Le Père Léon Laisné,
décédé à Bligny, le 17 mai 1956,
à l’âge de 56 ans.


C’est le jeudi 17 mai, dans l’après-midi, que l’événement auquel personne ne pensait, se produisit d’une façon brutale. Avec quelques enfants du personnel du sanatorium de Bligny où il était affecté depuis plus de deux ans, le P. Laisné revenait d’une promenade à bicyclette, déjà assez fatigante à cause de la chaleur. Et puis, quelques kilomètres avant de rentrer à l’établissement, il y a une côte bien rude à monter… Pour des cœurs de jeunes, c’est chose relativement aisée, mais pour un cardiaque il en est autrement.

Et, bien qu’il fût sur un vélo Solex, le P. Laisné dut aider le moteur en appuyant sur les pédales. Au sommet de la côte, il sentait que “ça ne marchait plus” ; il mit pied à terre et se reposa au bord du chemin, tandis que le sanatorium de Bligny, avisé aussitôt, dépêchait un docteur.

Déjà, l’année dernière, en juillet, semblable alerte avait touché le père, à la suite d’un effort violent, dans la cour même du sana. Des soins avaient pu lui être donnés immédiatement, et il avait été remis en état. Cette fois, le mal était plus profond et les secours n’avaient pu être apportés tout de suite : l’issue était fatale.

Né à Husson, par Le Teilleul, au diocèse de Coutances, le Père Laisné avait pris ses cinquante six ans depuis le 13 avril.

Je l’ai beaucoup connu, puisque nous avons fait nos études ensemble à l’Institut Notre-Dame d’Avranches. Nous disions simplement Léon ou encore Léïon, parce que c’est ainsi que lui-même prononçait son nom, avec un petit accent du terroir. Il était une année avant moi, mais cela n’empêchait pas d’avoir partie liée dans nos relations amicales au point que, je puis le dire, c’est lui qui m’orienta vers la congrégation du Saint-Esprit qu’il connaissait bien, puisqu’il avait amorcé un noviciat à Orly, qu’un mauvais état de santé l’avait obligé d’interrompre, le faisant ainsi réintégrer le pays où, pendant quelques mois, il avait rejoint l’Institut Notre-Dame, alors que je terminais moi-même ma philosophie.

Depuis longtemps déjà, il connaissait la congrégation, d’abord par la renommée qu’avait créée dans le diocèse de Coutances, Mgr Le Roy qui en était originaire et qui aimait à y revenir souvent, et puis aussi par le fait suivant que lui-même raconte dans la brochure intitulée Les Père du Saint-Esprit qu’il fit paraître l’an dernier dans la “Collection XXe siècle catholique”.

« C’est un jeune profès sortant du noviciat qui m’a inoculé ma vocation de missionnaire spiritain. Il était venu rendre visite à son ancien curé devenu curé de ma paroisse. Or, un dimanche, je l’avais vu prier à l’église et son attitude traduisait une piété si angélique que j’en avais été frappé comme d’un coup de foudre. J’en avais été d’ailleurs été d’autant plus frappé que la renommée lui attribuait une jeunesse espiègle et turbulente. Et, par une déduction assez logique, j’en avais conclu qu’une congrégation qui réalisait de tels miracles de transformation, était probablement la seule qui me soit secourable et qui puisse améliorer un peu ma méchante nature. »

Ici, je dois ajouter que le P. Laisné se calomnie beaucoup. Sa nature, au contraire, était bonne, et sa gaieté d’un excellent aloi, et je pourrais encore prendre de lui ces mots qu’il écrivait dans cette même brochure : il était « d’une générosité dynamique. Il y a chez lui un rayonnement d’enthousiasme et une gaieté bon enfant qui frappe tous ceux qui ont l’occasion de vivre en sa compagnie ». Voilà, je crois, qui le dépeint bien. Et si j’ai parlé plus haut de l’influence qu’il a eue sur moi quant à mon entrée dans la congrégation du Saint-Esprit, je puis aussi affirmer par ailleurs que plusieurs étudiants d’Avranches lui doivent aussi d’être venus nous rejoindre.

Le P. Laisné devait cependant rester quelques années au diocèse de Coutances. Après son noviciat interrompu de 1919, et les quelques mois supplémentaires passés à Notre-Dame d’Avranches, après dix jours de service militaire aux 7e Chasseurs à cheval à Évreux, où il fut réformé temporaire le 19 avril 1921, pour être remis, il est vrai, service armé en 1925 sans faire cette fois de régiment actif, il entrait au grand séminaire de Coutances en 1922 et y recevait la tonsure le 14 juin 1924.

Mais la vocation le tenait et, en 1928, il reprenait le chemin du noviciat d’Orly où il faisait profession le 8 septembre 1926.

