Le P. Edouard KUNTZMANN,
1864-1949

de la Province de France, décédé à Langonnet le 25 janvier 1949
à l’âge de 84 ans et après 60 années de profession.

Le Père Kuntzmann naquit le 15 août 1864 à Rhinau (Alsace). Il commença ses études de latin sous la direction du vicaire de son village natal, la 4e et la 3e dans notre collège de Rambervillers (Vosges) en qualité d'aspirant et vint achever ses humanités à Langonnet. C'est à Grignon qu'il fit profession, le 15 août 1889, après y avoir été ordonné prêtre le 28 octobre précédent.

Il fut nommé de suite professeur de sciences physiques et chimiques au Scolasticat de philosophie de Langonnet, où il resta trois années (1889­1892).

Après ses vœux perpétuels, en août 1892, il s'embarque pour Sierra Leone, le 25 octobre suivant. Placé à Bonthe, en 1893, il y prend la succession du P. Lorber et y travaille rudement pendant trois ans, après lesquels le Bulletin signale son passage à Konakry et au Bas-Niger et son retour à Paris, le 12 septembre 1896. Il était épuisé par le « dur labeur » qu'il a dû fournir en des conditions dont les missionnaires arrivant actuellement en Afrique n'ont peut-être qu'une idée imparfaite.

En septembre 1897, après une année de repos, c'est un changement total dans l'activité du P. Kuntzmann. Il passe d'abord à Seyssinet comme professeur de 4e. Puis, le Scolasticat de Langonnet ayant été transféré à Chevilly, c'est là que le Père est nommé professeur de morale d'abord, puis de droit canonique. Il y resta sept années, pendant lesquelles il eut à enseigner, sans doute, les unes après les autres, toutes les sciences enseignées dans un Scolasticat de théologie.

Mais le P. Kuntzmann n'avait pas perdu pour autant le goût des Missions et le 30 septembre 1904, il reprend le bateau pour Sierra Leone. Il débarque à Freetown, où il reste peu de temps dans la compagnie immédiate de Mgr O'Gormann.

Le 4 février 1905, le P. Kuntzmann fonde la nouvelle station de Sérabu, avec le P. Sinner. Il y avait là, dit le Bulletin, un certain Roi qui promettait aux nouveaux venus tout ce qu'ils lui demandaient, mais qui faisait traîner les choses en longueur autant qu'il le pouvait afin d'extorquer des cadeaux. Le Père ne tarda pas à y mettre bon ordre, et bien qu'il restât seul à Sérabu, de mars à novembre 1905, il fit là du travail profond et réussit à attirer à la Mission les sympathies des Européens et des indigènes. Faut-il en voir la preuve dans le fait qu'en 1908 le P. Kuntzmann fut bombardé directeur de la Poste de Sérabu et contrôleur télégraphiste, ce qui rapporta à la caisse de la station la somme mensuelle de 22 fr. 05 !!! Mais ce n'était pas des francs 1949. Il eut là pour auxiliaire dévoué le cher F. Fabien.

Ceux qui connaissent la vie de Mission savent ce que furent les occupations du cher P. Kuntzmann pendant les dix-neuf années que dura son séjour au Sierra Leone. On dit qu'il fut un pharmacien et presque un docteur réputé. Il obtint des cures quasi miraculeuses, ce qui le fit passer pour une sorte de thaumaturge. Rien d'étonnant, car ceux qui connaissent le Père un peu intimement, savent quelle était l'étendue de ses connaissances en des sujets les plus variés et les plus pratiques.

