P. Prospert LAMBERT
Né le 22 / 01 / 1811 à Jargeau, diocèse d’Orléans (45) ;


premiers vœux le 21 / 11 / 1844 à La Neuville ; vœux perpétuels le 27 / 08 / 1859 à Ste Croix Mu ; Il est arrivé à Maurice en décembre 1846 et y est resté jusqu’à sa mort ; ils meurt à Ste Croix le 06 / 03 / 1875, âgé de 64 ans, après 30 ans de vie religieuse .

« Notre petite communauté de Ste Croix, écrit le Père Mauger, a été, cette année, bien éprouvée . Nous avons perdu l’un des anciens compagnons de notre Vénéré Père Laval, le bon Père Lambert .

«C’est le samedi 6 mars (1875) que ce cher Père a rendu sa belle âme à Dieu, au bout de 30 ans de travaux apostoliques auprès des noirs. Après une vie humble et mortifiée, toute consacrée à la gloire de Dieu et au salut des pauvres âmes, il était bien mûr pour le ciel !

«Ses obsèques ont eu lieu à la Ste Croix au milieu d’une affluence de fidèles accourus de tous côtés. On évalue le nombre à 5.000. monseigneur a voulu donner lui-même l’absoute, pour rendre hommage aux vertus du pieux et zêlé missionnaire.

«On trouvera plus loin le récit édifiant des derniers instants de ce bon Père.»

BULLETIN GENERAL TOME X p. 699
VICE PROVINCE DE LA MER DES L’INDES COMMUNAUTE DE STE CROIX (Maurice)
(février à Décembre 1875) (n° 114 p. 699)

Les derniers instants du Père Lambert (Récit du Père Mauger)
Les premières atteintes du mal qui devait en peu de jours nous ravir le Père Lambert, se firent sentir le (mardi) 2 mars (1875) . Sans savoir encore qu’il souffrait, je le trouvais changé ; il était pâle et paraissait fatigué . Néanmoins il fit sa lecture spirituelle, entendit quelques confessions : rien jusque-là ne fut modifié dans ses habitudes ordinaires . Vers cinq heures, il fit venir les Sœurs et les prier de lui donner les mêmes remèdes qu’à pareille époque l’année précédente : Limonade purgative, cataplasme, etc, ce que celles-ci s’empressèrent de lui procurer .

Le lendemain matin, mercredi, il se sentait comme dévoré par un feu intérieur . – « Oh ! donnez-moi de l’eau, dit-il, je brûle » - Le medecin fut alors appelé, suivant ses désirs . Comprit-il l’état du malade, c’est douteux . Ses remèdes, en tout cas, ne lui procurèrent aucun soulagement . Dans l’après-midi, le cher Père fut pris d’un hoquet très fort et très souvent répété ; sa respiration devint pénible ; et bientôt les vomissements se déclarèrent . D’après ces vomissements on peut croire que c’est une hernie étranglée qui a occasionné sa mort .

Le Père Garmy vint passer la nuit avec moi ; elle fut très mauvaise . A cette demande s’il souffrait beaucoup : « Je souffre, répondait-il, de voir souffrir les autres pour moi . » - Dès le jeudi matin, épuisé par les fatigues de la nuit, il s’empressa de demander les secours de la religion . Le Père Garmy entendit sa confession . Je lui donnai ensuite le St Viatique . - « Donnez-moi aussi l’Extrême-Onction, ajouta-t-il, » - « Mais il n’y a pas lieu, lui dis-je » - « Je connais ma position, repliqua-t-il assez vivement, je suis frappé à mort . » - Je me rendis aussitôt à ses désirs . – «Voulez-vous aussi l’indulgence de la bonne mort, lui-dis-je ? » - « Oh ! oui, oui, donnez . » - La piété et la ferveur avec quelles il répondit lui-même aux prières de l’église, l’attention qu’il mit à me rappeler tout ce que j’avais à faire, montrèrent combien était grand l’esprit de foi qui l’animait .

