, comme on le lui suggérait. Les exercices finis, il monta à l’infirmerie : il se plaignait d’un rhumatisme qui depuis huit jours lui courait tout le corps et le prenait le matin à la poitrine. Il souffrait beaucoup. On attendait le médecin. Pour soulager son malade, le frère infirmier lui fit prendre vers huit heures une tasse de tisane bien chaude, rendue presque aussitôt avalée. Le Père Économe se trouva là ; il administra le frère qui avait déjà perdu connaissance et expira un moment après, succombant, semble-t-il, à une angine de poitrine. Il laisse dans nos mémoires le souvenir d’un confrère accompli. -
BG, t. 32, p. 548.

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