Le Père s'occupait aussi activement des plantations de la Mission et de tout ce qui faisait la vie spirituelle et matérielle d'un établissement obligé de compter surtout sur lui-même. Et le Bulletin parle avec abondance des arbres nombreux et variés qui apportèrent aux missionnaires de Sérabu des ressources appréciables. Mais le P. Kuntzmann, en homme très judicieux, conseillait sagement à ses confrères plus jeunes de ne pas se contenter d'une seule variété d'arbres, même s'ils paraissaient réussir, car e il ne faut pas, dit de lui le Bulletin, mettre tous ses oeufs dans le même panier ». Et voilà comment furent plantés dans ce pays quantité de caféiers, de kolatiers, de cacaoyers, d'arbres à pain, d'avocatiers, de carossoliers et de dattiers. C'était l'indice d'un homme prudent et avisé qui ne néglige pas le côté matériel. « Comme, sur nos prudentes insinuations, les plus âgés de nos enfants ont demandé à s'établir plus tard près de la Mission, à l'instar de Tommy, notre catéchiste, nous avons obtenu du Chef un terrain destiné à nos futurs ménages chrétiens. Ce terrain sera divisé en lots et peu à peu planté d'arbres. En vue de toutes ces plantations, nous avons préparé de grandes pépinières... Cette année nous pourrons inciser une vingtaine de nos arbres à caoutchouc. Tous ces arbres produisent maintenant des graines; il nous sera donc facile de les multiplier dans l'avenir... »

Le 3 août 1922, le P. Kuntzmann débarquait à Marseille; il ne devait plus revoir les horizons africains. Il avait alors cinquante-neuf ans. Mais, malgré les fatigues écrasantes de la vie de Mission, ce n'était pas encore le temps du repos. En 1923, il est affecté au Séminaire des Colonies, à la rue Lhomond, connue professeur de philosophie. Il retrouve là le P. Thomann, son condisciple d'autrefois, avec lequel il devait vivre treize années encore, jusqu'en 1936. Le professorat n'empêchait pas le Père d'assurer l'aumônerie des Petites Sœurs des Pauvres et, dans la suite, celle des Sœurs de Saint-Vincent de Paul et de Sainte-Rosalie. Cela valut pendant longtemps pour le Séminaire colonial un séjour de vacances idéal à Balainvilliers.

Il serait trop long de suivre le P. Kuntzmann à travers tous les détails de son activité. Signalons seulement qu'en mars 1927, il fut nommé membre de la Commission chargée de la rédaction des décisions du Chapitre général.

De 1938 à 1940, nous trouvons le P. Kuntzmann comme aumônier des Soeurs de Saint-Joseph, à Lagny. Puis vint l'exode de juin 1940. Il fallait fuir devant l'invasion allemande. Le Père quitta Lagny le 11 juin et arriva à Allex comme un pauvre réfugié. Dans quelles conditions pénibles s'accomplit le voyage, seul le Père pourrait le dire ! Il resta à Allex jusqu'à la fin de la « drôle de guerre », et c'est le 26 juillet 1945 qu'il arrivait à Langonnet, en la fête de sainte Anne. C'est dans cette retraite qu'il devait achever une vie si laborieuse.

Le 24 janvier dernier, il voulut dire, la sainte messe à son heure habituelle, mais il fut obligé d'y renoncer et de se recoucher. Pendant cette journée, on vit le Père s'affaiblir sensiblement. Le malade ne prenait que quelques cuillerées de potion par-ci, par-là, et encore, il ne demandait rien de lui-même. Le lendemain les forces continuaient à décliner progressivement. Dans l'après-midi du mardi, le Père ne donnait plus aucun signe d'activité cérébrale, sinon quelques mouvements de lèvres inintelligibles. Il s'éteignit doucement le soir, vers 18 h. 30, pendant la conférence des Frères.

Plusieurs Pères étaient auprès de lui. Il avait reçu les sacrements la veille, dès qu'il s'était senti indisposé, et les prières des agonisants furent récitées quelques instants avant le dernier soupir.

« Il nous a répété assez souvent, dit le Père Supérieur de Langonnet qu'il était heureux et même désireux de mourir, et il nous a quittés sans bruit, comme il avait vécu. Il a été fidèle jusqu'au bout aux exercices de la communauté, donnant à tous l’exemple de la régularité. Sachant que rien ne sert de courir, mais qu’il faut partir à temps, le P. Kuntzmann prenait les devants et se trouvait toujours au moment opportun, donnant ainsi à beaucoup une leçon profitable. Il était le confesseur et le directeur de nombreux Pères et Frères, et nous perdons en lui un homme de bon conseil et de vertu reconnue de tous. Je pense qu’il priera pour nous et pour tous les intérêts de la Congrégation

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