« Le calme et l’assurance du bon Père étaient admirables ! La mort avait perdu toute frayeur pour lui ; il allait à Dieu : c’était le repos après la fatigue ; la récompense après le travail ! Dans toute cette maladie, sauf pendant le délire, le cher Père Lambert a été d’une obéissance aveugle, se prêtant à tout, se soumettant à tout . La grâce agissait visiblement en cette belle âme . Obligé d ‘aller à St André, je lui dis qu’on m’appelait . – « Allez à vos fonctions, me dit-il, je suis tranquille . » - quelques instants après il dit avec joie aux religieuses venues pour le soigner : « Mes Filles, je suis prêt, j’ai tout reçu, j’ai fait le sacrifice de ma vie ; je suis content de mourir ! Dites le chapelet pour moi . »

Le soir, le cher malade était très faible : le docteur constata une diminution de l’hernie, mais un état général fort inquiétant .

Le Père Thevaux était venu peu auparavant voir le cher Père ; ensuite arrive les P.P. Jouan et Garmy pour veiller avec moi . Comme la précédente, cette nuit fut mauvaise . Le matin, le malade était très faible . Mais tout à coup un mieux sensible se déclara : de 180, les pulsations retombèrent à 110, ce mieux dura jusque vers 4h du soir .

A 1h après-midi, le P.Thiersé arrivait pour faire visite au cher Père Lambert, ils s’embrassèrent avec une grande effusion de cœur . Vers 4h arriva aussi Mgr l’évêque de Port Louis . – « C’est fini, Monseigneur, dit le malade » - « Oh ! répondit le prélat, vivez, Père Lambert, vous êtes une des colonnes de mon clergé » - « Comme le Bon Dieu voudra, Monseigneur » - « Oui, Père Lambert, comme le Bon Dieu voudra » - « Dieu seul ! Dieu seul ! s’écria le cher malade, comme c’est beau ! » - « Allons, Père Lambert, repartit le Prélat, il faut encore travailler, préparez un sermon pour dimanche, c’est le carême » - « Oh ! Mgr, un terrible carême ! »

Le samedi, à 11h, M. l’abbé Masuy vint aussi visiter son vieil ami . Il saisit la main défaillante du moribond et la baisa, lui recommanda la confiance en Dieu, en lui rappelant qu’il était l’enfant du St Cœur de Marie . Ce fut une entrevue bien touchante . «Les hommes n’y peuvent plus rien, dit M. Masuy, en se retirant » - Tout espoir était perdu ! - A 2h, je proposai au malade de lui donner le St Viatique . « Non, me dit-il, demain je serais à jeun, je communierai » .

A 5h eut lieu la 2e et dernière consultation des médecins . Ils trouvèrent du mieux . Mais à peine le cher malade avait-il pris les première médicaments qu’il entra en agonie . Cependant, au milieu même du délire, il pensait toujours au Bon Dieu et à la sainte communion que je lui avais proposé, si bien qu’il crut que c’était elle qu’on lui présentait quand on lui donna les remèdes .

A 10h½, il avait toute sa lucidité, j’en profitai pour lui donner le St Viatique, qu ‘il reçut en témoignant combien il était heureux de recevoir son Dieu . Un quart d’heure après, il perdait connaissance, et à 11h20 il s’endormait doucement dans la paix du Seigneur .

Aussitôt je fis préparer au salon un lit de parade sur lequel on déposa le cher défunt . Le lendemain dimanche, la salle fut ouverte au public ; elle ne désemplit pas de la journée de gens qui vinrent tour à tour prier pour lui . Voici ce qu’écrit sur sa mort et ses obsèques, un journal de la colonie, le Pays (No. Du 9 mars 1875)

- « Les tristes prévisions qu’inspirait naguère l’état du vénérable curé de Ste Croix se sont trop réalisées . Le Rév. Père Lambert est mort samedi dans la soirée . Jusqu’à la dernière minute il avait gardé sa pleine connaissance ; les accès de la fièvre ne la lui enlevant que par intervalles ; et pendant toute sa longue agonie, la patience admirable dont il avait fait preuve au début de sa maladie, ne s’est pas démentie un seul instant . Il se sentait entre les mains de Dieu ; il s’y complaisait, il s’y est endormi pour toujours, laissant après lui le grand exemple et la réputation d’un saint.