L’année 1926-1927, passée à Chevilly, le vit franchir tous les échelons qui aboutissent au sacerdoce : ordres mineurs en mars et avril, sous-diaconat le 17 avril, diaconat le 1er mai, prêtrise le 25 mai.

Que furent pour lui ces deux années qui le conduisirent à la profession d’abord, puis à la prêtrise ? Ouvrons encore la brochure que nous avons citée : il y a dedans beaucoup d’autobiographie.

« Quand le novice prononce la formule traditionnelle qui fera de lui un religieux spiritain, la voix reste claire, ferme et assurée, mais on la sent vibrante et pleine de ferveur, tandis qu’un rayonnement de bonheur éclaire son visage et révèle mieux que de longs discours la satisfaction que le cœur éprouve lorsqu’on se donne à Dieu. J’ai été séminariste et j’ai été ensuite scolastique. L’impression m’est restée que le scolasticat est plus propice à l’épanouissement des âmes… Au scolasticat, on prépare les fondateurs d’Église. Pour enraciner le christianisme en terre païenne, il faudra qu’ils jouent un rôle social en même temps qu’un rôle religieux, car ils ne pourront jamais évangéliser sans penser en même temps à promouvoir une civilisation plus humaine et plus spirituelle. »

C’est bien ainsi que j’imagine le P. Laisné dans la mission qui lui fut assignée à la cérémonie de consécration à l’apostolat qui prit date pour lui en juillet 1927. Affecté au Loango, dont le vicaire apostolique était Mgr Friteau, le P. Laisné y resta deux décades d’années, coupées en 1939, par un séjour en France, qui fut consacré à l’aumônerie de Saint-Michel-en-Priziac, dont il fut le premier titulaire.

En mission, il occupa des fonctions diverses, de subalterne, de supérieur ; mais toujours s’y dépensant avec ce même zèle pour l’extension du Royaume qui l’animera pendant les dernières années de sa vie en France.

« Le climat mine les santés et pourrait ruiner le moral. Le travail est accablant et il y a bien des circonstances où le réconfort indispensable, ne peut venir que des confrères avec lessquels on vit et de qui on se sent aimé.

« Chaque mission est un nid de fraternité. Aussi, quel plaisir quand, au retour d’une tournée, on se retrouve chez soi, au milieu de visages familiers. Comme elle est fervente la poignée de mains qui est échangée alors. On dirait que la fatigue et les soucis se sont envolés.

« Personnellement j’ai eu en mission des confrères pour qui je garde une amitié toute spéciale, car des liens très durables et très forts se forment entre ceux qui vivent sous un même toit, mangent à la même table, suivent un même règlement et labourent ensemble la portion du champ que le père de famille leur a confiée. »

De retour en Europe, son activité ne fut pas pour autant diminuée. Ne pouvant plus évangéliser les foules africaines, il rayonna de l’Abbaye Blanche, à Mortain, où il avait été placé, dans le diocèse de Coutances, répondant avec un empressement religieux et amical aux appels de ses confrères qu’il avait connus au grand séminaire de Coutances : missions paroissiales, retraites de communion solennelle, triduums, journées missionnaires. Le P. Laisné était partout, et toujours avec cette conviction forte, basée sur la foi profonde qui l’animait.

Apostolat de la parole, apostolat de l’action, apostolat aussi de la plume qu’il avait alerte, vive, et assaisonnée de ce bon esprit normand, pétillant comme du cidre bouché et dont bénéficia souvent le journal Ouest-France lui-même, dont on peut dire qu’il était devenu collaborateur dévoué.

C’est ce même zèle qu’il dépensera au sanatorium de Bligny où, depuis deux années, il occupait un poste d’aumônier. Religieuses, malades, personnel, enfants, tous n’ont eu qu’à bénir la Providence de l’avoir connu et d’avoir écouté ses leçons et ses conseils. Et comme il me semble que doivent s’appliquer aux différents ministères qu’il a exercés, soit en Afrique, soit en France, ces mots que me disait un des membres du personnel de Bligny : « Le passage du P. Laisné a marqué pour nous ; nous sentirons longtemps son empreinte. »

Quel éloquent témoignage ! N’est-ce pas parce qu’il avait vécu et compris cette parole de notre fondateur, auprès duquel il dort maintenant son dernier sommeil dans le cimetière de la communauté de Chevilly, parole du vénérable Libermann, que le P. Laisné soulignait lui-même ?

« Malheur à nous si nous sommes amateurs de nous-mêmes et si nous avons la nuque dure. Mais mille fois heureux si nous nous vidons de la malice orgueilleuse de notre mauvaise nature pour nous vivifier de l’esprit de Jésus qui nous a envoyés. Car, alors, nos souffrances, nos sueurs, nos travaux nous feront briller au milieu des anges et des saints comme des soleils parmi les étoiles. Nos actions seront bénies de Dieu et nous peuplerons le ciel de bienheureux. » -
Roger Dussercle - BPF, n° 8.

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