Au lendemain de cette mort, on ne saurait raconter sa vie, car elle est de celles qui sont trop pleines pour être contenues dans un court exposé . Elle mérite d’ailleurs s’être étudiée à part, avec les œuvres dont elle remplie et qui restent comme les vivants témoins d’un zèle et d’une charité qui ne connaissant pas de limites, ne connaissaient point d’obstacles . Sous ce rapport, sa confiance en Dieu était telle, qu’elle semblait parfois défier la Providence ; mais devant les besoins des chers pauvres qui furent sa principale sollicitude, les miracles de la générosité divine n’ont pas cessé de correspondre à la sublime simplicité de sa foi .

Les obsèques du R.P. Lambert ont eu lieu aujourd’hui, à l’église de Ste Croix, au milieu d’une affluence immense de fidèles accourus de Flacq, de la Montagne Longue, de la ville, affluence que nous ne craignons pas d’évaluer à plus de trois mille personnes .

Le service divin a été célébré par le R.P. Mauger, assistant et successeur du Rév. Père défunt .

L’absoute a été donné par sa Grandeur Mgr l’évêque de Port Louis, entouré de son clergé presque entier, et de tous les RR.PP. de la Congrégation du St Esprit et du St Cœur de Marie, à la quelle appartenait le défunt .

Puis le cortège s’est mis en marche, cortège imposant s’il en fut jamais, se dirigeant vers la Petite Rivière, où se trouve la dernière demeure du Père Lambert[5], et où les pauvres qu’il avait évangélisés et secourus avec un saint dévouement ont tenu à le conduire .

Les pauvres, c’est vers eux que ce vénérable prêtre, jusque sur son lit de mort, tournait ses préoccupations . Car il était pauvre, lui aussi, après trente ans de rudes labeurs, et il était content de mourir pauvre et de n’avoir rien à lui, comme ceux qu’il avait secourus et tant aimés . Les pauvres qui le pleurent peuvent avoir confiance, ils ne perdent point sa protection .

- Né à Jargeau dans le diocèse d ‘Orléans le 22 janvier 1811, le P. Prosper Lambert avait exercé pendant 7 ans le St ministère dans ce diocèse avant d’entrer dans la Congrégation . Cependant dès sa jeunesse il avait un attrait particulier pour la vie religieuse . Il s’était même rendu, dès le temps de son grand séminaire, à l’abbaye du Port du Salut à Laval, puis à celle de Solesme, pour y examiner sa vocation . Mais la Providence le destinait à l’évangélisation des âmes abandonnés . Il était déjà curé quand il entendit parler de la Société du St Cœur de Marie, fondée pour le salut des pauvres noirs . Il demanda aussitôt son admission au Vénéré Père . Entré au noviciat de la Neuville en 1844, il fit sa Profession le 21 novembre (1844) de cette même année et fut aussitôt après envoyé à Bourbon ; et quelques années après il vint rejoindre le Père Laval à l’île Maurice . Et c’est aussi auprès du tombeau du Père Laval qu’il a consommé son sacrifice, après avoir épuisé ses forces dans les travaux d’un humble et pénible ministère au milieu des noirs .

Le Père Louis LAMBERT, 1810-1875
(Cf. notice du P. Lambert parue au Bulletin général de la congrégation, en 1875, pages 168 à 171)

Le P. Louis Lambert est né à Orléans vers 1810. Après avoir achevé ses études littéraires, il entra au grand séminaire de son diocèse dirigé par les prêtres de Saint­-Sulpice. Sous leur direction éprouvée, il étudia la théologie et les autres sciences ecclésiastiques, jusqu'à ce qu'il fut parvenu aux ordres sacrés.

Pendant dix ans, l'abbé Lambert exerça le ministère paroissial dans une et bientôt deux paroisses, à la grande satisfaction de son évêque. Mais il aspirait à de plus vastes labeurs d'apostolat, dans le cadre de la vie religieuse. C'était l'époque où le P. Libermann venait de fonder la société du Saint-Cœur de Marie qui s'unit par la suite à la congrégation du Saint-Esprit. A peine y fut-il entré qu'on l'envoya dans les missions qu'il désirait de tous ses vœux.

Il fut d'abord affecté à l'île de la Réunion. L'abbé Monnet et le P. Le Vavasseur y travaillaient activement à la libération des esclaves, qui fut obtenue à la Réunion en 1848. Mais en 1846, le P. Lambert fut envoyé par ses supérieurs à Port-Louis, capitale de l'île Maurice, pour venir en aide au P. Laval, débordé par la formation chrétienne de tous les esclaves libérés en ce lieu dès 1835. (1) ( Le P. Laval, l'apôtre de l'île Maurice, a été béatifié le 29 avril 1979 par le Pape Jean Paul Il). Le P. Lambert était bien le compagnon qu'il fallait au P. Laval et au ministère dont il était chargé. Modestie, simplicité, inaltérable douceur, patience à l'épreuve de tout : que pouvait-on demander de meilleur pour ce travail si vaste, si humble, si difficile, auprès de cette population de pauvres qu'il fallait instruire, relever, moraliser, civiliser, c'est-à-dire rendre sérieusement chrétienne. Grâce à Dieu, les succès furent à la hauteur des plus grandes espérances, on peut dire sans exagération qu'ils furent merveilleux.

Citons rapidement les autres lieux que le P. Lambert a évangélisés et quelques-unes des œuvres qu'il a accomplies. En 1853, il est aux Pamplemousses ; de là il dessert sa chère mission de la Montagne Longue, et y bâtit l'église paroissiale de Notre-Dame de la Délivrande. Chaque mois, il allait passer une semaine au quartier de Flacq, où il venait en aide aux deux curés qui s'y sont succédé, l'abbé O'Dowier, puis l'abbé Giles. Quand celui-ci partit en Europe, en 1855, le P. Lambert fut chargé par Mgr Collier de la paroisse de Flacq ; et c'est encore à son zèle que l'on est redevable de la belle église de Saint-Julien, de la tour et de la cloche qu'on y admire.

Enfin c'est à Port-Louis qu'il fut rappelé pour succéder au P. Laval décédé en 1864. Le tombeau du Bienheureux est devenu un lieu de pèlerinage, près de l'église de Sainte-Croix.

Le P. Lambert y retrouva les plus chers enfants de son cœur, les pauvres près desquels il aimait tant se dévouer. Ils lui venaient de la ville, des faubourgs, de la banlieue. Il les trouvaient encore à la chapelle de Roche­-Bois. A tous, il donnait, de tout cœur, son temps et ses soins les plus assidus, n'écoutant ni ses fatigues, ni la faiblesse de l'âge qui se faisait déjà sentir, ni les rigueurs de ce chaud climat qui épuise les plus forts. S'inclinant plus sous le poids de ses labeurs que sous celui des années, il paraissait déjà un vieillard lorsqu'il dépassait à peine la soixantaine.

C'est ainsi que sa vie s'épuisa doucement et se termina après quarante années de ministère, dont trente passées dans les îles de l'océan Indien. Après une courte maladie, il reçut le saint viatique, et deux heures après, il passait de sa dernière communion sur terre à la bienheureuse communion éternelle.

Ses funérailles reçurent les meilleurs honneurs qu'on puisse attendre. Tous les membres du clergé séculier et régulier y assistaient, tandis que Mgr Scarrisbrick, évêque de Port-Louis, présidait l'absoute. Une foule de trois mille personnes recueillies s'unissaient aux prières : peuple sympathique que le P. Lambert, à la suite du P. Laval, avait aimé et évangélisé avec une charité si parfaite.

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